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Actualités - OPINION

Commentaire Homosexualité et morale

par Peter SINGER* Depuis quelques années, la Hollande, la Belgique, le Canada et l’Espagne reconnaissent le mariage entre personnes de même sexe. Dans d’autres pays, il existe des unions civiles qui s’en rapprochent. Encore plus nombreux sont les pays dont la législation interdit les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle d’une personne, dans des domaines tels que l’emploi ou le logement. Pourtant, dans la plus grande démocratie du monde, l’Inde, les relations sexuelles entre deux hommes restent un crime passible, dans certains cas, de la prison à perpétuité. Certes, l’Inde n’est pas le seul pays à punir sévèrement l’homosexualité. Dans plusieurs pays musulmans (par exemple l’Afghanistan, l’Iran, l’Irak, l’Arabie saoudite ou le Yémen) la sodomie est un crime qui peut valoir la peine de mort. Le maintien de ce type de loi est plus facile à comprendre dans les pays qui intègrent les préceptes religieux dans leur code pénal – même si d’autres pays le déplorent – que dans une démocratie laïque comme l’Inde. Quiconque s’est rendu en Inde et a vu les gravures explicitement sexuelles qui ornent de nombreux temples sait que la tradition hindoue est bien moins pudibonde à l’égard du sexe que le christianisme. En Inde, l’interdiction de l’homosexualité date de 1861, lors de la domination du sous-continent par les Britanniques qui imposèrent leur morale victorienne. Il est paradoxal de constater que la Grande-Bretagne a abrogé de longue date cette prohibition, alors que l’Inde conserve ce vestige de l’ère coloniale. Heureusement, dans ce pays, cette interdiction n’est pas appliquée. Néanmoins, elle permet de faire du chantage ou de harceler les homosexuels et rend plus difficile l’éducation en matière de sida et de VIH. Vikram Seth, auteur du roman intitulé A Suitable Boy (Un garçon convenable) et d’autres romans de qualité, a récemment publié une lettre ouverte au gouvernement indien dans laquelle il demande l’abrogation de la loi qui criminalise l’homosexualité. Beaucoup d’Indiens connus se sont joints à lui pour signer cette lettre et d’autres soutiennent sa position, notamment Amartya Sen, le prix Nobel d’économie. Cette loi est actuellement contestée devant la juridiction la plus élevée à Delhi. À l’époque où l’Inde adoptait la loi qui interdit la sodomie, John Stuart Mill écrivait son célèbre essai, De la liberté, dans lequel il mettait en avant le principe suivant : « Une communauté civilisée ne peut exercer la contrainte contre l’un de ses membres que pour l’empêcher de nuire à autrui… Le faire pour son propre bien, sur le plan moral ou physique, ne constitue pas un motif suffisant… L’individu a entière souveraineté sur lui-même, sur son corps et sur son esprit. » Le principe de Mill ne fait pas l’unanimité. H.L.A. Hart, un brillant philosophe du droit de nationalité britannique, est quant à lui favorable à une partie seulement de ce principe. Il estime que l’État ne doit pas exercer une contrainte sur une personne pour la protéger physiquement ou moralement, alors que pour Hart, son intervention est justifiée si l’individu risque d’agir contre son propre intérêt, dans la mesure où l’atteinte à sa liberté est mineure. Ainsi, l’État peut légitimement imposer de boucler la ceinture de sécurité en voiture ou de porter un casque à moto. Mais Hart faisait une distinction claire entre cette forme de paternalisme judiciaire et le moralisme judiciaire. Il rejetait l’interdiction d’actes qui ne portent pas atteinte à l’intégrité physique d’autrui et qui sont exclusivement fondées sur des considérations morales. De son point de vue, l’État ne peut criminaliser l’homosexualité en arguant de son « immoralité ». Ce point de vue est critiquable dans la mesure où l’on peut se demander pourquoi le paternalisme judiciaire serait justifié, alors que le moralisme judiciaire ne le serait pas. Les partisans de cette distinction disent souvent que l’État doit rester neutre lorsque des valeurs morales contradictoires sont en concurrence, mais est-ce possible ? Si j’étais favorable au moralisme judiciaire, je dirais que décider que le plaisir de faire de la moto les cheveux au vent ne mérite pas de prendre le risque d’une blessure à la tête en cas d’accident, relève d’un jugement moral, par ailleurs largement partagé. L’interdiction de l’homosexualité se fonde sur l’idée que les relations sexuelles entre personnes consentantes de même sexe sont immorales. Mais cet argument est des plus contestables. On dit parfois que l’homosexualité est condamnable parce que « contraire à la nature », ou encore en tant que « perversion de la sexualité », celle-ci ayant une fonction exclusivement reproductrice. Mais à ce compte-là, on peut tout aussi bien dire que les édulcorants de synthèse qui remplacent le sucre constituent une « perversion du goût » qui aurait pour fonction de nous permettre d’identifier les aliments nourrissants. Prenons garde à ne pas identifier ce qui est « naturel » à ce qui est « bon ». Les relations homosexuelles seraient-elles immorales parce qu’elles ne conduisent pas à la reproduction ? Ce serait un argument bien étrange pour interdire la sodomie dans un pays aussi surpeuplé que l’Inde qui encourage par ailleurs la contraception et la stérilisation. Si une relation sexuelle est satisfaisante pour les partenaires et ne porte préjudice à personne, en quoi serait-elle immorale ? Le problème sous-jacent à l’interdiction de l’homosexualité n’est pas que l’État utilise la loi pour imposer une morale dans la vie privée des citoyens, mais que la loi se base sur une idée fausse, à savoir que l’homosexualité serait immorale. * Peter Singer est professeur de bioéthique à l’Université de Princeton. Il a écrit avec Jim Mason un livre intitulé The Way We Eat: Why Our Food Choices Matter. © Project Syndicate, 2006. Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
par Peter SINGER*

Depuis quelques années, la Hollande, la Belgique, le Canada et l’Espagne reconnaissent le mariage entre personnes de même sexe. Dans d’autres pays, il existe des unions civiles qui s’en rapprochent. Encore plus nombreux sont les pays dont la législation interdit les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle d’une personne, dans des domaines tels que...