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Actualités - OPINION

Analyse La loi électorale, entre discours béat et pratique douteuse Élie FAYAD

La réputation d’habile manœuvrier qui colle au président de la Chambre, Nabih Berry, est peut-être quelque peu surfaite. Il n’en demeure pas moins que les pavés qu’il jette de temps à autre dans la mare politicienne libanaise parviennent à provoquer l’effet qui en est escompté. Il a suffi que M. Berry fasse savoir, il y a quelques jours, qu’à son corps défendant, il serait prêt à envisager la « petite » circonscription, pour qu’un remue-ménage s’empare de tout l’aréopage politique, et plus particulièrement en milieu chrétien. L’homme qui ne jurait que par les grosses machines, les rouleaux compresseurs, les circonscriptions uniques, accepte ainsi d’opter pour ce qu’il a depuis toujours prétendu être son cauchemar : le caza. C’est que le jeu doit fichtrement en valoir la chandelle ! Dans le camp adverse, on s’est montré plus ou moins sceptique à l’égard de cette subite volte-face de M. Berry. Samir Geagea a ainsi implicitement accusé le président de la Chambre – et l’opposition dans son ensemble – de n’avoir suscité la question de la loi électorale que pour mieux dissimuler le véritable problème qui, à ses yeux, se pose aujourd’hui, celui de la présidence de la République. En proclamant que lui-même et le patriarche maronite ne sont pas opposés au caza mais qu’ils souhaiteraient aller plus loin, le chef des FL, autre habile tactitien, a cherché surtout à dissiper l’effet d’annonce de la « concession » faite par M. Berry. Une façon de marquer un point en disant à l’adversaire : « Vous voulez nous faire croire que vous avez consenti un grand sacrifice dans tel sujet pour nous arracher une concession dans tel autre. Mais en réalité, vous n’avez rien fait et donc vous n’aurez rien. » Cela étant dit, il ressort principalement des propos de M. Geagea que les FL ne se sont pas encore prononcées de manière définitive sur une taille déterminée pour les circonscriptions électorales, contrairement au bloc parlementaire du général Michel Aoun qui, par la bouche du député Ibrahim Kanaan, a fait savoir qu’il jugeait la circonscription la plus réduite possible comme étant la meilleure. Avant même le pavé de Nabih Berry, c’est le ministre de la Justice, Charles Rizk, qui avait pris l’initiative de relancer le débat sur la loi électorale en proposant un découpage en quinze circonscriptions (de taille moyenne), accompagné de mesures censées à ses yeux favoriser l’émergence d’une forme de bipartisme déconfessionnalisé dans le pays. Le problème, c’est que, précisément, le débat, le vrai, est loin d’être relancé, à supposer qu’il ait jamais existé. Même la commission Boutros, dont le projet réellement historique renferme un train de règlementations absolument incontournables pour la modernisation du processus électoral au Liban, avait dû, pour ce qui est du mode de scrutin et du découpage des circonscriptions, se contenter de mettre en place un système hybride, compliqué et presque absurde, ne faisant que juxtaposer les exigences contradictoires des divers protagonistes. En réalité, il existe au Liban une duplicité parfaite dans la façon d’envisager la loi électorale. Un double langage néfaste non seulement en tant que tel, mais aussi bien par le discours béatement idéaliste qu’il véhicule que par la pratique de marchand de soupe qu’il dissimule. D’un côté, il y a en effet un fantasme politique assez répandu faisant de la loi électorale le principal élément fondateur de la vie politique et, du même coup, de la notion d’État. Beaucoup de Libanais sont absolument convaincus qu’avec un « bon » système électoral, on ferait un « bon » État. Pour eux, si le Liban va si mal, c’est en grande partie à cause des élections. L’histoire de toutes les grandes nations de la planète contredit totalement cette vision des choses. C’est au contraire au fur et à mesure que le pacte social (au sens politique du mot) se raffermissait au sein de ces nations que des systèmes électoraux plus ou moins acceptables s’y sont progressivement mis en place. On peut même dire qu’au vu de l’imperfection que connaissent encore de nos jours les systèmes électoraux, y compris dans les pays les plus démocratiques, une « bonne » loi électorale est la dernière des filles de la démocratie plutôt que sa génitrice. La démocratie, c’est avant tout une culture. L’imposer de force revient à la dénigrer de façon absurde, puisque pour cela, il faudrait recourir à des méthodes non démocratiques. Ainsi, par exemple, l’une des règlementations que préconise Charles Rizk dans son projet et qui consiste, en gros, à interdire à une liste de se présenter dans une circonscription si elle ne procède pas d’une formation ou d’une alliance de formations présentant aussi des listes dans les autres circonscriptions. L’intention derrière cette mesure est excellente puisqu’il s’agit de politiser le public dans le bon sens du terme, c’est-à-dire de l’entraîner derrière des options politiques, des programmes, en vue de parvenir à un bipartisme plus ou moins déconfessionnalisé. Il reste qu’on n’a pas le droit, sous peine de contrevenir aux libertés garanties par la Constitution, de restreindre à un tel point la liberté de candidature. De l’autre côté, il y a la pratique, qui n’a plus rien à voir avec les idéaux affichés. Au Liban, ce qu’on appelle débat autour de la loi électorale se résume en un vulgaire bazar où les circonscriptions sont négociées au métrage, sans souci aucun des véritables paramètres démocratiques d’un système électoral, quel qu’il soit. On se bat pour la grande circonscription, la moyenne, la petite ou la très petite, non pas parce que l’une vaut mieux que l’autre, mais parce qu’à l’intérêt de chacun des protagonistes, correspond une taille bien déterminée. Et si, en cours de route, on change de taille, c’est, comme le fait le président de la Chambre, dans le but d’acheter autre chose à l’adversaire. En revanche, on ne se soucie jamais de savoir si un député sera élu par 50, 20, 10 ou même 1 % des électeurs inscrits dans la circonscription où il se présente, quelle que soit la dimension de celle-ci. La fonction d’une loi électorale est de réguler le jeu politique démocratique au sein d’une société et d’un État. C’est beaucoup et pas assez. Beaucoup pour qu’on la noie sous une bataille d’intérêts étroits ; pas assez pour exiger d’elle qu’elle invente les introuvables dénominateurs communs de l’État libanais.
La réputation d’habile manœuvrier qui colle au président de la Chambre, Nabih Berry, est peut-être quelque peu surfaite. Il n’en demeure pas moins que les pavés qu’il jette de temps à autre dans la mare politicienne libanaise parviennent à provoquer l’effet qui en est escompté.
Il a suffi que M. Berry fasse savoir, il y a quelques jours, qu’à son corps défendant, il serait...