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Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, des cinéastes en quête de vérité et de réflexion

C’est dans l’appartement même des réalisateurs, en plein cœur de Beyrouth, que nous avons tenté d’en apprendre un peu plus sur «A Perfect Day». Une interview à laquelle se sont livrés, avec beaucoup de générosité, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, en abordant les questions de l’image, de la parole, du temps, de la vie à Beyrouth et du souci de toujours se rapprocher le plus possible de la vérité. Comment se passe l’organisation d’un film dirigé et écrit à deux ? Joana Hadjithomas : « En fait, l’un d’entre nous a une idée et décide ou non de la développer avec l’autre. Mais il n’y a pas de division des tâches. C’est-à-dire qu’il n’y pas quelqu’un qui écrit, l’autre qui travaille la lumière, etc. Nous sommes ensemble à tous les moments du processus créatif. » Le film s’inspire cependant d’un événement qu’a vécu personnellement Khalil Joreige, à savoir la disparition d’un proche pendant la guerre. À partir de là, pouvez-vous confirmer qu’avoir fait ce film répond plus à un besoin de panser vos propres plaies qu’à un besoin de partager vos émotions avec les spectateurs ? K.J. : « Pour être honnête, quand on fait un film, on le fait d’abord pour soi. On se dit souvent, Joana et moi, qu’on essaye de participer à expérience qui est celle du cinéma. À une époque où tout passe très vite, le cinéma est encore un des rares endroits où l’on peut avoir conscience du temps. » J.H. : « On fait effectivement un film par besoin, pour quelque part sortir « la chose », et ensuite pour parler d’une situation dans laquelle on vit. Au-delà du fait qu’il s’agisse d’une histoire sur la disparition, c’est un film qui raconte aussi la manière dont on vit aujourd’hui à Beyrouth, ville qui présente une agitation immobile, ville où même quand les choses changent, elles reviennent toujours à leur état d’origine. Le titre en arabe (Yawmon Akhar) reflète bien ça. C’est aussi bien un nouveau jour qu’un autre jour. » K.J. : « C’est en tout cas un film honnête où nous avons essayé d’être le plus juste possible par rapport à ce que nous ressentons. » Qu’est-ce qui vous a poussé, à l’exception de Julia Kassar, à choisir des acteurs non professionnels et notamment Ziad Saad qui incarne le personnage principal ? J.H. : « On attendait avant tout une vraie rencontre. Quelqu’un nous avait parlé de Ziad. Après l’avoir rencontré, il a tout de suite été très clair que Ziad était un peu différent, qu’il avait un rythme particulier qui était celui du film. À l’image de son personnage, il vit dans son propre univers et c’est précisément ce qui nous intéressait. Je pense également que les rencontres avec les acteurs sont des rencontres humaines. On parle avec la personne, on fait quelques exercices. Mais ces exercices n’ont pas pour but de savoir si l’acteur saura jouer mais plutôt observer son rapport avec la caméra et puis la façon dont il écoute, dont on s’entend. Encore un fois, il s’agit avant tout d’une rencontre, de gens qui peuvent être très proches du personnage. Ils ne jouent pas, ils incarnent. » Est-il vrai que les acteurs n’avaient pas connaissance de la linéarité du film ? K.J. : « Les acteurs n’avaient effectivement pas de scénario afin de ne pas colorer les scènes. Ce choix est peut-être venu de notre travail en documentaire et en art plastique, c’est-à-dire de travailler sur des dispositifs où nous-mêmes pouvions être surpris. Nous voulions suivre cette idée au cinéma en créant un univers dans lequel on pouvait voler (mais toujours honnêtement) des instants, des expressions. C’est ce qu’on appelle techniquement « un plan volé ». C’est une manière de s’insérer dans le réel. » La bande originale comprend des morceaux composés et interprétés par des groupes et des chanteurs très connus de la scène artistique libanaise. Les inscrire dans votre film était un moyen de les encourager ? J.H. : « Non, l’idée n’était pas vraiment de les encourager. C’était important pour nous de montrer quelque chose auquel nous croyons vraiment, à savoir la scène artistique libanaise. Ce film a d’ailleurs beaucoup plu à l’étranger par rapport à sa forme cinématographique. Et je pense effectivement que Beyrouth présente une scène assez active au niveau artistique et notamment musical. Cette musique a d’ailleurs la même « texture » que notre travail. » K.J. : « Nous venons d’un univers où la musique est aussi importante que la vidéo et la performance. On a des morceaux aussi pop qu’Elissa et des morceaux aussi pointus que les Scrambled Eggs. Tout cela participe d’un même mouvement, d’une même effervescence. » Vous avez d’ailleurs clairement donné bien plus d’importance au son et à l’image qu’aux paroles. J.H. : « Le cinéma a ceci de particulier qu’il offre énormément de choses : l’image, le son, les acteurs, le dialogue, etc. Pour moi, l’image est un cadre dans lequel on travaille le premier plan, le second plan, l’arrière-plan, les matières, les couleurs, bref une quantité de choses qui représentent à chaque fois des compositions. La narration à travers l’image et le son peut amener à sentir. Le dialogue et la parole font effectivement partie du cinéma, mais ils n’expliquent pas forcément le mieux les choses. Le fait d’enlever la parole permet également d’ouvrir le champ au spectateur. Il lui est possible de construire son propre discours. » K.J. : « La question de la parole est d’ailleurs un des sujets abordés dans le film. La confrontation passe mal. La communication se fait plutôt à travers les corps. Elle n’en est pas moins puissante. Pour ce qui est du son, il constitue également un élément important pour nous, un élément qui est au centre de notre travail, à savoir comment arriver à trouver un son individualisé au sein d’un tumulte ambiant. C’est ce que nous avons par exemple tenté de faire dans la scène de la boîte de nuit où la techno se mélange à la respiration des acteurs. Cela renvoie également à la question de savoir comment devenir des individus, comment trouver son propre rythme. » Et avez-vous déjà une petite idée du rythme de votre prochain long- métrage ? J.H. : « Il est encore difficile de vous donner des détails sur les sujets et les thèmes que nous allons aborder, mais ce qui est certain, c’est que le tempo sera très différent. »
C’est dans l’appartement même des réalisateurs, en plein cœur de Beyrouth, que nous avons tenté d’en apprendre un peu plus sur «A Perfect Day». Une interview à laquelle se sont livrés, avec beaucoup de générosité, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, en abordant les questions de l’image, de la parole, du temps, de la vie à Beyrouth et du souci de toujours se...