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GROS PLAN «Teta, Mother and Me», de Jean Saïd Makdessi, aux éditions Saqi Histoire(s) et généalogies

Elle s’insurge contre les poncifs. Elle a une allergie toute particulière au mot moderne en opposition au traditionnel. À l’évidence, Jean (prononcer Jeen) Saïd Makdessi n’aime pas les formules toutes faites, les étiquettes que l’on a tendance à poser à tel auteur ou à tel artiste. Les conflits d’identité ? La Palestino-Libano-Américaine ne connaît pas. «Je sens une forte appartenance à mes racines palestiniennes, un grand attachement à mon identité arabe et une fierté particulière à être une femme.» Pour Jean, sœur du grand intellectuel Édouard Saïd, toutes ces facettes sont indissociables. Elle a écrit, en 1990, un ouvrage intitulé Fragments de Beyrouth : mémoires de guerre. Elle y relatait les atrocités de la guerre civile à travers le combat quotidien d’une mère de famille. Quinze ans plus tard, elle signe Teta, Mother and Me : An Arab Woman’s Memoir. C’est une histoire qu’elle a toujours voulu raconter: celle des femmes de sa famille. Tout a commencé par des questions existentielles. Qui suis-je? D’où je viens? Est-ce que nous connaissons notre propre histoire? «Les sources fondamentales de cet ouvrage remontent aux années 60 et au mouvement de libération de la femme qui a soufflé sur les États-Unis», indique l’auteure. Makdessi a vécu in situ, in vivo cette période mouvementée où les femmes ont osé revendiquer leurs droits, où les manifestations contre l’intervention américaine au Vietnam enflammaient la rue. «En ces temps-là, on a beaucoup évoqué l’histoire. Et moi, je me suis toujours questionnée à propos de la nôtre et, surtout, de celle des femmes arabes.» Puisque ce sont toujours les hommes qui ont écrit l’histoire et ont ainsi occulté le rôle de leurs moitiés dans les grands événements. « Avons-nous oublié que c’est une femme, Fatam Mahmasani, qui a hissé le drapeau arabe sur le Grand Sérail après le départ des Ottomans? Personne ne sait que c’est une femme, une servante, qui a appris au grand Mohammad Ali Pacha, le chantre du modernisme arabe, à lire et à écrire. Contrairement aux stéréotypes de la femme passive, nos grands-mères ont été très actives. Mais nous n’avons pas fait notre devoir. Les Britanniques, elles, l’ont fait. De nombreuses études ont été réalisées sur les femmes durant l’ère victorienne. Cette période n’a plus de secret ou de zones d’ombre. Dans le monde arabe, nous sommes toujours ignorantes de notre passé. Les idées fausses prévalent encore.» Makdessi a donc fouiné dans les documents de famille, sollicité la mémoire d’amis et de membres de la famille, s’est référée à des livres d’histoire de la Syrie, de la Palestine, du Liban, d’Égypte et des États-Unis. Ce n’est que lorsqu’elle s’est mise à l’écriture de ces chroniques familiales qu’elle s’est rendu compte qu’elle connaissait très peu sa «téta» et pas assez sa mère. Jean Saïd est née à Jérusalem en 1940. Elle a fait ses études au Caire et aux États-Unis. Elle a vécu à Beyrouth où elle a élevé ses trois garçons. Teta, Mother and Me est son quatrième enfant, en quelque sorte. Un bébé « qui a pris 17 mois de gestation ». L’accouchement a été très difficile. «Écrire ce genre d’ouvrages relève de la gageure. C’est compliqué de raconter l’histoire de sa propre famille. Faire le tri entre ce qui est du domaine public et ce qui est du domaine privé est très délicat. Comment taire des choses personnelles en étant véridique? Sinon, pas la peine de l’écrire.» Autre difficulté: quels faits raconter? Comment faire le choix entre ce qui est banal pour le lecteur et ce qui ne l’est pas ? Quoi qu’il en soit, le résultat est une passionnante biographie qui relate le destin exceptionnel de trois femmes. La téta, la maman et Jean ont réussi à s’intégrer dans le monde du travail et dans la société, à élever une famille nombreuse dans les pires circonstances, celles de la guerre. Elles ont bravé la peur, la pénurie, les affres du déplacement, l’insalubrité des abris, mais aussi le machisme ambiant «réconforté par les missionnaires». «On a beaucoup critiqué mon ouvrage sur ce sujet-là. Mais je persiste et signe. Ce sont les écoles et universités de missionnaires qui ont aidé à reléguer la femme à son rôle de seconde catégorie.» Lorsque les hommes font la guerre, les femmes, elles, se battent pour assurer un brin de sensibilité dans un quotidien complètement déshumanisé. Le lecteur s’embarque dans cette saga avec délectation. Le périple commence avec l’histoire contemporaine de l’auteure qui se souvient des pires moments de la guerre civile. Flash-back ensuite sur l’enfance de sa grand-mère durant la période ottomane. Pour conclure avec les aventures incroyables de sa mère durant les deux guerres mondiales. Passage particulièrement émouvant, celui où elle décrit la mort de cette femme. On ne peut s’empêcher à la lecture de cette scène de penser à Une mort très douce, ce bref récit de Simone de Beauvoir qui raconte la disparition de sa propre mère. Comme l’auteur du Deuxième sexe, Makdessi nous livre ses mémoires en gardant toujours à l’esprit ce que fut la vie de sa mère et de sa grand-mère. Un récit à la fois historique et personnel, d’une grande franchise. Et qui change notre regard sur l’histoire de la région, sur le monde, sur la guerre, sur la femme, sur la vie. Maya GHANDOUR HERT
Elle s’insurge contre les poncifs. Elle a une allergie toute particulière au mot moderne en opposition au traditionnel. À l’évidence, Jean (prononcer Jeen) Saïd Makdessi n’aime pas les formules toutes faites, les étiquettes que l’on a tendance à poser à tel auteur ou à tel artiste.
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