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ANALYSE Le cas Aoun : entre libanisme et participation chrétienne

Le discours politique du général Michel Aoun est désormais clairement fondé, pour ce qui est de la substance, sur une équation présentant une antinomie de base : comment concilier un éloignement progressif mais qui paraît inéluctable vis-à-vis des options libanistes traditionnelles du christianisme politique libanais avec une posture de champion des droits et de la participation des chrétiens au sein de l’État. Certes, le général Aoun est loin d’être le premier chef chrétien à adopter une politique consistant à privilégier la défense du poids chrétien au sein des institutions et de l’administration sur les préférences stratégiques dominantes de ses coreligionnaires. Aussi loin que l’on remonte dans le temps, l’existence d’un important courant chrétien prônant le compromis ou même l’alliance avec l’environnement arabo-musulman à l’extérieur – plus précisément avec l’un des axes dominants dans cet environnement arabo-musulman – en échange d’une aide pour le maintien d’un important poids politique chrétien à l’intérieur, fut une constante. De l’époque des croisades qui vit coexister deux patriarches maronites, l’un regardant vers les croisés et l’autre tourné du côté des Arabes, jusqu’à celles du Destour, du chéhabisme puis des Sleimane Frangié (grand-père et petit-fils), nombreux ont été les leaders maronites à croire en la possibilité d’une équation parfaite entre la soustraction infligée à la souveraineté du Liban en termes de diplomatie et d’options politico-militaires, et l’addition apportée au poids et au rôle des chrétiens dans l’État. Il reste que dans le cas de Michel Aoun, ni son parcours personnel, ni la stature qu’il a prise, ni surtout les circonstances politiques intérieures et extérieures prévalant depuis 2005 ne pouvaient laisser entrevoir chez lui une évolution aussi rapide et aussi systématique vers un discours de cet acabit. Béchara el-Khoury, Fouad Chéhab et Sleimane Frangié (le grand-père) devaient chercher à composer avec une réalité tenace, celle d’un sunnisme politique en ébullition permanente et mû exclusivement par une idée fixe : l’unité arabe. Que le moteur de cette idée fût d’abord le Foreign Office, puis le nassérisme et enfin le baassisme ne change rien à cette réalité aussi monolithique qu’obsessionnelle et en tout cas explosive pour un État comme le Liban. D’un autre côté, tous trois étaient contraints de prendre en compte l’indifférence généralisée du monde extérieur – en particulier du « monde libre », comme on dit – à l’égard du sort de cette petite République agitée dont on ne voyait pas très bien quelle était l’utilité. Dans les années quatre-vingt, un responsable du département d’État américain a tenu des propos illustrant parfaitement cette indifférence. Commentant la « complotite » aiguë des Libanais à l’époque, il a dit : « Le seul véritable complot ourdi contre le Liban, c’est qu’on l’a oublié ! » Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette double réalité, interne et externe, a changé depuis quelques années. Le monde arabe n’est plus le même, le sunnisme a abandonné son obsession arabiste et se trouve à présent ballotté en un terrible conflit entre fondamentalisme et modernité et la communauté internationale porte désormais au Liban un intérêt sans précédent dans l’histoire. Un Liban qui, pour la première fois, est regardé par les puissances pour ses qualités propres et non point comme il apparaît aux miroirs israélien et syrien. Et c’est ce moment-là que choisit le général Aoun pour modifier son discours politique et traverser l’échiquier d’un bout à l’autre. Celui qui est allé jadis et naguère jusqu’au bout de sa logique dans le refus d’envisager la moindre parcelle d’existence politique pour les communautés – il a même dirigé un gouvernement amputé de tous ses ministres musulmans sans jamais le considérer illégitime – se plaît aujourd’hui, sous prétexte de « participation », au jeu confessionnel dans sa dimension la plus étroite. Celui qui se flattait d’avoir été à l’origine de la résolution 1559 et qui, à l’automne de 2005, ouvrait encore le feu sur l’arsenal du Hezbollah, juge aujourd’hui que cet arsenal est « nécessaire en l’absence de l’État ». Ce qui est particulièrement surprenant dans l’attitude du général, ce n’est pas tant d’avoir changé si vite de chemise – après tout, cela aussi est une constante libanaise –, c’est de l’avoir fait au mauvais moment et… dans le mauvais sens. Jadis, lorsque certains chefs chrétiens jugeaient nécessaire de céder à l’étranger un peu de la souveraineté libanaise, c’était aussi dans l’objectif d’empêcher un éclatement total de l’État libanais, de préserver un minimum de Liban. Aujourd’hui, le général Aoun a adopté cette posture au moment précis où, pour la première fois dans l’histoire, le Liban avait tous les atouts en main pour enfin se construire par lui-même. Il ne fait pas de doute que Michel Aoun et ses partisans continueront à revendiquer leur souverainisme et nier toute orientation de leur part au service de l’axe syro-iranien. Il ne fait pas de doute non plus que, sur ce point, les Libanais de l’autre bord les croiront de moins en moins. Entre les deux, il y a la vérité visible. Elle est surtout faite d’attaques au vitriol, de philippiques jetant l’opprobre sur le premier gouvernement non syrien depuis des lustres, pour des causes liées au Conseil constitutionnel ou à la « participation » au pouvoir, ainsi que de silences non moins stridents après chaque manifestation de la guerre à outrance menée par Damas contre ce pays et ce même gouvernement. Elle est faite aussi d’hommages de plus en plus appuyés à un parti-État dont le comportement unilatéral a conduit l’été dernier à spolier le Liban des premiers fruits de ses rêves de prospérité, de démocratie et de renouveau. Il reste à parler de cette « participation » que souhaite renforcer le général Aoun. Pour ce qui est des chrétiens, la question qui se pose est de savoir si, précisément, la posture adoptée par le chef du CPL est la meilleure pour assurer cet objectif. Comme l’a si bien résumé Samir Frangié, le poids de la participation chrétienne au pouvoir ne se jauge pas au nombre de fonctions publiques occupées par des chrétiens. Ce sont les options politiques chrétiennes qui sont aujourd’hui au pouvoir et, finalement, c’est ce qui compte. Élie FAYAD

Le discours politique du général Michel Aoun est désormais clairement fondé, pour ce qui est de la substance, sur une équation présentant une antinomie de base : comment concilier un éloignement progressif mais qui paraît inéluctable vis-à-vis des options libanistes traditionnelles du christianisme politique libanais avec une posture de champion des droits et de la participation des...