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Actualités - OPINION

PERSPECTIVES - Le débat franc et cordial entre les 14 leaders, place de l’Étoile, constitue en soi un succès La conférence de dialogue, catalyseur d’une véritable réconciliation nationale longtemps attendue

«Il y a loin de la coupe aux lèvres. » Le résultat de la conférence de dialogue entamée le 2 mars n’est certes pas garanti, ou tout au moins ne sera pas chose facile. Le général Michel Aoun a souligné, samedi, fort à propos, que le moindre problème débattu « remonte à trente ans », ce qui nécessite, par voie de conséquence, au moins « une trentaine d’heures de discussions ». Il reste que la tenue même de la conférence et, surtout, l’atmosphère – empreinte de sérieux, de rationalité et de cordialité – dans laquelle semblent se dérouler les débats constituent en soi un énorme succès. Quel que soit l’aboutissement de ce dialogue, le premier acquis (de taille) réside d’ores et déjà dans le fait que la glace est enfin brisée entre les chefs. Réunis pour la première fois loin de toute présence ou influence étrangère, les quatorze leaders assis autour de la table ronde ont appris à se connaître, à écouter « l’autre », à se comprendre. Le coup de maître de Nabih Berry aura sans doute été d’étaler les débats sur plusieurs jours consécutifs et d’amener les protagonistes à loger, durant cette période, dans un même édifice. Le président de la Chambre a-t-il pris cette initiative uniquement pour des considérations de sécurité, ou a-t-il songé, aussi, que cette mesure pouvait favoriser des rencontres informelles, à la faveur, à titre d’exemple, des pauses-repas ou des soirées détendues passées dans le cadre de l’hôtel ? Dans ce genre de situation, les rencontres informelles en tête à tête ou en comité restreint sont parfois plus fructueuses que les réunions plénières. L’amorce de l’établissement de relations de confiance (ce que les Américains appellent « confidence building measures ») est une étape préliminaire cruciale, et impérative, pour accroître les chances de succès de telles conférences. Le précédent des pourparlers d’Oslo, en 1993, constitue à cet égard l’exemple le plus significatif. Les négociateurs israéliens et palestiniens avaient été logés dans une villa, et les premiers jours avaient permis de créer une atmosphère propice pour, précisément, « briser la glace », apprendre à mieux se connaître, favoriser l’établissement de relations de confiance, à la faveur de repas conviviaux, de flâneries répétées dans le jardin de la résidence norvégienne. La petite histoire nous indiquera si l’exemple d’Oslo aura inspiré quelque peu les ténors présents depuis le 2 mars à la place de l’Étoile. Il faut en tout cas l’espérer car cette conférence de dialogue constitue une première à plus d’un titre et offre, de ce fait, une opportunité d’entente (ou du moins de détente) interlibanaise qu’il serait criminel de ne pas saisir au vol. Les assises du Parlement regroupent, d’abord, tous les leaders véritablement représentatifs de l’ensemble des sensibilités et réalités socio-communautaires du pays, et non pas des délégués d’une pseudo classe politique parachutée par un tuteur étranger, comme c’était souvent le cas lors de l’occupation syrienne. Les clivages autour de la table de dialogue ne revêtent pas, en outre, pour une fois, un caractère strictement islamo-chrétien. Certes, ces clivages restent malgré tout, dans une certaine mesure, d’ordre communautaire, mais il n’en demeure pas moins que nous assistons sur ce plan à un positionnement d’un genre nouveau sur la scène locale. Un positionnement qui reflète une combinaison aussi bien de clivages communautaires (dépassant toutefois le cadre islamo-chrétien) que d’alliances stratégiques politico-régionales : au regroupement christiano-sunnito-druze du 14 Mars hostile à la tutelle syrienne et méfiant à l’égard de l’axe Téhéran-Damas s’oppose le tandem chiite Hezbollah-Amal, objectivement allié au « front de refus » irano-syrien ; entre les deux, une autre fraction chrétienne non négligeable, le Courant patriotique libre du général Michel Aoun, qui cherche à maintenir les ponts entre les deux courants. Sans pour autant démentir la spécificité communautaire du tissu social libanais, ce paysage politique qui caractérise cette première conférence de dialogue exclusivement libanaise reflète donc, d’une manière concomitante, les réalités géostratégiques de la région, avec en filigrane le bras de fer qui oppose les puissances occidentales, et la communauté internationale en général, d’une part, à l’axe syro-iranien, d’autre part. Toutes les dimensions de la question libanaise, avec toutes leurs complexités et leurs interférences moyen-orientales, sont ainsi posées sur la table du dialogue. Cela constitue la force et en même temps la faiblesse de cette conférence. Car, d’une part, les appréhensions entretenues par les calculs régionaux des uns et des autres sont exprimées et débattues sans ambages, ce qui devrait permettre, sur le plan du principe, de dépasser certains blocages psychologiques. Mais dans le même temps, les imbrications régionales ont pour effet de limiter, ou tout au moins de retarder, les possibilités de succès concernant certains dossiers-clés, tels que le désarmement du Hezbollah ou la situation des Palestiniens au Liban. Les attentes des Libanais sont incontestablement grandes. Elles ne devraient pas toutefois être démesurées. La conférence de dialogue ne saurait être « la fin de l’histoire » de la guerre libanaise. Elle devrait plutôt constituer le catalyseur du processus de réconciliation et d’entente nationales longtemps attendues, d’autant que certains dossiers épineux auront besoin d’un suivi. La nature du nouveau contrat social qui devrait régir les rapports entre les diverses composantes du tissu social libanais reste, notamment, à discuter en profondeur et dans une atmosphère tout aussi franche que celle qui marque les débats actuels. Un long chemin doit être encore parcouru. Mais l’essentiel a sans doute été fait en ce début du mois de mars : les chefs – les véritables – ont affirmé, et prouvé, leur ferme volonté d’écouter « l’autre », de le comprendre, afin d’apprendre à vivre avec lui. Dans le respect du droit à la différence… Michel TOUMA
«Il y a loin de la coupe aux lèvres. » Le résultat de la conférence de dialogue entamée le 2 mars n’est certes pas garanti, ou tout au moins ne sera pas chose facile. Le général Michel Aoun a souligné, samedi, fort à propos, que le moindre problème débattu « remonte à trente ans », ce qui nécessite, par voie de conséquence, au moins « une trentaine d’heures de discussions...