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Prochaine démarche de douze jeunes pour éliminer la mention de la confession du registre d’état civil La citoyenneté au lieu de la communauté comme pierre angulaire d’un nouvel édifice libanais

Bientôt, très bientôt, douze jeunes Libanais (et sans doute plus) iront auprès des tribunaux demander que leur registre d’état civil ne mentionne plus leur confession ou religion. Ils revendiqueront, textes à l’appui, leur droit de vivre pleinement leur citoyenneté sans appartenir à l’une des 19 communautés dans lesquelles le système libanais compartimente ses fils avant de les reconnaître. Las d’attendre que leur société vienne vers eux, ils ont décidé de prendre l’initiative et de mettre cette société face à ses responsabilités, et surtout face au défi de la cohérence avec des principes qu’elle a un jour proclamés, mais dont l’oubli l’a toujours nourrie. Les douze jeunes Libanais n’appartiennent pas à cette catégorie de laïcs furieux qui veulent « changer les choses » dans leur pays, et ne comptent pas s’embarquer dans une entreprise pittoresque d’abolition intransigeante du confessionnalisme, comme celles que l’on a connues tant de fois dans l’histoire du Liban. À travers le « Sustainable Democracy Center » (SDC) dont ils sont membres – souvent volontaires –, ils ont adopté une tout autre stratégie dont le terrain d’action privilégié réside principalement dans les textes juridiques. En effet, et comme l’explique le directeur exécutif du centre, Sélim Mawad, le but du groupe est de mettre en évidence les situations précises où l’élément communautaire écarte, étouffe même, l’élément citoyen, avec des conséquences souvent désastreuses. Du coup, il ne s’agit plus de la bataille traditionnelle opposant deux dogmes dans toute leur lourdeur, la laïcité contre le confessionnalisme. Nous sommes désormais face à une action plus subtile qui reconnaît aux autres le droit et la liberté de n’exister qu’à travers le prisme communautaire, et même de vouloir vivre dans un système consacrant cet état de fait, mais qui n’accepte plus que ceux qui veulent être d’abord et seulement des citoyens libanais, qui ne reconnaissent que le lien citoyen avec l’État, ne bénéficient pas de ce même droit et de cette même liberté. Le résultat s’impose de lui-même : les lois, qui doivent assurer à tous les Libanais une place identique au cœur du système politique et juridique, ne peuvent donc pas se fonder sur l’élément communautaire, forcément discriminatoire à l’égard de certains d’entre eux, mais sur l’élément citoyen, le seul à pouvoir assurer une égalité conforme à la Constitution, et à pouvoir éviter, selon M. Mawad, un développement du sectarisme qui ne peut être que nuisible. Une lecture critique des lois Voilà pourquoi le SDC a lancé, il y a quelques semaines, une série de séminaires destinés à faire participer les Libanais à un effort de lecture critique de plusieurs textes juridiques, en essayant de mettre en exergue la confrontation dynamique, dans chaque disposition et chaque alinéa de ces textes, entre logique communautaire et logique citoyenne, et de montrer comment la première est, presque toujours, adoptée par le législateur, aux dépens de la seconde. Chaque rencontre permettra à un expert d’aborder la problématique en profondeur, alors que plusieurs jeunes du centre procéderont aux recherches nécessaires à l’exposé. Le premier séminaire (dirigé par Rana Saghieh, avec la collaboration de Mona Iskandarani, de Maha Dahoui et de ÉÉÉlie Mouawad du SDC), qui s’est tenu le 4 mars dernier, a été consacré au système électoral, explique M. Mawad. « Nous voulions exposer aux participants les enjeux entourant la loi électorale, dont le projet devra bientôt être débattu, afin qu’ils puissent à leur tour participer au débat avec le bagage juridique minimal », a-t-il ajouté. Le second séminaire (dirigé par Ilham Kallab, avec Diana Zeidan, Maria Bou Zeid et Dany Mina du SDC), qui devra se dérouler demain, portera sur l’éducation et l’enseignement, en transposant l’étude du conflit citoyenneté/confessionnalisme au cœur même des manuels d’histoire, d’éducation nationale, d’enseignement religieux et de lecture. « On verra alors comment la ligne directrice de ces livres scolaires est de nature communautaire. L’histoire de la guerre est totalement occultée parce qu’on ne peut pas satisfaire les lectures propres à chaque communauté. Le martyr est représenté aux élèves à travers le prisme religieux. On fait, par exemple, des références inopportunes à Roger Garaudy (et sa conversion à l’islam) et à Jean-Paul II, sans parler de la discrimination à l’égard de la femme », déclare M. Mawad, avant d’aborder la troisième rencontre qui aura lieu le 8 avril, et qui concernera la problématique du développement économique (avec Youssef el-Khalil, avec la collaboration de Jad Saiid et de Randi Nahlé du SDC). Enfin, le 22 avril prochain, le dernier séminaire portera sur « les libertés privées »(dirigé par Nizar Saghieh, avec Nayla Geagea du SDC, et la coopération du PNUD qui envisage d’inclure dans ses rapports une partie des travaux du séminaire). « Seront abordées ici les problématiques de la liberté de conscience, de la liberté sexuelle, du statut personnel, etc. », affirme M. Mawad. Partout, la formidable hégémonie de la logique communautaire. Partout également, une marginalisation implicite de la citoyenneté, reléguée hypocritement au rang de faux idéal. Tous les séminaires sont ouverts au public et se déroulent au théâtre al-Madina de 9h à 13h. Mars 2005, ou le changement de stratégie de la société civile Interrogé à propos des axes qui sous-tendent cette lecture de la réalité libanaise, Sélim Mawad se défend d’abord d’adhérer à un quelconque « universalisme » culturel. Il explique ensuite que l’action du centre ne vise pas à détruire aveuglément ce qui existe déjà. « Nous procédons à une critique ciblée, et nous proposons un substitut à ce que nous critiquons, précise-t-il. Nous sommes par exemple sur le point de proposer un projet de loi pour organiser la vie civile de ceux qui ne veulent appartenir à aucune communauté. Après le dernier séminaire, un livre regroupera les travaux, et nous appellerons à une mobilisation plus générale », ajoute-t-il. Et de poursuivre : « Notre but est de faire prévaloir la notion de citoyenneté. Nous ne voulons pas abolir le confessionnalisme, qui pourrait constituer une garantie pour certaines minorités. Mais la citoyenneté doit être au centre de l’édifice. » Il explique ensuite comment la période des grandes manifestations de mars 2005 avait été à l’origine d’un changement de stratégie, puisqu’elle a permis aux organes actifs de la société civile, du moins à certains d’entre eux, de « comprendre et de réaliser que les Libanais veulent actuellement rester dans un cadre communautaire ». « Dans cette période, la majorité des Libanais ont choisi de recycler la classe politique au lieu de la renouveler, ajoute-t-il. Nous ne chercherons donc plus une déconfessionnalisation de la société dans son ensemble, puisqu’elle a fait un choix. Mais à notre tour, nous exprimerons notre refus de suivre des règles de jeu auxquelles nous ne croyons pas », conclut M. Mawad. Il restera cependant à voir, au-delà de ce diagnostic en somme assez solide, quelles seront les implications pratiques d’une telle mobilisation. Et surtout si le remplacement de la communauté par le citoyen, comme cellule de base de la société libanaise, n’aboutira pas à la dénaturation profonde, et peut-être irrémédiable, de cette dernière. Samer GHAMROUN
Bientôt, très bientôt, douze jeunes Libanais (et sans doute plus) iront auprès des tribunaux demander que leur registre d’état civil ne mentionne plus leur confession ou religion. Ils revendiqueront, textes à l’appui, leur droit de vivre pleinement leur citoyenneté sans appartenir à l’une des 19 communautés dans lesquelles le système libanais compartimente ses fils avant de les...