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INSTALLATION - Mireille Honein dévoile ses « Piliers du pouvoir » chez Janine Rubeiz La danse avec la mort

Entrer dans l’espace des captifs amoureux, c’est entrer dans la danse. Dans la re-présentation. Pire: c’est entrer en représentation; la porte franchie, chaque spectateur devient actant, acteur peut-être. Ni prologue, ni préliminaires, ni entrée en matière; la porte franchie, c’est le c(h)œur de la tragédie; on dirait un plan-séquence bicolore d’une Leni Riefenstahl sous ecstasy et que l’Adolf regarderait dans son bunker, en boucle, juste avant son suicide. Alors, chaque spectateur dialogue, rétines presque collées, avec son probable double, clone haï/chéri, éponge perméable à mort et décérébrée ou alors mannequin au bras levé et figé par l’infernale résine du bel rouh bel dam répété ad libidum. C’est l’infini théâtre de la cruauté. C’est un crachat pur, âpre, sans complaisance; en même temps, l’entêtant chant d’une studieuse et savante sirène: chaque spectateur se retrouve face-à-face avec l’hideuse image de ce qu’il pourrait devenir, de ce qu’il se doit d’éviter, et, en même temps, se faisant honteusement draguer, entend éponges et mannequins hurler les vertus de cet insensé confort que seule l’allégeance au chef, au dictateur, peut offrir. Chaque Alice devra choisir: le miroir se brise ou se traverse. C’est tellement plus simple, plus reposant de le traverser; d’arrêter de chercher la frontière entre le bien et le mal, d’arrêter de chercher des réponses, des vérités, le droit, le devoir, l’identité. C’est tellement plus simple, plus reposant, au-delà du miroir, à l’abri dans la masse informe, uniforme, monochrome des éponges et des mannequins, à l’abri dans cette fosse commune où viennent volontiers se diluer toutes les différences, tous les ADN, toutes les volontés, tous les Autres, à l’abri dans la sacralisation du chef et les chants de son culte, à l’abri dans ce creuset où se reconstituent, insidieusement, où se programment, sournoisement, des bombes à retardement, humaines, trop humaines, ces éradicateurs plus dangereux encore que ceux d’Enki Bilal et dont la moindre des cibles sera, outre la mémoire, la culture et l’histoire, l’État... Victimes et à la fois complices, volontaires ou pas, de ce massacre: ces (trois) piliers du pouvoir, gangrenés, rongés à la base, pervertis ou souillés; ces colonnes où est venue se greffer, insouciante, pas soupçonneuse, finalement si sotte, la confiance d’un peuple. Mais les piliers s’en foutent: un poste, quand on l’a, on le garde, et tant pis si on le dilapide jusqu’à le vider de toute légalité, de toute substance. Ne pas traverser le miroir tendu par les éponges et les mannequins; au contraire, le briser, c’est refuser d’abdiquer. De livrer cet inestimable quelque chose clés en mains. Salutaire mais douloureuse et dangereuse entreprise, surtout que rien n’est jamais acquis: cela s’appelle entrer en résistance. C’est-à-dire supporter la marge, les maquis, les soifs, les manques, pour que triomphe toujours la lumière, pour que s’écroulent les obscurantismes, les fascismes, les tutelles. C’est long, c’est loin, c’est rude; les éponges et les mannequins sont innombrables, les piliers du pouvoir (désormais) inutiles. Ne pas traverser le miroir, c’est surtout essayer de ramener vers le point du jour celles et ceux, femmes et hommes dans leur nuit, éponges et mannequins, qui l’ont fait. C’est leur montrer combien et comment ici ce n’est peut-être pas plus ou moins beau, mais c’est plus libre, plus clair, plus grand. Dangereuse et douloureuse entreprise: les laisser, ces frères et sœurs de lait, de cèdre, de l’autre côté du miroir, c’est risquer de voir ces victoires contaminées, malades mais victoires quand même, cette démocratie bancale mais démocratie quand même, cette souveraineté bancale mais souveraineté quand même, liberté, égalité, modernité, ouverture aux mondes bancale mais réelles quand même, c’est les voir se métastaser, se désincarner, disparaître. Les laisser de l’autre côté du miroir, c’est risquer de voir exploser à n’importe quel moment ces grenades à leurs pieds, ces grenades qu’ils sont eux-mêmes devenus, marionnettes à mort, marionnettes de mort. Sauf que pour apprivoiser la mort, pour l’éloigner, il faut s’en approcher au plus près; pour centupler et pérenniser tous les I love life du monde, il faut danser avec la mort. Dans sa correspondance avec Clément Camus, Louis-Ferdinand Céline dit qu’il n’y a pas d’art possible sans danse avec la mort. Cela tombe bien. Entre les murs de chez Janine Rubeiz, jusqu’au 3 février, l’art de Mireille Honein ressemble à un saisissant tango. Avec la mort. Pour la vie. Ziyad MAKHOUL

Entrer dans l’espace des captifs amoureux, c’est entrer dans la danse. Dans la re-présentation. Pire: c’est entrer en représentation; la porte franchie, chaque spectateur devient actant, acteur peut-être. Ni prologue, ni préliminaires, ni entrée en matière; la porte franchie, c’est le c(h)œur de la tragédie; on dirait un plan-séquence bicolore d’une Leni Riefenstahl sous...