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Actualités - OPINION

Aide humanitaire : l’envers du décor

Vendredi 1er septembre, région de Marjeyoun-Hasbaya, dans le sud du Liban. Nous sommes dans une salle de la section locale de Caritas Liban. Une réunion importante se tient entre les responsables locaux de cet organisme humanitaire catholique et l’équipe du Centre des migrants de Caritas Liban, venue la veille de Beyrouth pour distribuer des colis alimentaires et des produits d’hygiène aux habitants des villages de la région. La veille, 350 kits avaient été distribués aux 1 200 familles du village de Ebl el-Saki, composé pour 60 % de druzes et 40 % de chrétiens. La discussion principale porte sur la pertinence des distributions dans cette partie du Liban, alors que le programme initial prévoyait de cibler les populations de la Békaa-Ouest. Tous les membres de l’équipe du Centre des migrants s’étaient rendu compte que les familles, toujours contentes de recevoir des denrées, ne savaient pourtant plus trop qu’en faire et songeaient même à les vendre, car elles recevaient depuis plusieurs semaines des aides similaires venant de toutes sortes d’organismes. Enquête faite, des distributions récentes de produits alimentaires et d’hygiène avaient été effectuées par CRS (Caritas États-Unis), Mercy Corps, la Croix-Rouge internationale, le Croissant-Rouge de deux pays différents, Médecins du monde, Wordvision, les Églises protestantes et orthodoxe, le Hezbollah... Les habitants de cette région étaient à ce point saturés de denrées qu’ils désertaient les commerces locaux, qui risquaient de fermer leurs rideaux. Le président de la municipalité s’en était vivement inquiété devant moi. Bref, raisonnablement, il ne fallait plus continuer de délivrer ces colis dans cette région et les réserver pour les habitants de la Békaa ou du Nord, dont les villages n’avaient certes pas été bombardés, mais qui subissaient durement les conséquences économiques de la guerre. Continuez de distribuer L’équipe locale de Caritas, menée par un prêtre de la paroisse, se rangea à cette analyse. Joëlle, la coordinatrice de ce programme, tenta de joindre son siège de Beyrouth par téléphone. L’attente dura toute la matinée. La réponse de la directrice du Centre des migrants fut sans appel : « Continuez de distribuer dans la région. » Incompréhension et résignation de tous, mais que pouvaient faire d’autre ces quatre jeunes assistantes sociales, sauf à risquer de perdre leur emploi ? Vraisemblablement, la majorité des autres ONG travaillant dans ce même domaine avait pris des décisions identiques. On pouvait d’ailleurs croiser leurs véhicules filant sur les routes de la région et observer leurs colis déposés à la hâte dans quelques salles dépendant des municipalités. Aussi surprenant – et choquant – que cela puisse paraître pour un non-initié à la gestion des situations d’urgence par les organismes humanitaires, ceux-ci agissent en fonction de deux impératifs : se débarrasser au plus vite de leurs stocks et « planter leur drapeau » sur le terrain. Je m’explique. Le cessez-le-feu a surpris tout le monde au moins autant que le déclenchement des hostilités. Dans l’urgence, les crédits ont été ouverts, les contrats avec les principaux bailleurs de fonds (comme ECHO, l’organisme humanitaire de l’Union européenne) signés, les denrées acheminées ; rien d’extraordinaire et rien d’anormal non plus. Or, après la fin des combats, on s’est vite aperçu que les besoins étaient heureusement bien moins importants qu’envisagés. Par ailleurs, et même si la réactivité des ONG fut extrêmement rapide, le Hezbollah les devança dans beaucoup de domaines. Dans tous les villages touchés par les bombardements, les familles sinistrées furent immédiatement prises en charge, chacune d’elles recevant 12 000 $ à titre provisoire, pour tenir le coup et se reloger pendant une année. Certes, il restait des laissés-pour-compte de ces opérations, mais on ne pouvait plus considérer la situation de la majeure partie des familles des villages bombardés comme critique. Il faut continuer de distribuer dans le Sud. Pourquoi ? « Planter son drapeau » Pour « planter son drapeau », c’est-à-dire pour assurer sa propre visibilité. Les grandes ONG internationales sont en compétition les unes avec les autres sur tous les terrains de guerre et de catastrophe du monde. Elles doivent se faire connaître des bailleurs de fonds et de leurs donateurs. Ce n’est pas en distribuant leurs denrées dans la plaine de la Békaa qu’elles parviendront à cette fin. Le monde entier, à travers les médias, a les yeux tournés vers le Liban-Sud, nulle part ailleurs dans le pays, « where the action is » ! Chacun veut non seulement être présent sur ce territoire, mais aussi « marquer à la culotte » ses concurrents. Une attitude classique mais particulièrement flagrante dans un pays comme le Liban, où les groupes religieux sont nombreux. Dans cette perspective, on comprend que le catholique Centre des migrants de Caritas Liban ait décidé de poursuivre ses distributions dans une région déjà saturée de cette forme d’aide. Jean-Dominique BUNEL
Vendredi 1er septembre, région de Marjeyoun-Hasbaya, dans le sud du Liban. Nous sommes dans une salle de la section locale de Caritas Liban. Une réunion importante se tient entre les responsables locaux de cet organisme humanitaire catholique et l’équipe du Centre des migrants de Caritas Liban, venue la veille de Beyrouth pour distribuer des colis alimentaires et des produits d’hygiène...