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Actualités - OPINION

Une initiative libanaise

Par Chibli MALLAT * En temps de crise aiguë, Jean Monnet nous conseille de penser avec créativité ; non seulement, suivant sa phrase célèbre, sur la transformation de toute crise en opportunité, mais aussi dans la force d’initiative que révèle le premier chapitre de ses Mémoires dans sa proposition d’instaurer une union totale entre la France et la Grande-Bretagne contre l’attaque de Hitler, initiative qui était à quelques heures de réussir. Cette union aurait sans doute réduit considérablement la durée de la Seconde Guerre mondiale. En tout cas, la guerre aurait été très différente. Où peut-on espérer voir Israël, le Liban et la Palestine à la fin de cette crise ? Et comment arrêter le carnage aussi rapidement que possible ? Dans les solutions proposées, deux perceptions de la paix s’affrontent : l’une entre le Liban et Israël, l’autre régionale. Autant un arrangement aussi exhaustif que possible est séduisant, autant une solution régionale est difficile à instaurer : plus le nombre de parties est grand, plus les intérêts respectifs sont compliqués et inextricables. Le principal obstacle à une solution régionale est, dans un avenir proche, le refus d’Israël, de l’Union européenne et des États-Unis de négocier avec le Hamas comme gouvernement en Palestine. Même si un accord était envisageable, sa mise en œuvre par procuration est pratiquement impossible. Ce n’est pas le cas d’un accord plus limité, dont le point de départ est l’État libanais, partie la plus affectée par l’action unilatérale du Hezbollah et par les représailles massives d’Israël. Le gouvernement libanais doit désormais agir comme le seul agent légal au nom du pays dans toute recherche de solution. C’est également la raison pour laquelle le gouvernement libanais doit prendre l’initiative d’une résolution efficace au Conseil de sécurité. Avec mon équipe à Beyrouth et à New York, nous avons avancé un projet de résolution au Conseil de sécurité dès le premier jour du conflit, le 12 juillet. Le préambule de ce projet formule le rejet de l’action qui a provoqué la crise autant sur le plan du droit international (violation de la ligne bleue) que sur celui du droit constitutionnel libanais (initiation de la guerre par le Hezbollah, groupement non étatique). Ce projet réaffirme les résolutions précédentes au Conseil de sécurité, eu égard principalement au droit exclusif du Liban, représenté par son gouvernement, de décider de la guerre et de la paix, autre terme pour son monopole de la violence et pour sa responsabilité exclusive envers ses frontières internationales. Ce projet de résolution comporte trois propositions opérationnelles : 1.- la libération des deux soldats israéliens, 2.- des négociations entre les gouvernements israéliens et libanais par le biais du Conseil de sécurité autour des nombreuses questions litigieuses entre les deux États. Le cessez-le-feu devrait être opérationnel au début de cette deuxième phase. Une troisième proposition affaiblirait les pêcheurs régionaux et locaux en eau trouble par une éventuelle détermination par le Conseil des responsabilités pénales de tout dirigeant qui mettrait un obstacle à la mise en œuvre des deux clauses précédentes. La seconde clause est la plus importante. Elle désigne le Liban comme partie responsable sur l’ensemble de son territoire à l’exclusion de tout autre État ou organisation, tout en laissant les détails à des négociations, sous contrôle du Conseil de sécurité, sur un dossier épineux et lourd, dont les citoyens libanais dans les geôles israéliennes ne sont qu’une composante. Depuis que ce projet de résolution a été présenté, le G8 a émis la première déclaration collective à Saint-Pétersbourg autour de cette crise. Sa proposition opérationnelle porte sur un plan de quatre phases : libération des deux soldats israéliens, fin de l’action militaire du Hezbollah, fin de l’action militaire d’Israël, libération des députés et ministres palestiniens enlevés par Israël. Depuis cette déclaration, plusieurs acteurs-clés, dont l’Union européenne et le secrétaire général des Nations unies, ont proposé également le déploiement de troupes internationales sur la frontière entre Israël et le Liban, sous différentes formes. Dans une réflexion informée, Ghassan Tuéni a préconisé la reprise d’une clause de la résolution 425 qui transforme la Finul en force de combat. D’autres suggèrent l’envoi de troupes de l’OTAN. La Russie et l’Union européenne ont toutes deux fait savoir qu’elles étaient prêtes à envoyer des contingents militaires. D’autres propositions s’ajouteront bientôt à cette diplomatie intense. Contrairement à la déclaration du G8, je suis peu enclin à voir la solution libanaise officiellement liée à la question de Gaza, même si la disposition du gouvernement israélien à libérer les ministres et députés palestiniens est bienvenue. Mais la priorité est à la solution politique et diplomatique, que les troupes renforceront, mais dont elles ne peuvent se passer comme préliminaire. Dans un développement significatif, le gouvernement libanais semble avoir trouvé le moyen de surmonter la résistance du Hezbollah à ce qui peut apparaître comme une acceptation inconditionnelle des demandes d’Israël. Les soldats israéliens peuvent être remis au gouvernement libanais dans un premier temps. Jusqu’à un éventuel cessez-le-feu, le gouvernement israélien doit résister à trois tentations : la réoccupation du Liban, même limitée à une frange frontalière ; l’équation du leadership du Hezbollah avec el-Qaëda et la poursuite d’une politique d’assassinats par nature irréversible, enfin la punition de l’ensemble du Liban pour un acte qu’une faction a entrepris au nom d’une population et d’un gouvernement qui s’y opposent majoritairement. Je ne me fais pas d’illusion sur la difficulté d’une solution diplomatique, mais l’« esprit Jean Monnet » doit prévaloir, réaliste, exhaustif, visionnaire et pacifiste. * Chibli Mallat, candidat présidentiel et professeur de droit à l’Université Saint-Joseph à Beyrouth.
Par Chibli MALLAT *

En temps de crise aiguë, Jean Monnet nous conseille de penser avec créativité ; non seulement, suivant sa phrase célèbre, sur la transformation de toute crise en opportunité, mais aussi dans la force d’initiative que révèle le premier chapitre de ses Mémoires dans sa proposition d’instaurer une union totale entre la France et la Grande-Bretagne...