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Actualités - OPINION

Loi électorale I - Un inextricable casse-tête

L’éternel débat sur la loi électorale refait progressivement surface depuis quelque temps. Ce dossier avait été provisoirement relégué au second plan au moment de la formation de la commission Boutros, à laquelle on avait demandé de trouver – silencieusement – la formule magique censée satisfaire tout le monde. C’est un euphémisme de dire que la mission confiée à l’ancien ministre des Affaires étrangères et aux autres membres de la commission est ingrate, voire impossible. Dans un pays où la moindre broutille administrative prend des proportions existentielles, où l’on croise le fer pour savoir s’il faut ou non changer de président, considérer tel voisin comme l’ami et l’autre comme l’ennemi et maintenir une milice aux pouvoirs supranationaux, on voit mal comment on pourrait sereinement unifier les goûts – et les appétits – autour d’un instrument aussi déterminant pour la conquête du pouvoir que peut l’être une loi électorale. Autant demander à un chef de concocter un bon plat à une tablée rassemblant des végétariens, des carnivores, des amateurs de cuisine occidentale et d’autres de mezzés orientaux, des gros mangeurs et des anorexiques. La Constitution, déjà, ne facilite pas la tâche dans la mesure où elle dit pratiquement la chose et son contraire. Soucieux de hâter la fin de la guerre, les parrains de Taëf avaient procédé à une distribution de cadeaux à droite et à gauche, oubliant parfois que le geste fait dans une direction pouvait avoir pour effet d’annuler l’autre. S’agissant de la loi électorale, le texte de la Constitution prévoit l’adoption des mohafazats comme circonscriptions, mais seulement après leur redécoupage en fonction des impératifs de la décentralisation administrative et de manière à respecter rigoureusement le principe de la coexistence islamo-chrétienne. Sans parler de l’inopportunité de lier les considérations électorales aux questions purement administratives – un lien qui a conduit à la paralysie mutuelle des deux dossiers –, il est clair que les dispositions de Taëf se heurtent à des obstacles pratiquement insurmontables. Théoriquement, façonner de nouveaux mohafazats de manière à obtenir un nombre égal d’unités chrétiennes ou à majorité chrétienne et d’autres musulmanes ou à majorité musulmane est loin d’être impossible. Mais dès lors qu’il s’agit de prendre en compte la répartition communautaire à l’intérieur des grands ensembles religieux, on se retrouve face à la quadrature du cercle. Car la philosophie du système libanais ne repose pas uniquement sur la parité globale entre chrétiens et musulmans, mais aussi sur la juste représentation des diverses communautés formant chacun de ces ensembles. Si, par exemple, en tenant compte de cet important détail, on consacre un « mohafazat » à majorité druze (Aley et Chouf), il faudrait, selon la même logique, créer une unité similaire pour les grecs-catholiques, sensiblement égaux en nombre aux druzes, et peut-être deux pour les grecs-orthodoxes, nettement plus nombreux. Or où trouver, géographiquement parlant, ces circonscriptions ? À la limite, on pourrait envisager, pour les grecs-catholiques, l’actuel caza de Zahlé. Mais, le cas échéant, on serait en présence d’une configuration où la communauté à laquelle est censé « appartenir » le mohafazat en question y est fortement minoritaire par rapport au total des inscrits. D’autre part, en « donnant » un mohafazat à quelque 25 000 électeurs de cette communauté, on prive de ce droit les 120 000 à 130 000 autres, répartis dans le reste du pays. Le problème est encore plus compliqué pour les grecs-orthodoxes, faute d’un « sanctuaire » géographique bien déterminé. Il existe aussi un autre obstacle, tout aussi insurmontable. L’appellation de « mohafazat » peut convenir au caza de Zahlé ou à un ensemble formé des cazas du Chouf et d’Aley. Mais qu’en est-il de Beyrouth ? Verra-t-on un jour deux ou trois mohafez coexister dans la capitale ? Absurde ! Mais alors que faire ? Ne pas diviser Beyrouth ? Cela équivaudrait à porter le coup de grâce au principe de la coexistence. Il faut se rendre à l’évidence : pour pouvoir appliquer une Constitution, il faut d’abord qu’elle soit applicable. En un certain nombre de points, Taëf, hélas, ne l’est pas. Bien sûr, on pourrait rétorquer que le moment est particulièrement mal choisi pour envisager une révision constitutionnelle. C’est absolument certain et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la tâche de la commission Boutros est rendue bien difficile. En fin de compte, la seule approche possible de la question électorale est celle qui consisterait à la fois à prendre en compte les réalités du pays tout en faisant table rase des tabous entourant cette question. Après tout, la Constitution n’évoque de la loi électorale que l’unique aspect de la taille des circonscriptions, qu’elle envisage dans le cadre du mode de scrutin en vigueur au Liban depuis toujours, c’est-à-dire la majoritaire plurinominale. Un passage à la proportionnelle ou à la majoritaire uninominale modifierait de fond en comble la donne. Encore faut-il que l’on en connaisse les mécanismes. Élie FAYAD Prochain article : II - La circonscription uninominale, mode d’emploi
L’éternel débat sur la loi électorale refait progressivement surface depuis quelque temps. Ce dossier avait été provisoirement relégué au second plan au moment de la formation de la commission Boutros, à laquelle on avait demandé de trouver – silencieusement – la formule magique censée satisfaire tout le monde.
C’est un euphémisme de dire que la mission confiée à l’ancien...