Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Un bazar ambigu

Quatre-vingt-huit ans après le départ des Ottomans, ce sont des troupes turques qui reviennent au Liban, au sein de la Finul Plus. Après de longues tergiversations, le Parlement turc a voté mardi dernier à une large majorité l’envoi d’un millier de soldats. Les modalités, le lieu et la date de leur déploiement sont encore à établir, mais à Ankara, à Beyrouth et ailleurs dans le monde, ce déploiement soulève des questions et ravive des souvenirs. Il ne fait pas de doute que la participation de la Turquie vise essentiellement à inclure dans cette force un élément à la fois sunnite et « islamique », dans le dessein de rassurer autant les régimes arabes sunnites favorables à la résolution 1701, que le Hezbollah, sensible à l’islamisme du parti de la Justice et du développement (AKP) au pouvoir à Ankara. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan avait fermement dénoncé les violences israéliennes contre les populations civiles et musulmanes du Liban. Les objections extérieures à l’envoi de forces turques ont fait l’objet de mises au point et d’assurances de la part de tous les partisans de cette participation, en tête desquels figurent les États-Unis. Ceux-ci souhaitent depuis longtemps voir la Turquie jouer un rôle plus actif au Moyen-Orient dans le cadre d’une politique internationale, d’une part pour promouvoir l’adhésion du pays à l’Union européenne et, d’autre part, pour tenter d’établir un semblant d’équilibre face à l’Iran dans la région. Pour faire face aux objections israéliennes relatives à l’islamisme de l’AKP, arrivé au pouvoir en 2002, et à ses contacts récents avec des membres du Hamas palestinien, le ministre turc des Affaires étrangères Abdallah Gül et son homologue américaine Condoleezza Rice ont fait une déclaration commune à Washington soulignant « la vision stratégique partagée » entre les deux pays. En outre, de tous les pays majoritairement sunnites pressentis pour participer à la force internationale, la Turquie seule reconnaît l’existence d’Israël et fait partie de l’OTAN. Plus important encore, le 30 août, le chef d’état-major Hilmi Özkök était remplacé par le général Yasar Büyükanit, farouche défenseur de la laïcité. L’Iran aurait fait savoir qu’il ne s’opposera pas à ce déploiement et la Syrie, à l’occasion de la visite de Abdallah Gül à Damas, est allée jusqu’à offrir le passage à travers son territoire aux troupes turques. Après des années de relations conflictuelles avec Ankara, au sujet du partage des eaux de l’Euphrate et de la question kurde, Damas aurait donné son accord dans le but de réduire son isolement régional et de faire un geste indirect envers les États-Unis. La presse turque affirme que le Hezbollah aurait officieusement donné son accord, préférant une armée turque très marquée par la culture de la laïcité chère à Atatürk à des troupes d’autres pays sunnites dont il pourrait craindre l’hostilité séculaire aux chiites et sensible au fait que le parti au pouvoir en Turquie avait critiqué l’offensive américaine en Irak. La réaction positive présumée, autant de l’Iran que du Hezbollah, ne manque pas d’étonner, vu la crise actuelle du nucléaire iranien et en regard d’un passé encore vivace dans les mémoires. La Perse et l’Empire ottoman ont connu des siècles de guerres jusqu’au début du XXe siècle. Au Moyen-Orient, toutes les communautés ont conservé un souvenir exécrable des Ottomans, sauf peut-être les sunnites, coreligionnaires des dirigeants, bien que le mépris souverain que les Ottomans ont toujours manifesté envers les Arabes ait laissé des traces. L’intolérance ottomane envers les minorités, qui a pu connaître des assouplissements selon les lieux, les temps et les pressions en ce qui concerne les chrétiens et les druzes, ne s’est jamais démentie contre les chiites, surtout au Jabal Amel et tout particulièrement du temps de l’insatiable et sanguinaire Ahmed Pacha dit al-Jazzar (le bourreau), gouverneur de la province de Saïda à la fin du XVIIIe siècle. Mais, en visite à Ankara cette semaine, le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, a fourni des assurances autant aux Turcs qu’au Hezbollah en affirmant qu’il ne serait nullement question que les forces turques affrontent le Hezbollah ou participent à son désarmement. Les Arméniens du Liban – pour la plupart arrivés de Petite Arménie (Cilicie) et de Haute Mésopotamie après les massacres arménien et syriaque de 1915 – se sont exprimés contre la participation de forces turques à la force internationale. Selon des sources diplomatiques cependant, la France – forte de sa déclaration reconnaissant le génocide des Arméniens – serait intervenue auprès des leaderships arméniens. Signalons que la reconnaissance du génocide par Ankara demeure un préalable à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne et que le Parlement européen avait reconnu le génocide en 1987. Aujourd’hui encore, l’unanimité se maintient en Turquie sur la dénégation du génocide. C’est en Turquie que la question risque de poser le plus de problèmes. Des sondages ont révélé qu’une majorité de la population s’opposait à cette participation tout en proclamant son soutien au Hezbollah. Le Premier ministre Erdogan est en faveur du déploiement, mais le président Necdet Sezer s’y oppose. Beaucoup font valoir que la Turquie a suffisamment de problèmes internes pour ne pas se mêler de ceux des autres. On parle notamment du problème kurde, revenu sur le devant de la scène avec la série d’attentats récents dans le pays. À cela, les États-Unis ont répondu en promettant de parrainer activement une nouvelle médiation avec le PKK. La Turquie et le Moyen-Orient arabe se comportent, depuis la chute de l’Empire ottoman, comme si ce très long épisode de l’histoire n’avait quasiment pas laissé de traces. Mais de part et d’autre, on appréhende le face-à-face à venir, d’autant que le gouvernement d’Ankara a souligné l’importance de cette mission au nom de ses responsabilités « historiques et humanitaires ». Jana TAMER
Quatre-vingt-huit ans après le départ des Ottomans, ce sont des troupes turques qui reviennent au Liban, au sein de la Finul Plus. Après de longues tergiversations, le Parlement turc a voté mardi dernier à une large majorité l’envoi d’un millier de soldats. Les modalités, le lieu et la date de leur déploiement sont encore à établir, mais à Ankara, à Beyrouth et ailleurs...