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Actualités - ANALYSE

Loi électorale II - La circonscription uninominale, mode d’emploi

En matière démocratique, il ne fait pas de doute que le Liban mérite, malgré tout, le titre de pionnier du monde arabe. Cette caractéristique est d’autant plus évidente que, d’une façon globale, démocratie et monde arabe restent aujourd’hui aussi étrangers l’un à l’autre que ne l’est le modèle scandinave à l’Afrique centrale. Rien ne serait pourtant plus inopportun pour les Libanais que de céder à l’autosatisfaction. La culture démocratique reste dans une large mesure embryonnaire sous nos latitudes et ne doit ses balbutiements qu’à la structure plurale de la société libanaise, chaque communauté défendant bec et ongles ses intérêts face à la collectivité. S’agissant de la démocratie électorale, le moins qu’on puisse dire est que le Liban a encore beaucoup à apprendre. Même ses élites politiques ignorent pour la plupart les mécanismes subtils des divers modes de scrutin et ne veulent en retenir que certains aspects grossiers – souvent déformés – qui servent les intérêts qu’elles défendent. Pour être en mesure, intellectuellement parlant, d’élargir et surtout d’approfondir le débat autour du système électoral, il est d’abord impératif de se débarrasser du carcan constitutionnel. Il faudrait, en d’autres termes, que ceux qui matraquent tous les jours l’opinion avec leurs appels en faveur d’une loi « juste » et « représentative » admettent qu’un texte répondant à ces qualificatifs est tout simplement impossible à mettre au point à l’ombre des dispositions actuelles de la Constitution. Voilà pourquoi il est absolument nécessaire, si l’on souhaite parvenir à des résultats tangibles, que le gouvernement accepte de libérer totalement la commission Boutros de toute contrainte constitutionnelle. La tâche de la commission étant principalement de mener un travail de réflexion, il est inutile et même nuisible de la confiner à un exercice stérile, susceptible de déboucher, au pire, sur une impasse et, au mieux, sur un projet compliqué et hybride ne satisfaisant personne. Il sera toujours possible, une fois qu’un projet aura pris – au niveau de la réflexion – le dessus sur tous les autres, de décider s’il faudra ou non procéder à une révision constitutionnelle pour permettre son adoption, sans pour autant ouvrir la boîte de Pandore et remettre en question Taëf. La majoritaire plurinominale Pour commencer, un déblayage de terrain s’impose. Quelle que soit la taille des circonscriptions, aucune loi électorale véritablement « juste » et « représentative » ne saurait voir le jour sous le régime de la majoritaire plurinominale en vigueur au Liban. Ce constat est loin d’être livré ex cathedra. Il s’agit simplement de la leçon à tirer d’un système qui a prouvé sa confusion, son passéisme et son caractère profondément inégalitaire, tant pour les électeurs que pour les élus eux-mêmes. Tout est problématique dans ce mode électoral, depuis le dépôt de candidature jusqu’aux résultats du vote, en passant par la constitution des listes puis le scrutin proprement dit. Certes, les petites circonscriptions sont préférables aux grandes, non pas tant parce qu’elles conviennent mieux aux minorités, mais parce qu’en mode majoritaire, une grande circonscription est une absurdité absolue. Ce n’est pas seulement le chrétien qui a besoin d’une proximité avec son élu. Tous les électeurs doivent pouvoir bénéficier de ce droit. D’où la nécessité vitale de sortir de ce cliché dans lequel se sont enfermés la plupart des hommes politiques libanais, à savoir que la petite circonscription sert les intérêts des chrétiens (et des druzes) et la grande ceux des sunnites et des chiites. Quant à la proportionnelle, elle poserait au Liban un double problème. D’une part, en l’absence d’une culture démocratique fondée sur les grands partis politiques, les caractéristiques qui sont les siennes dans les démocraties authentiques risqueraient au Liban d’être totalement faussées. On se retrouverait ainsi devant une reproduction des inconvénients de la grande circonscription sous le mode majoritaire. D’autre part, rien ne dit que des élections sur le mode proportionnel pourront déboucher sur une Chambre dont la composition serait conforme au fondement du système politique libanais, à savoir le respect de la coexistence. Il ne s’agirait plus là d’une entorse à de vulgaires dispositions électorales, mais d’une atteinte grave au préambule de la Constitution, c’est-à-dire à la pierre angulaire sur laquelle repose tout l’édifice de l’État libanais. Quant à savoir s’il faut ou non changer de système politique, il s’agit bien sûr d’un débat d’une tout autre nature. 128 circonscriptions Reste donc un seul mode de scrutin susceptible dans une certaine mesure de répondre à la fois aux réalités du pays et au besoin de démocratie : la majoritaire uninominale. Plusieurs formations politiques, parmi lesquelles le Bloc national et – tout dernièrement – les Kataëb, ont présenté des projets se fondant sur ce mode, en vigueur dans plusieurs démocraties de la planète – et non des moindres –, comme la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis. Le principe en est simple : 128 sièges = 128 circonscriptions. Autrement dit, chaque circonscription correspond à un seul siège. Le vote se fait à la majorité, le vainqueur étant le candidat qui obtient le plus de voix dans chaque circonscription. En France, ce mode est tempéré par l’existence d’un second tour. Ne sont élus au premier tour que les candidats ayant obtenu plus de 50 % des suffrages. Dans toutes les circonscriptions où ce pourcentage n’est atteint par aucun candidat, il y a ballottage, c’est-à-dire qu’un nouveau scrutin devra être organisé une semaine après le premier tour. Seuls les candidats ayant obtenu un pourcentage de voix dépassant une certaine proportion d’inscrits ont le droit de se représenter pour le deuxième tour. Les autres sont éliminés. Ainsi, au premier tour, il peut y avoir un nombre illimité de candidats. Mais seulement deux ou trois, très rarement davantage, au second. le tracé des circonscriptions Le reproche qui est généralement fait à ce système dans les pays occidentaux est qu’il favorise trop ce qu’on appelle les partis de gouvernement et pénalise les marges et les extrêmes (contrairement à la proportionnelle), comme c’est le cas pour le Front national en France. Avec une audience de plus de 10 % de l’électorat, le FN ne parvient pourtant à élire aucun de ses candidats aux législatives. La raison principale en est que la majoritaire uninominale à deux tours impose des alliances préélectorales entre les diverses formations. Le FN étant généralement tenu à l’écart par les autres formations, y compris de droite, ses candidats finissent toujours par mordre la poussière, même lorsqu’ils arrivent en tête au premier tour. En revanche, les Verts, avec moins d’audience nationale, réussissent à emporter des sièges grâce à des accords avec le Parti socialiste. Au Liban, la principale difficulté qui se pose pour l’adoption de la majoritaire uninominale réside dans le tracé des 128 circonscriptions (si on décide de maintenir la Chambre à 128 sièges). C’est une opération d’une extrême délicatesse, non seulement en raison des considérations confessionnelles, finalement gérables quoi qu’on en dise, mais surtout des affinités à caractère local. Par exemple, confessionnellement parlant, la division d’un caza comme le Kesrouan en cinq circonscriptions (pour cinq sièges) ne pose à l’évidence aucun problème, puisque, dans tous les cas de figure, il ne pourra s’agir que de sièges maronites, que la loi le précise ou non. En revanche, il faudra prendre garde, en opérant le découpage, à heurter le moins possible les intérêts et les susceptibilités d’ordre familial et villageois, tout en équilibrant les circonscriptions de façon à ce qu’elles soient plus ou moins égales sur le plan démographique. Ce qui est loin d’être une mince affaire. En principe, en suivant la répartition actuelle des sièges en fonction des cazas, il ne devrait pas être difficile de parvenir à un découpage sur la base de la parité islamo-chrétienne (64/64). Cela encourage certains promoteurs du projet, comme les Kataëb, à aller jusqu’à envisager que la loi électorale soit déconfessionnalisée et ne précise donc pas l’identité confessionnelle du siège. Cette logique pourrait fonctionner à merveille dans des cazas comme le Kesrouan, Jbeil, Zghorta, Bécharré, Denniyé, Minié, Saïda, Tyr, Nabatiyeh, Bint Jbeil, dans certaines régions d’autres cazas et même dans plusieurs quartiers de Beyrouth et de Tripoli. Par contre, il faudra impérativement une détermination autoritaire de la confession pour la plupart des huit circonscriptions d’un caza comme le Metn, à défaut de laquelle la répartition en quatre sièges maronites, deux grecs-orthodoxes et un grec-catholique pourrait voler en éclats, en raison de l’imbrication démographique des trois communautés. Seule la circonscription arménienne (Bourj Hammoud) paraît évidente. Il en va de même pour certains sièges de la capitale, comme ceux qui reviennent aux protestants et aux minoritaires, mais aussi le siège grec-catholique et le second siège grec-orthodoxe (le premier étant naturellement à Achrafieh). D’autre part, il faudra « déplacer » un certain nombre de sièges qui avaient été abusivement attribués dans certaines régions à des communautés qui y sont pratiquement inexistantes ou très peu nombreuses. Il en est ainsi, par exemple, du siège druze à Beyrouth et du siège maronite à Tripoli. les avantages de la majoritaire uninominale On le voit, un découpage du Liban en 128 circonscriptions est une opération d’une grande complexité. Et pour l’accomplir, il faudra trouver des sages d’entre les sages, intègres, absolument dénués d’arrière-pensées et soucieux uniquement de concilier efficacité, respect des fondements nationaux et réalités sur le terrain. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Peut-être. Après tout, les avantages de la majoritaire uninominale sont nombreux. Elle est tout d’abord simple et claire pour l’électeur ; elle garantit la proximité de l’élu ; elle est une réponse valable au clientélisme de grande envergure et, par-dessus tout, elle établit une égalité de base entre les 128 élus de la nation, contraints tous de s’en référer à leurs électeurs et non plus à leur tête de liste. La question qui se pose est de savoir si ces qualités conviennent à la poignée de barons qui se disputent aujourd’hui le pouvoir au Liban. Élie FAYAD

En matière démocratique, il ne fait pas de doute que le Liban mérite, malgré tout, le titre de pionnier du monde arabe. Cette caractéristique est d’autant plus évidente que, d’une façon globale, démocratie et monde arabe restent aujourd’hui aussi étrangers l’un à l’autre que ne l’est le modèle scandinave à l’Afrique centrale.
Rien ne serait pourtant plus inopportun...