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Actualités - OPINION

Perspectives - Le Hezbollah franchira-t-il le Rubicon en faisant prévaloir la cohésion interne sur les intérêts régionaux ? De Riad el-Solh à Fouad Siniora, ou la consolidation de l’indépendance dans l’esprit du pacte national

Dans le courant de l’été 1943, une réunion groupait à Aley les deux pères de la première indépendance, Béchara el-Khoury et Riad el-Solh. C’est semble-t-il au cours de ce long entretien que furent définis les fondements, les grandes lignes directrices, de ce qui sera connu plus tard sous le nom de pacte national. Riad el-Solh releva alors à l’adresse de son interlocuteur que nombre de ses compagnons (notamment musulmans) lui reprochaient sa position jugée, à leurs yeux, un peu trop « libaniste et souverainiste » (pour reprendre une terminologie actuellement usitée). Ce à quoi il leur répondait : « Celui qui milite pour la liberté du Liban milite pour la liberté des Arabes. » Plus de soixante ans plus tard, le contexte géopolitique est certes radicalement différent, mais c’est un Premier ministre tout aussi libaniste et souverainiste qui préside aux destinées du premier gouvernement de la seconde indépendance du Liban. Un Premier ministre pourtant issu – à l’instar d’ailleurs de son prédécesseur de 1943 et de son maître à penser, Rafic Hariri – de l’école du nationalisme arabe. Il faut dire que celui-ci ne représente plus, depuis belle lurette, qu’une vulgaire coquille vide, un slogan désuet, relégué aux oubliettes de l’histoire. Il reste que c’est une retentissante leçon de liberté d’opinion que Fouad Siniora a donnée mardi dernier, à Khartoum, aux rois et chefs d’État arabes qui n’en reviennent sans doute pas encore d’avoir vu un chef du gouvernement en exercice contredire aussi ouvertement le « numéro un » de son pays. Mais bien au-delà des considérations de pure forme, c’est en quelque sorte une certaine vision de la liberté – ou, en d’autres termes, de l’autonomie politique – de l’entité libanaise que Fouad Siniora a défendue devant les participants au sommet arabe, au risque de choquer profondément nombre de ses coreligionnaires locaux, comme le fit en 1943 Riad el-Solh. Car en invitant la conférence de Khartoum à soutenir « le peuple libanais » dans son droit à la résistance, plutôt que « la Résistance » (donc une fraction bien précise, en l’occurrence le Hezbollah), le Premier ministre a soulevé non pas une simple question de phraséologie, mais un véritable problème de fond d’une portée stratégique indéniable (le « numéro deux » du Hezbollah, cheikh Naïm Kassem, l’a d’ailleurs relevé samedi dans une interview radiodiffusée). Pour le chef du gouvernement, il s’agit en effet de soustraire la Résistance au bon vouloir d’une seule partie, d’une seule communauté. En clair, compte tenu des liens organiques et logistiques du Hezbollah avec Damas et Téhéran, il s’agit de « désyrianiser » et de « désiraniser » la Résistance. En prônant ainsi la libanisation de la Résistance (en termes d’objectifs stratégiques), de manière à lui ôter son caractère réducteur et sectaire pour lui donner une dimension nationale et globale, Fouad Siniora cherche sans doute à dissocier le contentieux des hameaux de Chebaa des calculs régionaux syro-iraniens, ce qui implique le rétablissement de la liberté de décision politique du Liban pour tout ce qui touche à ce dossier. Rien d’étonnant, par voie de conséquence, que les principaux legs de l’occupation syrienne soient montés rapidement au créneau à la suite de l’intervention du Premier ministre au sommet de Khartoum pour accuser l’alliance du 14 Mars de vouloir « décapiter la Résistance », comme l’a tempêté le locataire de Baabda après être sorti de ses gons au terme du Conseil des ministres avorté de jeudi dernier. En se posant de la sorte en défenseur acharné, et zélé, de la « Résistance », le général Émile Lahoud essaye en réalité non pas tant de se solidariser avec le Hezbollah, mais surtout de préserver la principale carte de pression de son allié syrien sur l’échiquier libanais. En 1943, Riad el-Solh avait eu le courage et la perspicacité historique d’inciter ses coreligionnaires à faire acte d’allégeance envers un Liban libre, se prononçant pour « l’indépendance entière et réelle à l’égard de tous les États d’Orient », pour reprendre les termes des grandes lignes du pacte national, tels que rapportés par le président Béchara el-Khoury lui-même en 1960. Aujourd’hui, cet acte de foi, ce souci de faire prévaloir les impératifs de la cohésion interne libanaise sur tout autre intérêt régional doit être renouvelé et consolidé. Le Premier ministre, et avec lui les composantes sunnite et druze du 14 Mars, ne cesse de le faire, dans le sillage de la révolution du Cèdre. Reste au Hezbollah de franchir à son tour le Rubicon s’il désire réellement être un partenaire à part entière dans l’entreprise d’édification du Liban de la seconde indépendance. Michel TOUMA
Dans le courant de l’été 1943, une réunion groupait à Aley les deux pères de la première indépendance, Béchara el-Khoury et Riad el-Solh. C’est semble-t-il au cours de ce long entretien que furent définis les fondements, les grandes lignes directrices, de ce qui sera connu plus tard sous le nom de pacte national. Riad el-Solh releva alors à l’adresse de son interlocuteur que...