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Actualités - OPINION

Perspectives - Le slogan sur la chute du cabinet Siniora, un piège qui risque de saper les acquis de la révolution du Cèdre Pour éviter de réintroduire le loup dans la bergerie…

L’absence d’esprit critique est généralement un facteur inhibiteur à toute évolution, une antithèse à la réflexion libre, elle-même à la base de toute progression. Cela est vrai aussi bien pour les entreprises privées que pour les partis ou courants politiques. Le plus grave est lorsque le rejet de la critique (constructive) s’empare, telle une tumeur cancéreuse, d’un quelconque groupement politique qui se positionne, en théorie, aux antipodes du système totalitaire. Dans le cas spécifique du Liban, ce nécessaire esprit critique est particulièrement vital dans l’étape fondatrice que traverse le pays, au sortir de trente ans d’occupation et de tutelle. Car autrement, les dérapages et les comportements irrationnels risqueraient de gangrener l’action des principaux acteurs de la vie publique. À titre d’exemple, et pour illustrer ces propos, tout observateur averti ne peut qu’accueillir avec circonspection, doublée d’inquiétude, certains slogans qui ont récemment été lancés sur la scène locale. Comme celui réclamant la chute du gouvernement de Fouad Siniora. Une simple réflexion, à froid, sur les conséquences inéluctables d’un éventuel changement ministériel dans les circonstances présentes illustre les dangers d’une telle option. Au cas où le Premier ministre serait contraint de rendre son tablier, le pays se trouverait en effet devant une seule et unique alternative possible : le retour des acolytes de la Syrie au gouvernement, ou, à défaut, une vacance prolongée au niveau de l’Exécutif. Se basant sur l’appui proclamé que lui assurent le Hezbollah et le général Michel Aoun, le président Émile Lahoud se sentirait, de fait, sans nul doute en position de force et il ne manquerait pas de vouloir imposer la désignation de ministres qui constituaient le principal point d’appui de Damas dans les cabinets Karamé, à l’époque de la tutelle syrienne. On verrait ainsi le retour en force de personnes telles que Wiam Wahhab et consorts. Le régime syrien aurait alors réussi son « come-back » au sein du pouvoir central, neutralisant de la sorte certains des principaux acquis de la révolution du Cèdre. Dans le cas fort probable où la manœuvre du locataire de Baabda serait rejetée par les forces de la majorité, le pays se retrouverait sans gouvernement pendant une période de plusieurs mois, sans doute jusqu’au départ du président Lahoud, avec tout ce qu’une telle éventualité entraînerait comme conséquences facilement prévisibles au plan socio-économique. Ce n’est sûrement pas le régime syrien qui serait gêné d’une quelconque façon par une crise ministérielle prolongée au Liban… Tout le monde se souvient dans ce cadre du précédent de 1969, lorsque Rachid Karamé, désigné par le président Charles Hélou pour mettre sur pied une nouvelle équipe ministérielle, a laissé le pays sans gouvernement pendant près de neuf mois afin de faire pression sur le régime et obtenir un accord autorisant officiellement la présence et l’action armées des organisations palestiniennes sur le territoire libanais. En cas de chute du cabinet Siniora, l’on risquerait de se retrouver dans une situation semblable. Sauf que cette fois-ci, les rôles seraient inversés : ce ne serait plus le Premier ministre désigné qui ferait obstruction à la formation du gouvernement, mais le président de la République dans le but, évident, d’obtenir un retour à « l’esprit » qui caractérisait les rapports libano-syriens durant la période de tutelle. Le général Lahoud ne continue-t-il pas de faire, jusqu’à aujourd’hui, l’apologie des « options nationales » qu’il a adoptées au cours de son mandat et qui ont eu pour résultat de faire progresser dangereusement, lentement mais sûrement, l’Anschluss que Damas s’efforçait d’imposer au Liban ? Faire preuve de lucidité à cet égard ne signifie en aucune façon qu’il faut s’engager sur la voie d’un suivisme aveugle vis-à-vis de la politique du cabinet Siniora. L’esprit critique est, sans conteste, nécessaire là aussi. Il ne saurait fonctionner à sens unique et s’appliquer à un acteur de la vie politique à l’exclusion d’un autre. Mais dans un cas comme dans l’autre, la distinction doit impérativement être faite entre l’esprit critique et le travail de sape. Surtout lorsque ce travail de sape met sérieusement en danger les fondements mêmes et la raison d’être de l’entité libanaise. Des calculs géopolitiques d’ordre régionalo-communautaire, ayant pour base un jeu de minorités, sont souvent invoqués pour justifier certains comportements irrationnels. Sauf que, encore une fois, une telle démarche intellectuelle doit se faire à double sens. Lorsqu’elle inhibe une partie et donne libre cours à la seconde pour phagocyter son prétendu partenaire, elle devient hautement suspecte. Et sur ce plan, les tentatives répétées du pouvoir syrien de déstabiliser à nouveau le Liban par le biais d’organisations palestiniennes qui lui sont inféodées illustrent (comme on l’a vu la semaine dernière dans la Békaa) à quel point Damas n’a toujours pas abandonné, contre vents et marées, ses visées hégémoniques sur le pays du Cèdre. Dans une phase fondatrice et de transition comme celle que connaît actuellement le Liban, l’heure ne saurait être à la démagogie populiste. Surtout lorsque celle-ci risque de réintroduire, en force, le loup dans la bergerie. Michel TOUMA
L’absence d’esprit critique est généralement un facteur inhibiteur à toute évolution, une antithèse à la réflexion libre, elle-même à la base de toute progression. Cela est vrai aussi bien pour les entreprises privées que pour les partis ou courants politiques. Le plus grave est lorsque le rejet de la critique (constructive) s’empare, telle une tumeur cancéreuse, d’un...