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De la reconnaissance à la pénalisation du négationnisme ? Laurent LEYLEKIAN

Plusieurs événements sont venus modifier substantiellement la nature des efforts menés dans le cadre de la Cause arménienne. Traditionnellement orientée vers la reconnaissance du génocide perpétré en 1915 par la Turquie, l’action de la diaspora arménienne s’était focalisée depuis des années sur des combats de nature purement politique. À la suite des résolutions de reconnaissance votées par une dizaine d’États de l’Union européenne, les organisations arméniennes d’Europe ont notamment réussi à porter la question du génocide de l’enceinte du Parlement européen au cadre plus général des négociations d’adhésion avec la Turquie. Ces derniers mois cependant, les développements relatifs à ces questions ont pris un tournant plus juridique, voire judiciaire. En cause, divers projets de loi qui se proposent de pénaliser – ou d’étendre la pénalisation – du négationnisme, mais aussi le recul incontestable – quoique partiellement conjoncturel – de la candidature turque à l’Union. Incapable de satisfaire aux demandes minimalistes de l’Union, Ankara s’est en effet vu opposer un gel inavoué des négociations à la fin 2006. Concrètement, 8 des 35 chapitres de négociations sont aujourd’hui interdits à l’ouverture tandis qu’aucun des autres chapitres ne peut être clos. Auparavant convaincue que l’Europe endosserait une nouvelle reculade, la Turquie a réagi à ce gel par une dérive ultranationaliste exacerbée par la prochaine élection présidentielle. C’est dans ce cadre qu’il faut replacer l’assassinat du journaliste arménien de Turquie, Hrant Dink, meurtre directement inspiré de la politique d’Ankara et qui a marqué la fin des illusions sur le printemps d’Istanbul. Cet assassinat a condamné au silence – si ce n’est à la fuite pour Orhan Pamuk – les « dissidents » qu’Ankara utilisait jusqu’alors comme faire-valoir, et a également ruiné les efforts faits par la Turquie pour se présenter en pacificateur – notamment au Liban – ou en partenaire d’un « pacte des civilisations ». Cependant, avant même ces évolutions, la bataille s’était déjà déployée sur le terrain pénal. Dès le printemps 2005, un projet de loi visant à étendre la pénalisation du négationnisme à tous les génocides a vu le jour en Belgique. Ce projet était motivé par la volonté de Bruxelles de se mettre en conformité avec ses engagements auprès du Conseil de l’Europe. Cependant, en dépit d’un très large soutien de la société civile, la ministre de la Justice, Mme Onkelinx, a bloqué toute évolution qui aurait fait de la Belgique un pays pionnier dans la pénalisation du négationnisme à l’encontre du génocide des Arméniens. Elle a par la même occasion privé les Tutsis d’une législation similaire. Il faut dire que Mme Onkelinx avait des vues sur la mairie d’une commune limitrophe de Bruxelles comportant une forte population turque. Elle s’est donc montrée particulièrement compréhensive aux arguties d’Ankara ce qui – au final – ne lui a pas porté chance : les écologistes ayant refusé l’offre de coalition avec une ministre négationniste, elle n’a pas été élue ! Cet épisode a cependant démontré que la politique négationniste de la Turquie ruine non seulement les prétentions morales des pays de l’Union mais aussi leurs politiques effectives. Entre-temps, l’idée de pénalisation a rebondi aux Pays-Bas, portée par une petite formation de démocrates-chrétiens. Cette idée ne s’est pour l’heure pas concrétisée, mais pourrait ressurgir dans les années qui viennent, cette formation participant à la nouvelle coalition gouvernementale depuis le début 2007. Cependant, les socialistes qui participent également à cette coalition ont fait nommer comme secrétaire d’État à la Justice… une ressortissante turque ! Mme Nebahat Albayrak a été durement attaquée en raison de sa double allégeance, mais également en raison de ses positions ambiguës sur le génocide des Arméniens. D’aucuns considèrent que sa nomination à ce poste participe à la politique d’entrisme pratiquée par Ankara avec pour seul objectif d’empêcher cette pénalisation. Mais depuis l’automne 2006, c’est la France qui apparaît en pointe sur la question. Les députés français ont en effet franchi le pas le 12 octobre avec l’adoption en première lecture d’un projet de loi sanctionnant la négation du génocide des Arméniens. Cette première étape a été franchie en dépit des pressions exercées tout à la fois par le commissaire européen à l’Élargissement, et par des intellectuels instrumentalisés, croyant défendre la liberté d’expression en défendant le négationnisme. Pour l’heure, le processus est en suspens en raison de la campagne électorale en cours. Cependant, les auspices apparaissent favorables car les deux principaux candidats se sont déclarés favorables à la pénalisation, Ségolène Royal en faisant même un engagement électoral. Restera alors à convaincre les sénateurs et surtout à reprendre le processus à son point de départ : le changement de législature imposera vraisemblablement la même navette parlementaire que celle qui avait dû être utilisée pour la loi de reconnaissance du génocide. Signe des temps, un tribunal de la Suisse voisine a prononcé, pour la première fois dans le monde, une condamnation pour négation du génocide des Arméniens en mars 2007. En effet, le code pénal suisse ne précise pas les crimes contre l’humanité dont la contestation constitue un délit, précision qui est laissée à l’appréciation du procureur. Le condamné, Dogu Perinçek est le leader d’une formation ultranationaliste turque qui était venu deux fois en Suisse pour nier le génocide des Arméniens. Il est important de noter que le tribunal a retenu le motif d’incitation à la haine raciale dans son verdict. M. Perinçek a cependant fait appel et ne cache pas que son objectif politique est de faire valider le négationnisme turc comme une « opinion » juridiquement admissible aux yeux de la Cour européenne des droits de l’homme. En conséquence, il serait urgent que les pays de l’Union européenne suivent l’exemple de la Suisse car la Turquie a choisi de déployer une stratégie agressive face à la progression inexorable des reconnaissances : loin de toute idée de contrition, Ankara organise depuis environ deux ans des manifestations de haine antiarménienne sur le territoire même de l’Union. À Berlin, à Lyon ou à Bruxelles, il ne revient qu’à la présence policière d’avoir empêché que ces manifestations ne tournent aux pogroms. La toute récente décision-cadre contre le racisme et la xénophobie adoptée le jeudi 19 avril par le Conseil de l’Union européenne constituera-t-elle la réponse appropriée ? Rien n’est moins sûr. Tout d’abord parce que dans l’esprit des leaders politiques de l’Union, ce texte ne visait pas prioritairement à la pénalisation de ce négationnisme. La bonne nouvelle, c’est qu’il ne l’exclut pas non plus, là encore en dépit des ingérences d’Ankara. De l’avis général, cette décision-cadre très édulcorée permet de faire cohabiter les dispositions existantes des États membres et tout se jouera donc lors de sa transposition dans les différentes législations nationales. La porte reste donc ouverte. Gageons que nous saurons l’utiliser à temps. Laurent LEYLEKIAN Directeur exécutif de la Fédération euro-arménienne (Bruxelles) Article paru le Mardi 24 Avril 2007
Plusieurs événements sont venus modifier substantiellement la nature des efforts menés dans le cadre de la Cause arménienne. Traditionnellement orientée vers la reconnaissance du génocide perpétré en 1915 par la Turquie, l’action de la diaspora arménienne s’était focalisée depuis des années sur des combats de nature purement politique. À la suite des résolutions de...