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COMMENTAIRE Milosevic et Hussein : même procès, même farce

Par George P. FLETCHER* Les procès des criminels de guerre étaient autrefois des affaires sérieuses. Souvenez-vous des photographies de Herman Goering et de Rudolf Hess, sinistres, sur le banc des accusés à Nuremberg. Certains leaders nazis ont même été pendus après des procès relativement courts, mais justes. De nos jours, les procès des dirigeants les plus abjects du monde sont devenus des farces. Le procès de Saddam Hussein et de ses amis du Baas sont une série ininterrompue de moments gênants. Les prévenus tentent une singerie après l’autre et Hussein fait montre de toutes les formes de mépris possibles. La seule chose qu’il n’ait pas encore faite, c’est montrer ses fesses au juge. Il est difficile d’en attendre une issue qui pourrait paraître légitime aux yeux des Irakiens ou du monde. Pendant ce temps, le procès de Slobodan Milosevic s’est changé en funérailles après quatre ennuyeuses années de témoignages et 200 millions de dollars dépensés inutilement. Au Cambodge, les Nations unies et le gouvernement ont tergiversé pendant presque dix ans pour savoir comment amener les personnalités khmères rouges survivantes devant les tribunaux. Les tueurs en masse qui ont pris le pouvoir au XXe siècle étaient condamnés à être tués dans des révoltes populaires ou jugés pour leurs crimes – du moins, s’ils ne mouraient pas pendant leur mandat. Qui peut se sentir fier que le dernier chef communiste de Roumanie, Nicolae Ceausescu, ait été fusillé avec sa femme sans même les apparences d’un juste procès ? Les pièges formels d’une vraie cour paraissent toujours préférables à une justice instantanée, même si le résultat final est aussi la mort. Aujourd’hui, il y a deux façons plausibles de procéder à l’égard d’un tyran destitué. Une nation peut envoyer ses anciens dirigeants devant les tribunaux, comme l’ont fait les Argentins dans les années 1980 avec les généraux responsables de la disparition de plus de 5 000 de leurs concitoyens. Au niveau international, le modèle de Nuremberg reste valable pour servir d’exemple à d’autres procès, bien que sous les conditions équivoques dans le cadre desquelles les puissances victorieuses demandent parfois des comptes pour certains crimes, comme les « crimes contre l’humanité » qui n’étaient pas correctement définis au moment où ils étaient commis. Il y eut une époque où l’on pouvait voir les avantages des procès à la fois nationaux et internationaux. Les procès sur le territoire national permettaient à la communauté locale de donner libre cours à son chagrin en participant de près à la procédure. En tant que juges et jurés, les compatriotes des prévenus pouvaient aussi apporter une plus grande sensibilité à l’estimation de la culpabilité car ils pouvaient apprécier les dures conditions sous lesquelles un dictateur destitué prenait ses décisions. Le procès des généraux en Argentine a été un rituel couronné de succès dans le cadre de la douloureuse transition de la junte militaire à la démocratie, mais cette expérience s’est achevée dans une larmoyante remise en question. Même après leur condamnation, les généraux ont été assez forts pour exiger une dénonciation de leurs procès puis une amnistie du président suivant. La politique argentine est encore enchevêtrée dans les conséquences juridiques de ces procès d’il y a vingt ans. Au niveau international, la décision du Conseil de sécurité de l’ONU d’établir le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPI) a aussi été saluée avec une grande confiance. Le TPI a pris plusieurs décisions fondatrices sous la direction d’Antonio Cassese. Mais alors les juges avaient la malchance de réaliser leur rêve le plus cher : juger le scélérat en chef, Slobodan Milosevic. On ne peut se faire une idée claire de la façon dont les Serbes auraient jugé Milosevic dans le cadre d’un procès local. Beaucoup aurait dépendu du parti politique qui aurait contrôlé la cour. Au niveau international, les craintes ne portaient pas sur un excès de politique mais sur un excès de droit. Le procès de Milosevic se devait d’être plus que juste, il devait être l’emblème de la justice de l’ONU. Ainsi Milosevic a été autorisé à se défendre lui-même – grave erreur en termes de longueur et d’efficacité du procès. Il n’y a pas eu de limites au nombre de personnes que l’accusation a appelées à témoigner sur la même épouvantable histoire de l’agression et de la brutalité serbes. Il faudra de nombreux mois pour déterminer le problème et comprendre pourquoi ce procès s’est étalé sur la durée scandaleuse de quatre ans. Mon intuition est que les fonctionnaires bien intentionnés du tribunal étaient trop influencés par la Commission de vérité et de réconciliation sud-africaine, modèle vendu dans les écoles de droit comme une alternative désirable à la justice distributive. Au cours des procès sud-africains, la question la plus importante n’était pas l’avenir du prévenu mais le passé des victimes. Chaque victime était encouragée à raconter son histoire et le prévenu écoutait. Dans le cas de massacres perpétrés au XXe siècle, de telles narrations peuvent durer des dizaines d’années. Encourager les victimes à parler puis donner au prévenu le droit de monopoliser la parole et bloquer le procès en vantant ses mérites de leader politique sont les ingrédients d’une session interminable. Une des leçons que nous avons tirées des procès de Milosevic et de Hussein est qu’il ne faut pas juger des hommes ou des femmes pour leur faire perdre leur attrait charismatique. Ils renverseront le procès, notamment s’ils sont autorisés à se défendre eux-mêmes, et utiliseront la salle d’audience pour justifier leurs parcours. Les tyrans ne devraient être jugés qu’après avoir été clairement défaits. Ironie de l’histoire, le fait que le tribunal de Nuremberg ait été animé par des représentants des vainqueurs et des puissants était un avantage. Ils constituaient un constant rappel pour Goering, Hess et leurs sbires que les Alliés commandaient, que les nazis étaient irrémédiablement vaincus. Punir les coupables, plutôt que former la manière dont l’histoire serait écrite, a toujours été le clair objectif du procès. La tragédie des procès de Milosevic et de Hussein est que les points sur les i de l’histoire manquent encore et que l’histoire elle-même est sur la sellette. L’hésitation des personnes en charge qui en a résulté a donné naissance à des procédures, à la fois nationales et internationales, qui ont facilité les fantasmes de justification et de retour. Dans le cas de Saddam Hussein, ce fantasme pourrait encore se réaliser. * George P. Fletcher enseigne la jurisprudence à l’université de Columbia. Son dernier ouvrage s’intitule Romantics at War : Glory and Guilt in the Age of Terrorism [Les romantiques partent en guerre : gloire et culpabilité à l’ère terroriste] © Project Syndicate/Institute for Human Sciences, 2006. Traduit de l’anglais par Bérengère Viennot
Par George P. FLETCHER*

Les procès des criminels de guerre étaient autrefois des affaires sérieuses. Souvenez-vous des photographies de Herman Goering et de Rudolf Hess, sinistres, sur le banc des accusés à Nuremberg. Certains leaders nazis ont même été pendus après des procès relativement courts, mais justes.
De nos jours, les procès des dirigeants les plus abjects du monde sont...