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Actualités - REPORTAGE

ENQUÊTE - Un aspect peu connu du parti de Dieu Au-delà des armes, l’ancrage social du Hezbollah

Le Hezbollah est-il en définitive un simple groupe armé ou un parti bien enraciné dans la société ? Six ans après la libération du Liban-Sud – excepté la parcelle des hameaux de Chebaa – que la Résistance considère comme sa grande victoire, cette question se pose avec d’autant d’acuité que le Hezbollah est désormais placé au centre d’un enjeu régional, voire international. Si ses chefs multiplient les déclarations sur l’identité nationale et l’ancrage libanais du parti, alors que ses députés sont parmi les plus actifs au Parlement, le Hezbollah reste assez opaque pour la plupart des Libanais. Enquête sur une formation qui suscite la polémique. Au Sud comme dans la Békaa, le Hezbollah est omniprésent. Par les portraits de ses martyrs et ceux de ses chefs, mais aussi par les pancartes indiquant les différentes associations relevant du parti et s’occupant du quotidien des gens. Car ce que le Libanais moyen ignore, c’est que le Hezbollah a créé un véritable réseau d’aide sociale, médicale et éducative qui fait de lui le parti le plus populaire au sein de la communauté chiite, avec, selon certaines estimations, plus de 70 % des suffrages de cette communauté. Dans la foulée de l’invasion israélienne Comment ce parti né officieusement en 1982, à la suite de l’invasion israélienne, et officiellement en 1984, a-t-il pu prendre tellement d’ampleur tant sur le plan politique et militaire que sur le plan populaire ? Selon un membre du bureau politique, à l’origine, ce parti a récupéré les anciens membres du parti al-Dawa libanais, ceux du courant islamique au sein du mouvement Amal, qui avaient choisi de quitter cette formation, enfin les derniers membres des comités des mosquées (des groupes religieux peu structurés). Le facteur fédérateur a été l’invasion israélienne du pays. En assistant impuissants à la débandade générale face aux soldats de l’État hébreu, ces groupes ont voulu réagir et se sont regroupés dans ce qui sera plus tard le Hezbollah. Ayant une tendance islamiste marquée, puis influencé par la révolution islamique d’Iran, le petit groupe s’est naturellement tourné vers ce pays, afin d’y rechercher de l’aide et un appui aussi bien militaire que financier. C’est ainsi que les Gardiens de la révolution iraniens (Pasdaran) sont arrivés au Liban et se sont installés, notamment à Baalbeck, pour entraîner les combattants de ce qui sera quelques mois plus tard la Résistance. Mais les Iraniens sont aussi venus avec un réseau d’aide sociale, lançant l’idée d’une résistance bien ancrée dans le tissu social. Ils ont ainsi créé un hôpital portant le nom de l’imam Khomeyni. Cet hôpital a été le seul à accueillir les patients pendant plusieurs années, les institutions de l’État étant alors paralysées. Au moment de quitter le Liban, après avoir achevé leur mission sur place, les Gardiens de la révolution ont laissé l’hôpital au Hezbollah, qui en a pris la charge. Aujourd’hui, cet établissement a été déplacé du centre vers la banlieue de Baalbeck et s’appelle Dar el-Hekma, hôpital Khomeyni. C’est l’un des plus importants hôpitaux de la région et surtout le plus performant. Il comporte cent lits, en plus des consultations externes, les moins chères du Liban (environ dix dollars pour la consultation d’un spécialiste et un peu moins pour celle d’un généraliste). L’hôpital reçoit tous les malades de la région, sans distinction de religion ou d’appartenance politique. En y effectuant une visite, on peut ainsi rencontrer des malades sympathisants de Mohammad Hussein Fadlallah, avec lequel le Hezbollah est en conflit théologique, ainsi que des chrétiens de la région. C’est dire que le Hezbollah a su mettre à profit les enseignements de l’Iran dans ce domaine, puisqu’il s’est aussi doté d’un second hôpital dans la banlieue sud. Mais cela lui a pris quand même du temps. L’intégration dans le tissu social Né officiellement avec la fameuse déclaration de 1984 qui lançait ouvertement la résistance, le parti a mis du temps à se structurer. Il n’a commencé à devenir la formation que l’on connaît aujourd’hui qu’avec l’élection comme secrétaire général de Hassan Nasrallah, en 1991, après l’assassinat par les Israéliens de Abbas Moussaoui, qui occupait alors cette fonction. C’est aussi autour de cette période que le Hezbollah a pris le parti de s’intégrer réellement au sein de la vie politique libanaise, alors qu’il n’était encore qu’un mouvement de résistance, plus ou moins clandestin et marginal. D’ailleurs, la décision prise sous l’impulsion de Nasrallah de participer aux élections législatives de 1992 a provoqué la dissidence du premier secrétaire général officiel, Sobhi Toufayli, qui, lui, souhaitait que le parti reste en dehors de la vie politique. Douze ans plus tard, Toufayli tente toujours de grignoter la popularité du Hezbollah, dans la région de Baalbeck dont il est originaire, sans grand succès d’ailleurs. 1992 a ainsi constitué un véritable tournant dans l’histoire du parti. À mesure qu’il améliorait ses performances militaires, ses opérations devenant plus ciblées, il a commencé à s’intégrer au sein de la société par l’édification de son réseau d’aides sociales, répondant à une demande populaire, en raison de la quasi-absence de l’État et de l’insuffisance des aides fournies par le mouvement Amal. Le Hezbollah a ainsi créé al-Imdad, qui s’occupe des plus démunis. L’association, qui a des centres au Sud, dans la Békaa et dans la banlieue sud de Beyrouth, distribue aux familles et aux magasins qui le souhaitent une sorte de tirelire dont elle garde la clé. Une fois par mois, un responsable de l’association ouvre la tirelire et en retire les sommes que les clients du magasin ont déposées. Ces petits rien finissent par chiffrer et les sommes recueillies sont distribuées aux pauvres et aux nécessiteux, choisis selon des formulaires strictement remplis et vérifiés. L’association al-Imdad récolte aussi les dons en nature, vêtements usagés, ustensiles, etc., qui sont eux aussi triés et distribués aux pauvres. Des institutions plus modernes L’association al-Chahid, comme son nom l’indique, s’occupe, quant à elle, des familles des martyrs, qui sont entièrement prises en charge par le Hezbollah. Cela va de l’éducation des enfants aux besoins de la vie quotidienne. Mais il faut ajouter à ces associations l’efficace Jihad al-Binaa, qui a reconstruit les villages évacués par Israël en mai 2000. Cette association tournée vers le développement urbaniste a élargi récemment ses activités, se dotant de deux centres agricoles, l’un dans la Békaa et l’autre au Sud. Ces centres ont pour mission d’aider les agriculteurs dans le choix de leurs plants et dans l’orientation vers des cultures plus saines et plus rentables. Des ingénieurs agronomes, diplômés des meilleures universités et soigneusement recrutés pour leurs qualifications, y organisent des sessions de formation pour les agriculteurs de la région dans laquelle ils sont implantés. Les centres cherchent aussi à aider ces derniers à trouver des cultures alternatives depuis l’interdiction du cannabis, suite aux pressions internationales. Les ingénieurs tentent aussi de développer des industries proches de l’agriculture, comme la fabrication de produits de conserves, de savon, d’huiles essentielles, etc. Les centres ont aussi engagé des vétérinaires qui s’occupent du bétail et mènent des campagnes de vaccination gratuites. Mais le Hezbollah ne néglige pas pour autant le secteur de l’éducation. Outre ses aides scolaires, il a fondé de nombreuses écoles au Sud, dans la banlieue de Beyrouth et dans la Békaa, qui accueillent les élèves de tous bords avec des scolarités réduites. Ces écoles, qui ont des noms évocateurs, comme l’école al-Mahdi , sont d’un niveau tout à fait respectable et enregistrent des succès aux examens officiels. De nombreux habitants de la banlieue sud, par exemple, les préfèrent aux écoles officielles, moins performantes et moins strictes sur le plan de l’éducation morale et de l’instruction. Un financement basé sur les dons Le Hezbollah possède également des dispensaires un peu partout dans les régions où il est bien implanté et, depuis peu, il cherche à créer des entreprises plus rentables. Il s’est ainsi doté d’une station d’essence sur la route de l’aéroport, la station al-Aytam, très connue dans le secteur, pour la qualité de l’essence fournie et le fait que les pompistes ne trafiquent pas les quantités. Car, chez le Hezbollah, aucune institution n’est réellement à but lucratif. Ce qui permet de se poser une question essentielle : d’où vient donc le financement de ce parti, dont les institutions servent réellement à aider les citoyens ? Les responsables du Hezbollah ne se sentent nullement gênés de répondre à cette question. Selon eux, la principale source de financement vient des dons. Les chiites sont en effet censés payer le cinquième de leurs bénéfices annuels à l’institution de bienfaisance de leur choix, selon les principes de la religion musulmane. Apparemment, de plus en plus de chiites, au Liban mais aussi dans le reste du monde, choisissent pour s’acquitter de cette obligation les institutions du Hezbollah. Des sources diplomatiques occidentales affirment aussi que le Hezbollah reçoit une assistance financière de l’Iran, estimée au minimum à cent millions de dollars par an. Mais les responsables du parti ne reconnaissent pas cette somme et ajoutent que les fonds reçus d’Iran relèvent souvent de dons accordés par des associations de bienfaisance. De façon générale, ils ne nient pas recevoir de l’aide de l’Iran. Il reste que la relation entre le Hezbollah et l’Iran dépasse le simple aspect financier. Elle dépasse aussi l’aspect militaire, même si toutes les armes du Hezbollah viennent de Téhéran. Elle est surtout théologique et religieuse, l’ayatollah Khamenei, guide la révolution islamique d’Iran, étant la référence religieuse du Hezbollah. « C’est un peu comme le Vatican pour les catholiques », explique un des membres du bureau politique du parti, qui s’empresse d’ajouter : « Mais cela ne signifie pas que notre parti est un instrument entre les mains des Iraniens. Au contraire, nous avons modifié nos priorités, qui sont de jour en jour plus libanaises et nationales. » Les chiites, qui ont élu tous les candidats du Hezbollah aux dernières élections parlementaires et une grande partie d’entre eux aux élections municipales, partagent cette opinion, ayant avant tout besoin d’une aide et de structures efficaces, en l’absence de tout soutien de la part de l’État. Scarlett HADDAD
Le Hezbollah est-il en définitive un simple groupe armé ou un parti bien enraciné dans la société ? Six ans après la libération du Liban-Sud – excepté la parcelle des hameaux de Chebaa – que la Résistance considère comme sa grande victoire, cette question se pose avec d’autant d’acuité que le Hezbollah est désormais placé au centre d’un enjeu régional, voire international....