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Édition - Le livre de l’année présenté lors d’une cérémonie à la crypte de l’église Saint-Joseph de l’USJ Ghassan Tuéni et Saad Kiwan racontent « Quatre siècles de culture de liberté au Liban »

C’est une foule nombreuse comprenant des personnalités politiques, religieuses, culturelles et d’amoureux du bel ouvrage qui s’est pressée hier, dans la crypte de l’église Saint-Joseph de l’USJ, pour découvrir le livre présenté par Ghassan Tuéni et Saad Kiwan, « Quatre siècles de culture de liberté au Liban ». Une œuvre en deux volumes, conçue et réalisée par Saad Kiwan (voir « L’Orient-Le Jour » du 16 février 2006, page 6, l’article de Zéna Zalzal). En somme, un monument de l’édition et sûrement le livre de l’année. Pour l’occasion, la belle crypte s’est parée de tous ses atours, avec une exposition impressionnante de 148 photos qui remontent le temps. Il s’agit d’agrandissements de différents formats, sur papier ou sur de grandes toiles, de clichés figurant dans le livre et tapissant les murs. Des pleines pages de manuscrits et d’autres photos, généreusement ouvertes, sont exposées dans des vitrines. Une scénographie réussie signée Jean-Louis Maingy. Ghassan Tuéni, qui a signé la préface de cette œuvre, a été le premier à prendre la parole, affirmant que « ce livre, au titre en forme de cri, de cri d’amour et de fierté, mérite d’être lu avec la ferveur d’une prière, tant est significative et révélatrice la place qu’il accorde au patrimoine des religions ». « Diverses, ces religions ne se cherchent querelle l’une l’autre que quand leurs dimensions sociales et politiques sont en jeu, mais elles se rejoignent dans les pensées plurielles qui confirment leur foi, osons le dire, dans l’unicité de Dieu. Qu’on Le nomme Allah ou Jésus, la quête de Sa nature, de Ses commandements et des conditions de Son pardon est si intense qu’elle nous lie plus qu’elle nous sépare... », a-t-il encore ajouté. Ghassan Tuéni devait aussi expliquer pourquoi « dans le cas spécifique du Liban, davantage que la prière, c’est la nécessité de parvenir à une convivialité existentielle au quotidien qui, pour nous, est “ d’une constante urgence” … « Ne ressort-il pas de la lecture des textes historiques que les guerres confessionnelles, quelles qu’aient été leurs tragiques violences, ne furent que des exceptions ? Et qu’elles se terminaient toujours par des paix génératrices de fécondes et longues périodes de concorde ? « Rien n’est plus éloquent, plus dramatiquement éloquent, dans ce contexte, que la constatation faite et refaite, quoique souvent oubliée. Sous l’Empire ottoman, entre 1916 et 1918, quarante martyrs, chrétiens et musulmans (surtout écrivains et journalistes), ont été sacrifiés ensemble pour la même cause et sur le même gibet. Certains, peut-être la plupart, ont d’ailleurs tenu à prier ensemble, livrant, dans la joie, leur âme à Dieu, avant de livrer leur tête au bourreau. « Ils ont, par ces prières communes, autant que par leurs écrits semblables et parallèles, scellé le Pacte de la liberté, avant que l’on ne proclamât un Pacte national ou la Constitution d’une même République. « Disons plutôt : même Dieu, même liberté. « Nous trouvons ici même, dans ce livre, l’expression ultime d’un acte de foi commun : du droit divin découlent notre liberté et les droits de l’homme qu’elle implique. « Dans le débat actuel sur la signification de la Renaissance arabe, que l’on situe après le siècle des Lumières, l’exemple libanais (arabe et moyen-oriental) illustré dans ce livre démontre bien que la Renaissance s’est insérée dans un parcours culturel historique jamais interrompu. » Puis Tuéni a parlé du livre lui-même qu’il a qualifié « d’œuvre absolument monumentale autant que chef-d’œuvre d’art », rendant hommage au talent de Saad Kiwan… Et de poursuivre : « Pour un pays aussi petit que le Liban, et qui a souffert de sa géographie variable et torturée, c’est l’histoire, par sa continuité créatrice, toujours redécouverte, qui donne à l’indépendance ses lettres de noblesse. « Ainsi, savoir que la contribution de Jabal-Amel, c’est-à-dire du Liban-Sud, à la renaissance chiite dans toute son ampleur – aujourd’hui d’une actualité brûlante (c’est le cas de le dire) – est antérieure aux paternités qui se veulent modernes et infaillibles, que cette contribution au Fiqh est souvent plus enrichissante dans sa spiritualité que les madrassa d’Irak et d’Iran. Savoir cela n’a d’égal en importance que le rappel du rôle du Collège (maronite) de Rome, comme relais, au XVIe siècle déjà, entre l’Occident européen et l’Orient sémitique. Les monastères libanais du moyen-âge, où furent traduits et calligraphiés en arabe et en syriaque les textes de la philosophie grecque et, plus largement, la culture gréco-romaine, ont en effet joué un rôle essentiel de passeur culturel. » Tuéni a conclu en rendant hommage à l’édition libanaise et dit sa fierté « d’avoir contribué à l’effort majeur qui honore toutes les professions de l’art, de l’écriture et de l’industrie du livre libanais ». Une leçon d’histoire À son tour, Saad Kiwan, pour qui ces deux volumes ont nécessité 14 mois de préparation et 14 autres d’exécution, a considéré qu’« on n’aborde pas un livre intitulé Quatre siècles de culture de liberté au Liban comme on aborderait n’importe quel autre ouvrage. Car l’on se sent immédiatement investi d’une mission (celle de l’obligation de témoigner pour la vérité historique) et habité d’une passion (celle d’aller au bout de soi-même). Au terme de ce parcours, apparaissent alors – disons-le tout de suite – au moins deux certitudes : la première est que les différentes strates historico-culturelles qui composent ce pays, dans leur concordance ou discordance, entrecroisement ou choc, verticalité ou horizontalité, sont d’une telle richesse, qu’il en devient quasiment unique. La deuxième certitude est que cette combinaison aux apparences tellement fragiles est d’une puissance et d’une vitalité telles que tous les irrédentismes voisins, tous les jeux criminels des nations, tous les démons de la politique et de la terre n’y peuvent jamais absolument rien. Son parcours est tellement original et inédit parmi les nations et, semblerait-il, tellement précieux pour l’avenir du monde – rappelons-nous les exhortations et multiples interventions de Jean-Paul II à ce sujet – que son histoire est la principale garante de sa pérennité. » Puis Kiwan a relaté l’historique de cette œuvre décidée par les fils Chemaly qui « m’ont fait part de leur désir d’honorer leur père, Chaker Chemaly, pour ses 50 années passées au service de l’impression et de l’édition au Liban, et m’ont demandé de concevoir et de réaliser pour eux un livre, aux contours encore imprécis, mais qui devrait faire date dans les annales libanaises de l’édition ! Le défi était d’autant plus colossal que j’entretiens des rapports quasiment fraternels avec les membres de cette famille depuis la fin des années 60, et plus particulièrement avec leur père, Mouallem Chaker, pour qui mon estime n’a d’égale que mon affection… » Saad Kiwan a retracé le parcours exceptionnel de ce grand maître de l’imprimerie, expliqué le choix du sujet, puis présenté avec des détails, d’un intérêt historique majeur, cet ouvrage qui se déroule principalement entre deux dates. « Pour présenter cet ouvrage en quelques lignes, poursuit Saad Kiwan, disons qu’il se déroule principalement entre deux dates. La première est l’année 1584, alors que le XVIe siècle italien vieillissant s’apprête à passer la main au siècle nouveau ; que Machiavel a fait paraître son Prince ; que la Commedia dell’arte, apparue en 1545, est déjà à l’apogée de la gestuelle et de l’improvisation théâtrales ; que la Renaissance, partie des cités-États italiens avec Giotto, s’achève dans la magnificence avec Michel-Ange ; que le développement de techniques industrielles, commerciales et financières nouvelles a pour conséquences l’émergence de grandes fortunes familiales et le remarquable développement du mécénat… alors qu’au Levant, Byzance n’est plus ; l’Empire, formé à la fin du XIIIe siècle par un guerrier turc nommé Osman, a connu un essor formidable avec Soliman le Magnifique qui décédera en 1566, après avoir étiré les frontières de cet empire de la Crimée jusqu’à la péninsule arabique, et d’Irak aux confins de l’Afrique et au Maghreb… alors que dans la foulée, le Liban est pris aux Mamelouks, où les princes de la Montagne règnent sur un territoire largement autonome par rapport à la Sublime Porte, grâce à l’intégration socio-économique des communautés druze, maronite et chiite, et à la symbiose qui s’opère entre ces communautés. « Dès 1469, ajoute Kiwan, et à l’initiative de leur clergé, convaincu qu’il n’y a point de salut en dehors d’un arrimage solide à la culture universelle et à la modernité, des jeunes enfants maronites, choisis pour leur aptitude à poursuivre des études, quittent pères et mères pour aller s’instruire à Rome, où le Collège maronite, fondé le 27 juin 1584 à l’initiative du pape Grégoire XIII, deviendra rapidement un extraordinaire vivier de savants hors normes et le lien incontournable entre l’Orient sémite et l’Occident latin, préfigurant ainsi le rôle futur du Liban et jetant les bases d’une forme nouvelle d’humanisme. Sur les bancs des écoles romano-vaticanes, ces braves paysans, venus de leurs lointains et anonymes villages montélibanais, ont des fréquentations tout à fait inattendues : leurs voisins de banc s’appellent Médicis, Visconti, Borgia, Farnèse ou encore Este ou Sforza. En grandissant, ceux-ci deviendront rois ou grands-ducs, papes ou princes de l’Église, ou encore des princes du savoir. Ceux-là (les Libanais) seront appelés aux destins les plus exceptionnels : certains se verront confier des chaires d’enseignement spécialement créées pour eux dans les grandes écoles royales, un peu partout en Europe, tant leur érudition est grande et pionnier leur savoir ; d’autres reviendront au pays, où l’on paie déjà un impôt à caractère culturel (dirham el-batrak, le sou du patriarche, destiné à couvrir une partie des frais de fonctionnement du Collège maronite), élever les générations montantes dans l’amour de Dieu et du savoir, et préparer l’avènement du Concile de Louaizé, qui instituera l’enseignement obligatoire pour la première fois en Orient et dans le monde en 1736, 53 ans avant la Révolution française. Une dizaine d’années plus tard, tout le monde saura lire, écrire et compter dans un Mont-Liban assoiffé de savoir ! » « Nous sommes maintenant en 1610, poursuit encore Kiwan. Un évêque de Bqoufa, village des environs de Ehden, est pris d’une idée “incongrue” : imprimer un psautier chez lui dans la vallée de la Qadicha, dans un Empire ottoman hostile, où l’imprimerie n’avait pas encore droit de cité. Avec quels bras d’hommes, sur quels dos d’ânes ou de chevaux, au prix de quels sacrifices et en usant de quels subterfuges, les machines d’impression, qui ont réalisé cette gageure technique, ont-elles pu être acheminées d’Italie jusqu’à ce nid d’aigle qu’est le monastère Saint-Antoine Qozhaya, haut lieu de l’ascétisme libanais ? Nul ne le dira jamais… « La deuxième date est celle du 7 octobre 1943. De la tribune du Parlement libanais, Riad el-Solh, du haut de sa stature d’homme du destin, énonce les principes en base desquels il avait scellé une alliance historique avec Béchara el-Khoury, quelques jours auparavant, et qui seront connus sous le nom de Pacte national. Musulmans et chrétiens y sont côte à côte pour gérer l’“être ensemble” dans le respect mutuel de leurs personnalités respectives, tournés vers le même idéal et la même ambition. Les adhésions qui se groupent autour de ce pacte portent le témoignage de sa bienvenue après une longue quête, et la promesse de sa pérennité malgré les vicissitudes de l’histoire. « Les Libanais, chrétiens et musulmans, peuvent maintenant revendiquer l’honneur d’avoir mis au jour un espace socioculturel généreux, susceptible de recevoir, d’assimiler, d’intégrer, d’amalgamer, mais surtout d’accepter la différence d’autrui et le respect de sa liberté. « Entre ces deux événements – la parution du premier ouvrage imprimé en Orient et la formulation du Pacte national –, que de faits exceptionnels, que d’expériences pionnières dans un Mont-Liban miraculeusement érigé en espace de libertés, avant même que s’affaiblisse l’exercice ottoman du pouvoir dans cette région du monde ! C’est cette saga extraordinaire que raconte Quatre siècles de culture de liberté au Liban dans une fresque historique impressionnante qui a abouti à la déclaration de l’État du Grand-Liban en 1920 et à l’indépendance de cet État en 1943… » « Que ce livre soit donc une célébration de la vie et une déclaration d’amour et de fierté criée à la face du Liban », a conclu Saad Kiwan, après avoir remercié, une à une, en les nommant, toutes les personnes ayant, de près ou de loin, contribué au succès de cet ouvrage. Georges Chaker Chemaly, à son tour, a remercié tous ceux qui ont participé à faire de cette initiative un beau succès, offrant les six premiers livres, dorés sur tranches, à Chaker son père, à Saad Kiwan, à Ghassan Tuéni, Toufic Kahalé (qui a offert le matériau de couvrure) et enfin Fouad Beayno (le relieur). Maria CHAKHTOURA
C’est une foule nombreuse comprenant des personnalités politiques, religieuses, culturelles et d’amoureux du bel ouvrage qui s’est pressée hier, dans la crypte de l’église Saint-Joseph de l’USJ, pour découvrir le livre présenté par Ghassan Tuéni et Saad Kiwan, « Quatre siècles de culture de liberté au Liban ». Une œuvre en deux volumes, conçue et réalisée par...