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Actualités - OPINION

Le clochard de la rue Huvelin May SALHA

Il fait partie du décor. Depuis des lustres, il a élu domicile à même le trottoir, à l’intersection des rues. À deux pas du campus. Non pas pour se faire un peu de monnaie, juste pour être entouré de ce qu’il n’a plus, ou n’a pas eu : une jeunesse… Il n’était pas seul, il y a quelques mois. Il avait son chien. Sa famille quoi. C’était pour lui qu’il écumait les poubelles du quartier trois fois par jour. Mais il est tombé malade. Il en est mort. Le chien. Et il a laissé son maître survivre seul dans le désordre de son destin. On l’appelle clodo, sans-abri, un marginal quoi. Qu’importe ? Le résultat est le même pour lui. De son monde obscur, il ne regarde pas les passants. Peut-être ne les voit-il même pas ! Il ne demande rien, n’interpelle personne et ne mendie jamais. À ses côtés, un vieux cabochon usé qui renferme tout son passé, tous ses trésors. Pas de petite boîte métallique, ni de casquette usée, ni d’écriteau malin pour faire appel aux sous. Même du temps de son chien. Il faut dire que Beyrouth n’est pas Paris. Alors les chiens… Beaucoup de jeunes et moins jeunes empruntent quotidiennement ce chemin. Ils côtoient de très près la misère humaine, brisure de destins volés, de malchance et de maladies accumulées. Et ils passent et dépassent, souvent, sans un regard. Parfois même en changeant de trottoir. Cet homme marqué par le temps, par les coups et les blessures du destin, par son passé envolé en fumée, le souvenir d’une mère, d’une famille, d’un amour, d’un métier, l’histoire d’une vie cachée dans les rides du temps et de la misère ; cet homme traîne son fardeau de secrets, enveloppé d’indifférence et de dédain. Cet homme assis là, marqué par l’injustice d’une vie, malade et affamé, survit dans Beyrouth-la-rebelle, à l’ombre des beaux quartiers riches, dans l’indifférence la plus totale. Comment l’être humain peut-il en arriver là ? À juger la misère, détourner le regard et passer son chemin en balayant autrui et ce qui lui reste de dignité humaine. Et les passants pressent le pas. Chacun sa vie. Ou sa survie. Chacun son chemin. Égoïstes ou indifférents. C’est ainsi. Le voilà qui s’assoupit. Il me semble le voir esquisser un sourire. Ce doit être pour son chien. Salut l’ami. Et pardon. Article paru le Vendredi 27 Avril 2007
Il fait partie du décor. Depuis des lustres, il a élu domicile à même le trottoir, à l’intersection des rues. À deux pas du campus. Non pas pour se faire un peu de monnaie, juste pour être entouré de ce qu’il n’a plus, ou n’a pas eu : une jeunesse…
Il n’était pas seul, il y a quelques mois. Il avait son chien. Sa famille quoi. C’était pour lui qu’il écumait les...