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Le 14 février, crime ciblé ou attentat aveugle ?

L’attentat du 14 février qui a coûté la vie à l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, à Bassel Fleyhane et à une vingtaine d’autres personnes a suscité un tel degré d’indignation qu’il a mis en branle un processus irréversible à plus d’un niveau. L’opinion traumatisée a clamé son horreur et a exigé que vérité se fasse ; elle réclamait en réalité que justice soit faite, c’est-à-dire que les coupables soient châtiés. Une fois l’affaire devant la justice, la question de la qualification juridique du crime se posera dans la sérénité des prétoires et à la lumière du rapport de la Commission d’enquête internationale. Ce sera à cette commission de rassembler les éléments qui détermineront si le crime du 14 février fut un crime ciblé pour liquider une personnalité politique ou un attentat aveugle pour semer la terreur dans la population civile. Un précédent historique Le président de la République française Paul Doumer ayant été la victime d’un attentat anarchiste en 1932, la Cour de cassation considéra qu’un tel assassinat ne constituait pas un crime politique. Elle s’exprima en ces termes : «...L’assassinat (...) par sa nature et quels qu’en aient été les motifs constitue un crime de droit commun. L’assassinat ne perd pas ce caractère par le fait qu’il a été commis sur la personne du président de la République» (CRIM., 20 août 1932, D.P. 1932.1.121). En revanche, si ce même assassinat avait été perpétré au Liban, la cour l’aurait considéré comme un crime politique et non comme un crime de droit commun. Tout est question de qualification juridique. Comme en France, notre législation pénale libanaise connaît la distinction entre crime de droit commun, crime politique et crime terroriste. Il faut rappeler cependant que les textes français et libanais sont divergents sur certains points. Le législateur libanais ayant adopté une doctrine plus personnelle (subjective), il y a nécessairement une différence de traitement d’un pays à l’autre, au niveau de la qualification juridique comme au niveau des peines infligées. Pour illustrer la question, nous dirions que si les deux tentatives de coup d’État du PPS constituent des crimes politiques en France comme au Liban, l’assassinat de Riad el-Solh aurait été considéré en France comme un crime de droit commun alors qu’il aurait été un crime politique en droit libanais. L’article 196 du Code pénal libanais dispose que sont «politiques toutes infractions intentionnelles dont l’auteur s’est déterminé par un mobile politique». Crime terroriste? «Si l’assassinat de Hariri ne constitue pas un acte terroriste, dites-moi alors votre définition de l’acte terroriste!» C’est ainsi que s’est exclamé un responsable américain, probablement à court d’arguments. En fait, il n’y a pas de définition du terrorisme agréée officiellement par les Nations unies. Les tentatives de définition du terrorisme n’ont jamais abouti du fait que les parties prenantes (les pays concernés) ne parvenaient pas à s’entendre sur le critère de distinction entre terroriste, d’une part, et résistant ou combattant pour la liberté (freedom fighter), de l’autre. C’est une impasse juridique qui exigeait une solution, à telle enseigne qu’au début du mois d’avril 2005, le secrétaire général, Kofi Annan, a proposé une définition universelle du terrorisme dont voici le texte: «Tout acte destiné à causer la mort ou de graves blessures à des civils ou à des non-combattants…dans le but d’intimider une population ou de forcer un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir quelque acte que ce soit…» Cette proposition rejoint la définition retenue par l’Accord du Caire de 1998 pour lutter contre le terrorisme ; en effet l’article 2 dudit accord dispose que «l’acte terroriste est tout acte de violence ou de menace, quels qu’en soient les causes ou les motifs, qui intervient dans le cadre de l’exécution d’un projet criminel individuel ou collectif et dont le but est de semer l’effroi dans la population ou de l’intimider ou de lui causer des dommages ou de mettre la vie des gens, leur liberté ou leur sécurité en péril.» Le terrorisme d’après les législateurs français et libanais En droit positif français, c’est le recours à l’intimidation de la population qui confère à certaines infractions ordinaires un caractère terroriste. L’article 421-2 dispose que constituent des actes de terrorisme certains faits ayant «pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation et la terreur». Pour Jacques-Henri Robert «l’intimidation et la terreur (…) suggèrent que la peur règne dans la population, chaque individu se sentant potentiellement menacé par un prochain attentat, dirigé contre des victimes que seul le hasard désignera. Sous l’empire de cette peur semée partout, les citoyens font pression sur leur gouvernement pour qu’il se plie aux exigences contenues dans l’entreprise du terroriste». Dans le même ordre d’idées, l’article 314 du Code pénal libanais considère comme actes terroristes «tous faits dont le but est de créer un état d’alarme,qui auront été commis par des moyens susceptibles de produire un danger commun, tels que engins explosifs, matières inflammables». En somme, toutes les définitions internationales ou nationales s’accordent à caractériser l’aspect aveugle de l’attentat terroriste, attentat qui cherche à briser le moral d’un groupe ou d’une population généralement civile qui n’est pas directement partie au conflit. L’assassinat du président Hariri semble constituer à ce stade de l’enquête un acte isolé et un attentat ciblé pour éliminer un adversaire. Bref, il ne constitue pas intrinsèquement un attentat terroriste, l’objectif de l’opération ayant été de liquider physiquement une personnalité politique. Certes une certaine terreur a pu saisir la population civile, mais ce ne fut qu’un dommage résiduel, le but de l’attentat, pour ce que l’on sait, était de supprimer un homme et non pas d’intimider une population par des actes criminels qui frapperaient au hasard, comme ce fut le cas lors des explosions nocturnes qui ont ravagé certaines régions libanaises. Ainsi, pour pouvoir accéder à la qualification de crime terroriste, on devrait lier les crimes allant de l’attentat manqué contre Marwan Hamadé jusqu’à l’assassinat de Gebran Tuéni, en passant par le meurtre du président Rafic Hariri et les explosions nocturnes. C’est en apportant la preuve qu’une même entité a commandité tous ces attentats, qui, individuellement pris constituent des faits isolés, mais qui associés n’en constituent pas moins une même série d’événements sanglants ayant pour but ultime de semer la terreur aveugle pour amener l’opinion publique et les responsables à capituler devant l’horreur*. Youssef MOUAWAD Avocat à la cour * La résolution 1686 vient d’autoriser l’élargissement de l’enquête internationale aux fins d’apporter une assistance technique aux autorités libanaises dans les enquêtes relatives aux attentats perpétrés à partir d’octobre 2004. Peut-être est-ce un premier pas dans une direction qui viserait à considérer lesdits attentats comme les maillons d’une même chaîne et, par conséquent, à les qualifier de crimes terroristes ?
L’attentat du 14 février qui a coûté la vie à l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, à Bassel Fleyhane et à une vingtaine d’autres personnes a suscité un tel degré d’indignation qu’il a mis en branle un processus irréversible à plus d’un niveau. L’opinion traumatisée a clamé son horreur et a exigé que vérité se fasse ; elle réclamait en réalité que...