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Actualités - OPINION

La dent de Brammertz

De tous les minutieux détails contenus dans le très technique rapport Brammertz, c’est l’annonce de la découverte d’une dent sur les lieux de l’attentat du 14 février 2005 qui aura suscité les commentaires les plus mordants et pas mal de grincements de dents. Une dent?! Eh bien, oui, une dent. On savait depuis longtemps qu’en médecine légale, la dentition permet d’identifier une victime, surtout lorsqu’elle a fait l’objet de soins et possède un dossier dentaire. Depuis peu, des traces de dents permettent d’identifier un coupable, qu’il ait jeté un chewing-gum (mâché), croqué une pomme en «visitant» un logis, ou mordu sa victime. Il n’y a pas deux dentitions identiques, même entre vrais jumeaux. Les analyses, les comparaisons et des moulages compliqués, associés à différents calculs tout aussi compliqués, permettent d’identifier avec précision un coupable. Mais on peut compter désormais sur l’identification dentaire pour aller encore plus loin et M. Brammertz n’essayait pas de nous donner un os à ronger avec cette dent. Nous savons déjà par le rapport que les analyses ont permis de rattacher cette dent à d’autres éléments dont l’examen a révélé qu’ils appartenaient à un individu qui se serait fait sauter avec la charge colossale destinée à liquider M. Hariri. Et cette dent a une caractéristique particulière, au niveau de la couronne, qui a permis au juge Brammertz d’affirmer que l’individu en question n’était pas un Libanais. L’odontologie ou la dentisterie légale, discipline relativement récente qui compte encore peu de spécialistes dans le monde, a franchi de grands pas grâce aux recherches relatives à l’ADN et à diverses disciplines scientifiques relevant de l’anthropologie et de la génétique des populations. Les renseignements que fournit la dentition – et même une seule dent – permettent de préciser le sexe d’une personne, son âge, son métier, dans certains cas, et certaines de ses habitudes ou tics – si elle grince des dents, fume la pipe, tient des outils entre ses dents. Ces renseignements peuvent aussi, et nous en arrivons au point le plus intéressant, indiquer son origine ethnique, par l’analyse comparative d’un certain nombre de critères relatifs à la forme, la taille et la constitution de la dent. D’où la précision du rapport Brammertz concernant le détail caractéristique de la dent retrouvée. En outre, il semble que l’émail des dents révèle le profil minéral de la région où une personne est née, tandis que d’autres caractéristiques peuvent, dans certains cas, indiquer avec précision où une personne a passé l’essentiel de sa vie, quelle que soit son origine ethnique. Donc l’individu n’est pas libanais et la suite des analyses permettra de dire quelle était son origine ethnique et/ou son lieu de naissance. Tout cela n’est pas banal surtout s’agissant du Liban qui, à lui seul, est déjà un formidable creuset humain, comme toutes les régions qui ont, depuis des millénaires, connu des successions de migrations et de conquêtes. Toute volonté d’appartenance identitaire ou idéologique étant mise à part, les Libanais ne sont pas issus des mêmes groupes ethniques à l’origine et, par groupes ethniques, on n’entend pas seulement des groupes de langue différente. La notion selon laquelle le Liban est peuplé majoritairement d’Arabes avec une petite proportion d’Arméniens et de Kurdes est politiquement et sans doute linguistiquement correcte, mais anthropologiquement fausse; les personnes et les peuples ayant la langue arabe en commun n’appartenant pas nécessairement aux groupes issus de la Péninsule arabique. Sans remonter (quoique la science le fasse) jusqu’aux Phéniciens, Assyriens, Romains, Grecs, Hittites, Égyptiens, Akkadiens, Araméens et autres peuples de l’Antiquité haute ou tardive qui ont laissé des traces dans notre profil génétique, on sait que la population du Liban est constituée de plusieurs groupes. Ceux-ci sont venus en nombres plus ou moins importants à différents moments de l’histoire récente (relativement): Araméens-Syriaques, Arabes (de la Péninsule), Perses/Iraniens, Kurdes, Turciques, Éthiopiens, Slaves, Arabo-Berbères d’Afrique du Nord, juifs d’Espagne et d’Afrique du Nord, Arméniens. La typologie ou la répartition anthropologique ou génétique des groupes humains est différente de leur répartition raciale, linguistique et ethno-religieuse au sens large et la science prend en compte l’existence ou l’absence de métissages entre les groupes dans une région donnée et le fait que plusieurs régions peuvent présenter des profils similaires sans être pour autant contiguës. Une foule de facteurs doit donc avoir été prise en compte pour affirmer avec assurance que l’homme à la dent n’était pas un Libanais, et l’on attend avec impatience le résultat des analyses, complexes on s’en doute, qui diront d’où il venait et en quoi son origine a une incidence ou pas sur l’affaire. On aura alors quelque chose à se mettre sous la dent... Jana TAMER
De tous les minutieux détails contenus dans le très technique rapport Brammertz, c’est l’annonce de la découverte d’une dent sur les lieux de l’attentat du 14 février 2005 qui aura suscité les commentaires les plus mordants et pas mal de grincements de dents. Une dent?!
Eh bien, oui, une dent. On savait depuis longtemps qu’en médecine légale, la dentition permet...