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UN LIVRE, UN AUTEUR - « L’amour du prochain » Pascal Bruckner et le charivari du sexe

Une plume incisive, brillante, à l’élégance inimitable. Une imagination fertile et débordante. Du culot à en revendre. Une (re)mise en question et en examen d’une société occidentale enivrée de fausses libertés. C’est ainsi que se présentent les écrits de Pascal Bruckner, romancier et essayiste, certes corrosif mais de talent. Dans les milieux littéraires parisiens, l’auteur de L’amour du prochain (Grasset-347 pages) est bel et bien une star de l’édition. Plusieurs prix couronnent déjà plus d’une de ses œuvres. Et non des moindres. Le Renaudot en 1997 pour son roman Les voleurs de beauté (Grasset) et le prix Médicis en 1995 pour son essai La tentation de l’innocence (Grasset). Plus d’une douzaine d’opus à son actif et, à chaque parution de ses romans, la même agitation, les mêmes dissensions, les mêmes querelles, les mêmes avis enflammés et partagés. Sauf pour le talent de dire et d’écrire. Les écrits de Pascal Bruckner ne laissent jamais indifférents. Ils font l’événement et soulèvent les polémiques les plus houleuses et les critiques à la fois les plus acerbes et les plus dithyrambiques. Pas de place pour les tièdes ! Plus de vingt-cinq ans au service de la plume et de la fiction, et l’écrivain ne semble pas prêt de calmer ses ardeurs littéraires, pour le grand plaisir et le bonheur des lecteurs bien entendu. Et des bien-pensants qui ne se contentent pas des paysages plats et ronronnants. Parmi ses retentissants ouvrages, on retient aujourd’hui sa fabulation sur l’amour. Avec un titre mi-figue mi-raisin pour parler des «perditions», des épaves, des damnés, des transfigurés, des (re)convertis du sexe. L’amour du prochain est un titre fallacieusement vertueux! Conte moderne analysant avec une acide pertinence les turbulences de l’amour. Bien sûr, en toute innocence, toute pensée se dirige vers cet amour sage et noble que Dieu a recommandé aux humains pour supporter toute traversée sur cette terre, pour aider le prochain à construire une vie, pour mériter le repos éternel… Trop étriqué pour Pascal Bruckner, qui a concocté là un roman drôlement polisson, délicieusement irrévérencieux, délibérément provocateur. On pourrait plutôt, pour se rapprocher de cet opus, employer la paraphrase de «splendeurs et misères d’un gigolo ou les phalanstères du sexe». Tout au plaisir et au service des dames! Explication voilée et bien courtoise pour ce roman qui tord à froid le cou aux notions désuètes des relations humaines les plus intimes… Ces pages truffées d’humour et de réflexions, caricaturant les travers de la société moderne, sont les toniques et joyeux mémoires d’un homme qui découvre les desseins impénétrables du sexe et de ses voies forcément pavées de pièges. Sans jamais tomber dans le vulgaire ou le racolage. Ici, la pornographie moderne atteint non pas des cimes inexplicablement hautes, mais les profondeurs les plus insondables, les plus inavouables! Faut-il croire en plus qu’il y a encore, sous ce soleil, quelque chose qu’on n’avoue plus? Mêmes les crimes les plus abominables se sont banalisés, tristement médiatisés. Toutefois, quand un romancier tient les rênes du pouvoir et ceux de l’imagination, le récit risque d’être de loin plus intéressant pour s’entretenir du charivari du sexe. Un livre amusant, survitaminé, si on prend le recul nécessaire pour le lire, tout en étant légèrement moralisateur, mais pas du côté soporifique s’il vous arrivait de le penser, car Dyonisos veille et la vie, comme Dieu, reste «amour»! Drame de la solitude contemporaine, héroïsme de la fornication, angélisme dissolu, fanatisme sexuel, obscurité des «back rooms», navrante «mécanicité» du sexe, cela en fait des thèmes scabreux et pas tendrement abordables pour Bruckner qui s’en tire pourtant, en toute virtuosité et brio littéraire, avec une fabulation érotique d’un humour mordant. Un jour Sébastien, la trentaine, brave père de famille et mari soumis, presque heureux, bref un peu monsieur Tout-le-monde, genre pudique et distingué, croise, dans un café, une dame d’un âge respectable. Sans le vouloir, il attise son désir. Désir charnel, violent et cru. Culot de la vieille: elle lui fait la passe! Moment de dilemme cornélien et monsieur, très petite vertu et sans nul doute homme de joie qui s’ignore, cède. La bagatelle terminée dans un hôtel sans grand luxe, madame le congédie tel un valet de chambre sagement rémunéré, la besogne accomplie… Et c’est, pour Sébastien, la chute libre (liberté ou aliénation!), en secret (comme tout ce qui est mal), dans la fange des marathons copulatoires vénaux. Studio de cocotte pour recevoir ses «clientes» de tous bords et de tous âges où on y croise même une Libanaise! Mais l’amour, le vrai, sous les traits de la belle Dora, surgit. Immanquablement raté. Dora découvre, incrédule et dans l’horreur, la réalité malsaine et psychopathe de son amant. Coup de théâtre après les souffrances, Dora, absolument dingue, emboîte le pas à Sébastien dans son ardent prosélytisme sexuel pour des liaisons plus que dangereuses… Mais la société punit de tels délires. Et comme un polar, le roman vire à traquer les méchants, c’est-à-dire ces fornicateurs impénitents, et à leur infliger les plus intolérables tortures… Guérison de ces «lépreux de la morale» et retour au droit chemin, au sein du cercle d’amis pseudo-vertueux qui ont tout entrepris pour les dissuader de persister dans des voies obscures… Mais on ne rentre pas impunément au bercail. Le désir, sournois et indéfectible, est là. Dora et Sébastien se retrouvent et le roman ne dit pas quels nouveaux ébats les attendent, pas plus quels autres matins triomphants ou déchantants… Provocateur, cynique, émouvant, cet Amour du prochain? Tout dépend du regard. Le regard que le lecteur pose sur ces lignes à la fois cocasses et sulfureuses, serties dans une langue raffinée, élégante, d’une beauté parfois à couper le souffle. Edgar DAVIDIAN
Une plume incisive, brillante, à l’élégance inimitable. Une imagination fertile et débordante. Du culot à en revendre. Une (re)mise en question et en examen d’une société occidentale enivrée de fausses libertés. C’est ainsi que se présentent les écrits de Pascal Bruckner, romancier et essayiste, certes corrosif mais de talent. Dans les milieux littéraires parisiens,...