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Les enjeux de la présidentielle sur la scène politique chrétienne

L’ère post-Taëf a vu deux des trois grandes communautés libanaises s’organiser sous la houlette d’un leadership qui s’est révélé indélébile et inaliénable, qu’il soit sous la forme d’un monolithisme bicéphale dans le cas chiite ou qu’il réponde à une structure moins monopoliste comme cela fut le cas chez les sunnites. Seule la communauté chrétienne, pax syriana oblige, est restée en quête d’un tel leadership. En consacrant le Courant patriotique libre (CPL), les élections du printemps 2005 ont apporté une réponse à une partie importante des aspirations encore inassouvies d’une large fraction des chrétiens (aspirations qui dépassent la seule communauté chrétienne, soit dit en passant). Aux « aounistes » de la première heure – ceux qui s’identifiaient notamment au discours souverainiste, unitif, et à une action jointe à la parole d’un général charismatique – qui ont donné lieu par la suite à des ramifications à la fois internes (surtout estudiantines) et externes grâce à une diaspora particulièrement active, s’est jointe une deuxième génération de « patriotiques libres ». Cette dernière, composée en majeure partie d’étudiants et de jeunes professionnels, est principalement réceptive à un programme politique faisant de l’édification d’un État de droit son cheval de bataille, tranchant nettement avec une bureaucratie désuète qui a consacré le népotisme et la corruption comme un véritable « modus operandi », ainsi qu’à un discours modéré résolument ouvert à toutes les autres composantes du tissu communautaire du Liban et en parfaite harmonie avec l’entourage et la dimension arabes du pays ; une dimension qui n’est pas incompatible avec des valeurs telles que la démocratie, la diversité culturelle et l’ensemble des libertés individuelles et collectives. Ce puissant attrait que continue d’exercer le CPL a fortement relativisé le poids des autres figures politiques chrétiennes. Par ailleurs, les autres partis chrétiens se trouvent dorénavant en mal d’identité faute d’une assise populaire significative et d’un véritable programme politique, d’autant plus que pour les partis non encore complètement sclérosés, un immobilisme risque d’être létal, notamment lorsque le discours souverainiste – par essence rassembleur – aura été entièrement amorti. Aussi, par sa seule mise en place, couplée à un réel dynamisme populaire, le CPL a sensiblement réduit la marge d’évolution des partis qui lui sont antérieurs en leur délimitant de manière quasi systématique deux bornes distinctes entre lesquelles ces derniers seront appelés à se repositionner, voire à se redéfinir : une première extrémité tracée par les contours du CPL, celle donc d’un parti libéral porteur d’un discours foncièrement national, et une deuxième limite qui serait celle d’un parti d’extrême droite qui viendrait titiller les désirs refoulés de certains nostalgiques. Or, ce redéploiement nécessaire n’est pas sans risques : d’une part, en voulant trop se rapprocher de la première limite, lesdits partis risquent de tourner le dos à leur propre histoire et d’être complètement absorbés par la mouvance orange ; d’autre part, opter clairement pour la seconde voie serait suicidaire et révélateur d’une incohérence flagrante avec leur discours-slogan d’« unité nationale » qui est plus dans l’air du temps. C’est à travers le prisme de ce nécessaire – mais pas urgent – repositionnement des différents partis à dominante chrétienne qu’il serait intéressant de lire les enjeux de la question présidentielle. En effet, la question du repositionnement de ces partis sur l’échiquier politique chrétien étant d’un coût prohibitif actuellement, elle fut décalée au profit, semble-t-il, d’une stratégie leur permettant, in fine, de se redéfinir après avoir baissé le coût d’une telle démarche. Cette stratégie, à double volet, consisterait en : – Un discours savamment dosé où se marient très bien dogmatisme et ambiguïté, leur permettant de maintenir un seuil minimal en termes de légitimité populaire. – Une offensive visant à affaiblir le chef du CPL, en lui barrant la route de la présidence. Cette offensive est censée contenir la dynamique populaire du CPL et l’acquisition de sa dimension nationale, notamment après l’accord récemment conclu entre ce dernier et le Hezbollah. Pour ce qui est du premier volet, il s’agit d’une rhétorique souverainiste récurrente – certains diront rémanente – et d’un semblant de stratégie destinés à galvaniser de façon continue en premier chef les jeunes. À ces deux éléments vient s’ajouter un message tenu notamment par le chef des Forces libanaises caressant, non sans subtilité, les aspirations et les appréhensions de nombre de chrétiens. Quant à l’offensive menée contre le chef du CPL, elle est caractérisée par une campagne de désinformation orchestrée par certains médias, par une propagande œuvrant à présenter Michel Aoun et son parti comme entièrement phagocytés par « l’axe syro-iranien » et son principal « acolyte » sur la scène locale, par des attaques de front lancées contre le Hezbollah et, tout récemment, par la question présidentielle. L’objectif d’une telle offensive étant vraisemblablement l’affaiblissement de la position de Aoun, en tablant en premier lieu sur l’émoussement de sa crédibilité, ce qui risquerait d’enclencher une déstabilisation de la base populaire du CPL. Pareille déstabilisation ne serait pas sans conséquences sur l’éventuelle arrivée de Aoun à Baabda : ce n’est pas un hasard si cette offensive est allée crescendo suite à la signature du document d’entente avec le Hezbollah. En effet, en se dressant comme l’interlocuteur privilégié de ce parti sur la base d’un document traitant avec réalisme les points épineux du moment, Michel Aoun n’a fait que se poser en président de facto, en tenant le premier rôle qui revient à la première fonction publique, celui d’arbitre et de rassembleur. Il semble donc que c’est afin de tuer dans l’œuf cette dynamique que cette offensive a eu lieu, et que ses principaux fers de lance furent précisément ceux qui craignent une refonte structurelle de la scène politique chrétienne. Cela paraît d’autant plus plausible que le futur président de la République fera fort probablement parti d’un consensus national autour des principales questions actuellement en suspens et aura, par conséquent, l’aval de l’ensemble des parties libanaises, ce qui, a priori, est censé lui faciliter la tâche présidentielle. Si, en plus, ce président venait à s’appeler Michel Aoun, cela se traduirait vraisemblablement par une consolidation de la place centrale du CPL sur la scène chrétienne, faisant à terme de ce dernier une sorte de « grand électeur » incontournable pour les futurs présidents de la République. En somme, en empêchant le chef du CPL d’exercer la première fonction publique, les figures chrétiennes traditionnelles semblent jouer non moins que leur survie. Il reste à noter que, maintenant que le dialogue national est entamé, ces mêmes parties semblent difficilement assimiler le fait que, si accord final il y a à l’issu de ces rounds de négociations multipartites, il ne pourrait qu’être inclusif, sous une forme ou sous une autre, du document commun CPL/Hezbollah. Georges HARB Professeur à Sciences Po Paris

L’ère post-Taëf a vu deux des trois grandes communautés libanaises s’organiser sous la houlette d’un leadership qui s’est révélé indélébile et inaliénable, qu’il soit sous la forme d’un monolithisme bicéphale dans le cas chiite ou qu’il réponde à une structure moins monopoliste comme cela fut le cas chez les sunnites. Seule la communauté chrétienne, pax syriana...