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Actualités - REPORTAGE

Pour des raisons économiques, une nouvelle guerre est improbable entre les deux pays, estime Geeta Madhavan Séparer le présent du passé est une démarche essentielle pour résoudre le conflit du Cachemire Dossier réalisé par Antoine AJOURY

Alors que le Pakistan célèbre aujourd’hui la journée nationale de solidarité avec le Cachemire, de l’autre côté de la frontière, l’Inde envisage le conflit autour de cette région d’une manière différente. Geeta Madhavan, docteur en droit et spécialiste du terrorisme international, explique à « L’Orient-Le Jour » la question du Cachemire du point de vue indien. «Le conflit du Cachemire intrigue les analystes politiques depuis plusieurs décennies tant par sa simplicité que par sa complexité. Les problèmes ont émergé comme un héritage postcolonial. Il faudrait toutefois réfléchir sur l’exactitude des événements historiques pour bien cerner le sujet. L’année 1947 est ainsi considérée comme étant un tournant dans l’histoire du pays puisqu’à cette époque, l’Inde s’est libérée du joug britannique suite à une longue lutte pour l’indépendance. Cette année aussi, le sous-continent indien a été divisé en deux pays, l’Inde et le Pakistan, selon un critère religieux », affirme Geeta Madhavan. Selon la juriste indienne, « l’article 370 de la Constitution indienne accorde un statut spécial à l’État de Jammu-et-Cachemire. Créé pour résoudre certains conflits politiques, ce statut spécial a été à l’origine de plusieurs problèmes émergents. La loi a en fait garanti la prédominance de l’élite musulmane au Cachemire au détriment de la classe populaire musulmane et de la minorité hindoue qui représente 7 % de l’ensemble de la population, suscitant ainsi une grande amertume. Par ailleurs, l’abîme entre les hindous et les musulmans n’a cessé de s’élargir puisque le statut spécial accordé par l’article 370 à l’État de Jammu-et-Cachemire a été interprété comme un texte accordant à cette région le statut d’entité distincte de l’Union indienne ». En effet, Mme Madhavan considère que l’interprétation de cet article « a encouragé la politique de sécession de l’Union indienne qui a justifié plus tard la politique d’autodétermination ». Par ailleurs, la spécialiste indienne estime que « les différents changements politiques dans le monde ont créé de nouveaux intérêts stratégiques dans la région. Dans les années 80, les États-Unis ont ainsi acheminé des armes à travers le Pakistan à l’intention des rebelles afghans qui combattaient les troupes soviétiques. Les moujahidine afghans opéraient à partir de leur QG à Peshawar, au Pakistan. Rapidement, après le retrait des troupes soviétiques en 1989, les réserves d’armes et d’équipements au Pakistan destinées aux moujahidine afghans se sont retrouvées entre les mains des services de renseignements pakistanais. Ces derniers ont alors ravitaillé les groupuscules terroristes au Cachemire et une nouvelle guerre par procuration a débuté. Après la fourniture d’armes et d’équipements, la mise en place de camps d’entraînement, l’assistance technique pour l’infiltration transfrontalière, le terrorisme transfrontalier a rapidement pris son essor et a coûté la vie à des centaines de personnes ». Ces actions terroristes « visaient à affaiblir l’Administration de l’État de Jammu-et-Cachemire et à déstabiliser l’Inde ». C’est ainsi que « des attentats à la voiture piégée, des enlèvements et des assassinats ont forcé le gouvernement indien, en 1990, à diriger directement cette région. Mais la violence contre les minorités n’a pas pour autant diminué. Le mouvement séparatiste au Cachemire a atteint de grandes proportions, d’autant qu’il était appuyé par un grand nombre de cellules terroristes dont la cause a été ouvertement épousée par le Pakistan. Ce dernier justifiait cette lutte par la volonté de libérer le Cachemire et de satisfaire le droit à l’autodétermination du peuple. L’ancien Premier ministre, Benazir Bhutto, parlait d’une guerre de mille ans pour libérer le Cachemire », rappelle Mme Madhavan. « Bien que l’Inde attirât constamment l’attention de la communauté internationale sur le rôle du Pakistan dans le financement et l’entraînement des organisations terroristes, comme sur le rôle des services de renseignements pakistanais, ce n’est qu’après les attentats du 11 septembre 2001 perpétrés par les fondamentalistes musulmans d’el-Qaëda que les États-Unis et la communauté internationale ont pris conscience du terrorisme transfrontalier contre lequel l’Inde luttait depuis plusieurs décennies », explique cette spécialiste en matière de terrorisme international. Il est à noter, ajoute-t-elle, que, « dans sa lutte contre le terrorisme, l’Inde n’a jamais eu recours à des mesures excessives de répression tel qu’observé dans le monde après le 11 septembre. Et ce bien que la violence dans le Cachemire ait été à l’origine d’innombrables décès et de la fuite de plus de 250 000 personnes ». Pour Mme Madhavan, « l’Inde lutte contre ce problème depuis plusieurs décennies. Aucune solution concrète n’a toutefois émergé – et n’émergera pas – tant que ce conflit est considéré comme simple avec quelques points à résoudre ». « Les raisons historiques sont profondément ancrées. Toutefois, séparer le présent du passé est une démarche essentielle pour résoudre le conflit », explique-t-elle, ajoutant qu’il existe « deux dimensions au problème du Jammu-et-Cachemire. Celle interne qui concerne la population (musulmane) et la dimension externe qui menace la paix et la sécurité de l’Inde. Mais dans les deux cas, il est important de se rappeler que cette région est une partie intégrante de l’Inde, selon les normes internationales ». Selon elle, « le problème du Cachemire ne surgit pas du simple besoin de la population à être gouvernée et à vivre comme elle le souhaite, un besoin qui pourrait néanmoins être satisfait sous le régime démocratique indien. En effet, le Pakistan et la Chine estiment que le Cachemire est une région politiquement stratégique ». « Nombreuses sont en fait les preuves de l’intérêt que porte également la Chine à la région dans le but d’en faire une zone tampon sino-pakistanaise avec l’Inde. Il est par conséquent clair, souligne Mme Madhavan, que l’Inde doit traiter le problème du Cachemire au sein de son territoire pour préserver sa sécurité nationale. Pour apaiser les doutes de la population dans la région, les questions qui doivent être posées demeurent en relation avec la gouvernance. Si l’on doit continuer à opposer une réponse militaire au séparatisme, il faut également recourir à une bonne politique de gouvernance, à une administration appropriée et au développement économique soutenu pour saper la cause de ces groupuscules. » Geeta Madhavan aborde enfin la question du Cachemire à la lumière de l’équilibre nucléaire entre l’Inde et le Pakistan. « Une tentative de résoudre le problème a été notée, puisque les deux pays ont fait preuve d’une bonne volonté pour dialoguer avec une certaine ouverture, souligne-t-elle. Reste à savoir jusqu’à quel degré ce dialogue est appuyé sur le plan politique. Le fait que l’Inde et le Pakistan soient des puissances nucléaires, ne pouvant pas par conséquent prendre des décisions impulsives sur des frappes atomiques, a été corroboré par les derniers événements lorsque les deux pays étaient sur le point de se déclarer la guerre, mais ont dû se rétracter suite aux pressions internationales. Cela n’exclut toutefois pas des événements inquiétants, d’autant que les États ont souvent déclaré la guerre pour des raisons plus futiles. » Cependant, Mme Madhavan estime que l’Inde et le Pakistan ne peuvent pas se permettre une guerre pour des raisons économiques. Étant une puissance économique en développement, l’Inde aspire en fait à devenir un acteur central dans la région. Le Pakistan, de son côté, dépend d’autres acteurs de la région pour soutenir son économie. Par ailleurs, « si le conflit est étudié indépendamment du contexte historique, il y a une forte chance que l’Inde et le Pakistan parviennent à une entente », conclut-elle.
Alors que le Pakistan célèbre aujourd’hui la journée nationale de solidarité avec le Cachemire, de l’autre côté de la frontière, l’Inde envisage le conflit autour de cette région d’une manière différente. Geeta Madhavan, docteur en droit et spécialiste du terrorisme international, explique à « L’Orient-Le Jour » la question du Cachemire du point de vue indien.
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