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Actualités - OPINION

COMMENTAIRE SOS pour les cobayes humains Par Adil E. Shamoo*

Les médias, les législateurs et diverses organisations expriment souvent leur préoccupation au sujet des violations des droits humains à l’occasion des recherches cliniques. Les cas sont innombrables. Au cours d’une étude menée au Brésil, les cobayes humains étaient piqués par une centaine de moustiques susceptibles de leur transmettre le paludisme. Un chirurgien français a réalisé une greffe du visage sans s’appuyer sur la recherche qui accompagne habituellement les procédures à haut risque. Un sujet de 18 ans est mort lors d’un test de thérapie génétique dont l’enquête révélera qu’elle a été entachée de nombreuses négligences. On sait que les nouveaux médicaments sont testés sur des cobayes humains, mais l’on sait moins que la recherche fait appel à un plus grand nombre d’entre eux que les essais cliniques. Certains décès liés à la recherche atteignent parfois les médias, mais leur nombre réel est plus élevé. En raison de l’insuffisance de données en la matière, même les experts et les instances chargées de superviser l’emploi de cobayes humains ignorent le nombre exact de décès et d’accidents. Le nombre de testeurs humains dépasse celui des besoins légitimes de la recherche médicale pour améliorer les soins qui sont dispensés au cours d’une vie humaine dont la durée ne cesse de s’allonger. Aucun organisme ne recense l’étendue des atteintes portées aux cobayes humains utilisés par la recherche, que ce soit aux États-Unis ou ailleurs dans le monde. Selon mes estimations, rien qu’aux États-Unis, les cobayes humains sont plus de 20 millions et, au niveau de la planète, probablement plus de 50 millions, la moitié d’entre eux servant à tester les médicaments. Ces nombres ahurissants traduisent l’énorme responsabilité des citoyens et des gouvernements. Le problème éthique immédiat qui se pose est le préjudice résultant de toute une gamme d’abus, d’accidents parfois mortels et d’atteinte à l’intégrité physique dont sont victimes des sujets qui ne se doutent de rien. Beaucoup d’entre eux sont pauvres, peu éduqués et dépourvus de moyens d’action politique. Certains n’ont pas les moyens de donner leur consentement éclairé en raison d’un handicap mental ou cognitif, ou alors ils sont victimes de coercition, d’un manque de contrôle et de conflits d’intérêt. La distribution des risques et des avantages liés à ces essais est contestable dans la mesure où les cobayes se recrutent surtout parmi les éléments les plus vulnérables de la société. Le magazine Bloomberg Market a publié récemment un long article sur une importante société de recherche contractuelle qui a mené en Floride des essais cliniques sur des sans-papiers d’Amérique latine qu’elle menaçait de dénoncer au ministère de l’Intérieur s’ils se plaignaient des risques qu’on leur faisait courir. Et ce n’est qu’un exemple. Dans le monde entier, il n’existe aucun système de protection pour les cobayes humains, ou alors quand il existe, il est très imparfait. Aux États-Unis, il comporte trois niveaux : la réglementation fédérale, le contrôle institutionnel et les obligations éthiques des chercheurs. Mais il comporte un grand nombre d’insuffisances et d’oublis. Au niveau fédéral, la réglementation ne s’applique qu’à la recherche sous financement public et aux établissements qui veulent obtenir une licence pour un médicament, ce qui concerne probablement 60 à 70 % des cobayes humains, mais personne ne connaît les véritables chiffres. A contrario, depuis 1966, la réglementation des expérimentations animales protège tous les animaux, et ce, quelle que soit l’origine du financement. Plus bas dans la chaîne de contrôle, les institutions de recherche sont supposées « gérer » elles-mêmes tant leurs propres conflits d’intérêt que ceux de leurs chercheurs. Pourtant, beaucoup d’institutions et de chercheurs ont un intérêt financier dans les études qu’ils mènent. La plupart des chercheurs ont peu ou pas de connaissance dans le domaine éthique et dans le respect de la réglementation, car ce n’est pas un passage obligé de leur formation. Les groupes qui militent pour une meilleure protection des cobayes humains – tels que les Citizens for Responsible Care and Research (Citoyens pour une recherche et des soins responsables), (www.circare.org), une organisation de défense des droits humains que j’ai cofondée il y a 10 ans – ont proposé une loi qui couvrirait l’ensemble des expérimentations faisant appel à des cobayes humains. Mais il est peu probable qu’elle soit adoptée de sitôt. Aux États-Unis et, sans doute, dans le reste du monde, l’opposition à une véritable réglementation de l’expérimentation humaine émane de deux groupes : l’industrie pharmaceutique et les universités. Les objections de l’industrie se limitent à la question du coût supplémentaire que cela engendrerait, mais les objections des universités sont plus troublantes, dans la mesure où le respect de l’éthique dans la recherche va dans le sens de leur intérêt à long terme. Dans les deux cas, la protection efficace des cobayes humains devrait être une priorité qui justifie le modeste surcoût qu’elle entraînerait, probablement pas plus de 1 ou 2% du prix de revient des essais cliniques. La recherche et les essais cliniques ont comme objectif l’intérêt général. La protection, la santé et la dignité des êtres humains dont ils se servent doivent être garantis. * Le Dr Adil Shamoo est professeur à la faculté de médecine de l’Université du Maryland et rédacteur en chef de la revue Accountability in Research (Responsabilité dans la recherche). © Project Syndicate. Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz. RUBRIQUE RÉALISÉE PAR NADA MERHI
Les médias, les législateurs et diverses organisations expriment souvent leur préoccupation au sujet des violations des droits humains à l’occasion des recherches cliniques. Les cas sont innombrables. Au cours d’une étude menée au Brésil, les cobayes humains étaient piqués par une centaine de moustiques susceptibles de leur transmettre le paludisme. Un chirurgien français a...