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CORRESPONDANCE Ces nus que Washington ne saurait voir

WASHINGTON - Irène MOSALLI Durant un demi-siècle, elle s’est prélassée dans sa nudité sous le regard des journalistes de tous bords et de tous les pays du monde, préoccupés à collecter des informations et pressés de les envoyer avant le « bouclage ». Et ils passaient indifférents à côté de ce tableau accroché au National Press Club, intitulé Phryné, du nom d’une courtisane grecque antique immortalisée par le peintre brésilien Antonia Parreiras (1860-1937). Récemment, on a décroché la belle, « politiquement incorrecte » par les temps qui courent. Et ce portrait a été vendu aux enchères à 80 000 dollars dont une partie servira à conserver les archives du club. L’histoire du Phryné est bien plus que cela. En 1930, un diplomate brésilien avait offert le tableau au National Press Club (fondé en 1908), fermé à cette époque aux femmes journalistes qui n’y ont eu accès qu’en 1971. En 1980, un groupe de femmes journalistes a fait campagne contre ce tableau, considéré comme un symbole sexiste. En 1999, elles obtiennent gain de cause et le tableau est prêté au Metropolitan Club, un autre bastion mâle. Des boucliers en guise de feuilles de vigne Et comme il n’était plus question de ramener Phryné dans l’univers des médias, on l’a mis aux enchères. Et, juste retour des choses, son nouvel acquéreur est brésilien, comme le peintre qui l’a recréé. Il est d’autres nus que Washington ne saurait voir. Il s’agit des statues de centurions romains qui semblent monter la garde sur le toit de la gare de Washington, considérée comme l’un de ses plus beaux monuments. Ils ont été exécutés en 1907 par le sculpteur Louis Saint-Gaudens. Ses commanditaires lui avaient demandé de rester fidèle à l’histoire. Il les avait alors représentés nus sous leurs courtes tuniques, ce qui avait choqué la Commission des beaux-arts ayant droit de regard sur l’exécution de ce monument dû à l’architecte Daniel Burnham. Louis Saint-Gaudens a alors chastement utilisé des boucliers en guise de feuilles de vigne. C’est ainsi que sont, toujours, ces centurions géants. Au XVIIIe siècle comme à Las Vegas Le goût de l’effeuillage n’a quand même pas complètement disparu. Un grand musée de Washington, la Corcoran Gallery, a tout récemment accroché un tableau à connotation sexuelle et de style quelque peu pompeux. Intitulé Le choix d’un modèle, il porte la signature d’un peintre espagnol nommé Mariano Fortuny (1838-1874). Il l’a réalisé au moment où émergeaient les impressionnistes français qui haïssaient ce genre scrupuleusement narratif et voyant, de même que ces personnages apprêtés. Si l’on a raccroché aujourd’hui cette œuvre, explique un responsable de la Corcoran, c’est parce qu’elle porte en elle les prémices de Los Angeles. Elle dégage le même étincellement artificiel et le même excès d’opulence que la ville des jeux de hasard. Le décor, très XVIIIe siècle (murs rose vibrant, énormes miroirs aux cadres dorés), a tout des hôtels actuels. Les personnages sont habillés comme les « show girls » : habits de velours et de satins, et coiffes ornées de plumes d’autruche. Au centre, le « modèle » qui vient de se déshabiller sans gêne aucune. Les hommes prétendent méditer sur la culture. En fait, ils reluquent la belle.
WASHINGTON - Irène MOSALLI

Durant un demi-siècle, elle s’est prélassée dans sa nudité sous le regard des journalistes de tous bords et de tous les pays du monde, préoccupés à collecter des informations et pressés de les envoyer avant le « bouclage ». Et ils passaient indifférents à côté de ce tableau accroché au National Press Club, intitulé Phryné, du nom...