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Actualités - OPINION

PERSPECTIVES - La prolongation de la mission des « 14 », conséquence du ferme soutien de la communauté internationale au Liban À défaut de solutions rapides, la conférence de dialogue illustre les failles du système politique libanais

La majorité des Libanais l’a accueillie dès le départ avec beaucoup de scepticisme, voire de dérision. Pourtant, elle constitue bel et bien un événement en tout point historique, un véritable tournant, un point d’inflexion, s’inscrivant dans le sillage de la révolution du Cèdre. Cette conférence de dialogue entamée le 2 mars paraît, certes, s’enliser dans le bourbier local sous le double poids, d’une part, de la course à la présidence, et, d’autre part, des soubresauts d’un régime syrien – ou peut-être, plus généralement, de l’axe syro-iranien – qui ne désespère toujours pas de regagner, autant que faire se peut, le terrain perdu l’an dernier. Malgré ces entraves de taille, les quatorze leaders et pôles représentatifs de leurs communautés respectives ont finalement convenu de maintenir le cap. Ils ne pouvaient en effet, objectivement, passer outre à une donne fondamentale : leur mission salvatrice est considérée comme un « must » par la communauté internationale, comme l’a clairement souligné le dernier rapport du secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, sur la 1559 (rapport élaboré et présenté il y a quelques jours par Terjé Roed-Larsen) ; et ce ferme (et imparable) soutien international a été tout aussi clairement mis en évidence par les ambassadeurs américain et français à Beyrouth à la veille de la reprise des débats, place de l’Étoile. Dans l’attente que les circonstances mûrissent suffisamment pour permettre aux « 14 » de mener le pays à bon port (si tant est qu’ils sont capables de le faire), cette conférence de dialogue apporte au moins un certain lot de consolation. Elle permet d’abord de cristalliser et de visualiser, en quelque sorte, un alignement certes évident depuis près d’un an, mais qu’il est toujours utile de mettre en relief pour le maintenir sereinement en mémoire : la communauté internationale (sous l’impulsion des États-Unis, de la France, et de l’Union européenne) est pleinement engagée, sans équivoque aucune, dans l’opération de recouvrement de l’indépendance politique du Liban ; et, en face, Damas et Téhéran s’accrochent à la carte libanaise dans leur bras de fer avec l’Occident. L’approche peut paraître manichéenne, mais elle est largement confirmée par les développements politico-diplomatiques. L’évolution d’un tel alignement est précisément perceptible lorsqu’on scrute de près les positions et la ligne de conduite du Hezbollah dans le cadre de la conférence de dialogue. Car pour l’heure, rien n’indique encore de manière limpide que le dernier mot de sayyed Hassan Nasrallah dans les sujets débattus place de l’Étoile répond aux seuls impératifs purement libanais, abstraction faite de la double raison d’État iranienne et syrienne. Le second volet du lot de consolation que constitue, au stade actuel, la conférence sur le dialogue réside dans la mise en évidence des graves failles qui caractérisent le système politique en vigueur dans le pays. Parallèlement aux manœuvres externes, la mission des « 14 » bute en effet sur l’impasse présidentielle due essentiellement à la dissonance évidente entre les règles constitutionnelles, d’une part, et les réalités politico-communautaires, d’autre part. La Loi fondamentale prévoit ainsi un mécanisme d’élection présidentielle basé, de façon tout à fait classique, sur l’existence à la Chambre d’une majorité parlementaire capable de se prononcer sur le choix du chef de l’État. Or, l’expérience des dernières semaines a apporté la preuve qu’il suffit qu’une des grandes communautés se livre à un jeu d’alliances adéquat pour qu’elle puisse empêcher l’élection du président, même si la majorité en question existe bel et bien dans les faits. Un blocage similaire s’était produit au début des années 70 sous le mandat de Sleimane Frangié lorsque la formation du cabinet d’Amine Hafez avait été rejetée par la coalition islamo-progressiste, laquelle avait réussi à imposer la désignation de Rachid Karamé au poste de Premier ministre, alors que la Constitution de l’époque accordait au chef de l’État le droit de nommer à la tête du gouvernement la personnalité de son choix. Toujours dans le même registre, l’on se rappelle aussi qu’en 1969, le même Rachid Karamé avait gelé pendant neuf mois la mise sur pied d’une équipe ministérielle – sous le mandat de Charles Hélou – parce que l’islam politique refusait d’imposer des restrictions à l’action armée des organisations palestiniennes au Liban-Sud. L’un des problèmes fondamentaux sur lesquels devront un jour plancher les leaders du pays est cette véritable schizophrénie politique dont pâtit le Liban depuis des décennies et qui s’exprime par cette grave dissonance entre l’indéniable réalité communautaire – ou communautariste – du pays et une Constitution qui a, dans son essence, occulté cette réalité, considérant plutôt que la chose publique est gérée par un État central fort régi par une majorité homogène, bien définie. Cette dissonance se manifeste présentement, à titre d’exemple, dans le cas du général Michel Aoun qui soutient qu’il bénéficie de l’appui d’une confortable majorité de l’électorat chrétien – et potentiellement de l’électorat chiite – alors que la majorité parlementaire est opposée, ou tout au moins réticente, à son élection à la présidence de la République. Le tournant historique que constitue la conférence réunie place de l’Étoile réside dans ce dialogue engagé, enfin, au terme de trente ans d’occupation et de tutelle syriennes, et loin de toute interférence étrangère, par les leaders représentatifs des différentes sensibilités politico-communautaires du pays. Reste à traduire un tel dialogue par la mise en place d’un système politique qui reflète réellement, sans détour et cartes sur table, les réalités du tissu social libanais. Le Liban pourra alors dépasser la schizophrénie politique dans laquelle il se débat depuis la première indépendance de 43. Michel TOUMA
La majorité des Libanais l’a accueillie dès le départ avec beaucoup de scepticisme, voire de dérision. Pourtant, elle constitue bel et bien un événement en tout point historique, un véritable tournant, un point d’inflexion, s’inscrivant dans le sillage de la révolution du Cèdre. Cette conférence de dialogue entamée le 2 mars paraît, certes, s’enliser dans le bourbier local...