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Actualités - REPORTAGE

Marjan Kamal, spécialiste, analyse la nouvelle scène politique afghane La renaissance de l’Afghanistan : un chantier colossal

Le 18 septembre dernier, les Afghans étaient appelés aux urnes pour élire leurs députés, une première depuis 1969. Le 19 décembre, le nouveau Parlement siégeait pour la première fois. Marjan Kamal, doctorante à l’Institut d’études politiques de Paris, spécialiste de l’Afghanistan et consultante à Kaboul, analyse la nouvelle scène politique après avoir sillonné le pays. Un nouveau Parlement Question - La loi électorale interdit à tout candidat de se présenter sous la bannière d’un parti politique. Il en résulte que l’analyse de la nouvelle Chambre est pour le moins ardue. Que révèle néanmoins la composition du Parlement ? Réponse - « Le nouveau Parlement révèle avant tout un éclatement de la représentation politique en Afghanistan, lié au climat général de décomposition des forces politiques. Il est par ailleurs renforcé par la loi électorale qui rend impossible toute représentation directe des partis. Cela était d’ailleurs déjà le cas lors de la présidentielle. Le président Hamid Karzaï, le grand gagnant du système, avait justifié ce choix en mettant en avant le discrédit jeté sur les anciens partis. “Le peuple afghan ne veut plus faire confiance aux partis trop attachés à renforcer des bases de pouvoir personnel, mais veut des représentants prêts à servir dignement les intérêts du pays”, avait-il déclaré lors du lancement de la campagne présidentielle. En excluant les partis, le système défendu par Hamid Karzaï renforce la seule façon de capitaliser du pouvoir dans les circonstances actuelles : le “networking”. Si les nouvelles configurations qui émergent réussissent à se stabiliser, nous pourrons alors éventuellement assister à une restructuration efficace du champ politique. Mais si les alliances restent de circonstance, le discrédit sera alors jeté sur ces individus soi-disant prêts à servir les intérêts du pays. » Q - Conformément à la loi électorale, les femmes occupent aujourd’hui 25 % des sièges de l’Assemblée nationale. Mais étant donné ces jeux d’alliances, quel est leur poids, leur pouvoir d’influence réel sur la scène politique afghane ? R - « A priori, les 68 sièges obtenus par des candidates ne sont pas seulement des nominations d’office tributaires d’une disposition de la loi électorale qui impose un quota de sièges aux femmes. En effet, beaucoup d’électeurs ont voté pour elles, et pas seulement des femmes. Deux d’entre elles, Malalai Joya et Safia Siddiqi, par exemple, sont très appréciées. Malalai Joya s’est en effet distinguée par ses prises de position véhémentes contre les “chefs de guerre” qui tentaient déjà, aux toutes premières heures de la reconstruction politique du pays, de négocier leur retour en force sur la scène politique. Lors de la première session du Parlement, Malalai Joya a de nouveau attiré l’attention avec un discours similaire. Néanmoins, il est certain que dans le contexte des jeux d’alliances évoqués précédemment, les femmes seront plus vulnérables à l’accusation selon laquelle elles ne seraient que des “pions” manipulés par leur entourage qui voit en elles une manière de capitaliser les sièges qui leur sont alloués. » Q - Les barons de la drogue et autres seigneurs de la guerre sont présents sur les bancs de l’Assemblée. Avec quelles conséquences ? R - « La présence de ceux que l’on appelle communément les “chefs de guerre” dans les rangs des parlementaires achève de discréditer l’ensemble du processus de reconstruction institutionnelle. En effet, la population ne supporte plus les anciens partis jihadi, avant tout en raison du recours à la violence politique par une pléiade d’anciens commandants, de grande ou petite envergure. Beaucoup d’entre eux sont néanmoins effectivement revenus sur la scène politique, par la porte du Parlement. Toutefois, la logique du processus, rappelons-le, veut que ceux qui utilisaient la force brute pour parvenir à leurs fins vont dorénavant intégrer un système politique régulé par la loi qu’ils seront obligés de respecter. Cela pourrait favoriser une normalisation de la vie politique. Il faut par ailleurs souligner que nombre de ces “seigneurs de guerre” se sont reconvertis dans les affaires. Il est dès lors de leur intérêt de respecter le jeu actuel. Il n’en demeure pas moins que les allégations d’implication dans le trafic de drogue abondent. De même, les trafics qui leur permettent de s’enrichir sont largement mafieux et s’accompagnent d’une spéculation foncière aux effets pervers catastrophiques. » Q - Outre l’entrée au Parlement des chefs de guerre, le scrutin législatif a également été marqué par l’entrée en politique d’anciens talibans. R - « L’intégration de deux autres types d’acteurs est effectivement sujette à controverse : les anciens talibans et les anciens du Hezb-e Islâmi. La logique de cette stratégie veut qu’en intégrant, par voie parlementaire ou par voie de nominations à des postes publics, les acteurs appartenant à ces mouvements, on parvienne à casser l’opposition violente au pouvoir central. Malheureusement, ce processus s’est accompagné d’une radicalisation de cette force armée d’opposition qui s’est traduite, les mois derniers par une recrudescence des assassinats de mollahs ayant accepté de légitimer, d’un point de vue religieux, le gouvernement de Hamid Karzaï. » Un terrain violent Q - Précisément, l’année 2005 a été marquée par un nombre record d’attaques, par ailleurs de plus en plus osées, contre le pouvoir central, les civils ou les soldats de l’ISAF, la coalition militaire internationale en Afghanistan. Comment expliquez-vous cette évolution ? R - « La violence de l’opposition armée contre le pouvoir central évolue de façon tout à fait instable, en dents de scie. À certaines périodes, la province de la Kunar connaît un regain d’actions violentes alors qu’à d’autres ce sont les provinces de Paktyka ou de Khost qui sont les plus agitées. Les provinces de Qandahar, Helmand, Zabul et Oruzgan semblent être plongées dans un cycle perpétuel de violences plus ou moins latentes. Le mode opératoire est l’attaque de convois ou encore le placement de mines ou d’explosifs sur la route. Les cibles sont essentiellement les soldats de la coalition et les responsables gouvernementaux. Les civils sont également de plus en plus visés par des attaques à la bombe, notamment dans les régions du sud. Ces civils vivent aujourd’hui dans la terreur à la fois des “Américains”, des gouvernementaux qui réagissent comme s’ils étaient encerclés, et des opposants. La force de cette opposition violente qui se caractérise, a priori, par l’absence d’une véritable coordination tient en sa capacité de nuisance comme menace latente. » Q - Fin 2005, Washington a annoncé une réduction de ses troupes au sein de l’ISAF et de son aide financière à la reconstruction pour 2006. Quel sera l’impact de ces décisions ? R - « Cette question pose celle de l’autonomisation progressive de l’État afghan dans sa capacité à assurer des services sociaux de base (réduction de l’aide) et sa capacité à détenir le monopole de la violence physique légitime (réduction des troupes). La première est nulle : non seulement l’État est à ce jour incapable d’assurer quelque service public que ce soit, mais l’ARTF, le bras financier de l’État chargé d’assurer la redistribution des injections financières internationales, n’a pas su pendant ces quatre années de “capacity building” (restructuration et développement des capacités institutionnelles de l’État) proposer un véritable plan de développement ayant des effets réels sur le terrain. Pour ce qui est du second aspect, l’ANA (Armée nationale afghane) ainsi que l’ANP (Police nationale afghane) sont encore loin de représenter des corps de défense de l’État neutres par rapport aux antagonismes sociaux et dotés d’une éthique les rendant aptes à gagner la confiance des populations qu’elles sont censées protéger. À titre d’exemple, je pourrais relater cette scène vécue qui illustre les déficiences des forces de sécurité afghanes puisqu’un check point tenu par l’ANA à 70 km de la capitale peut être le théâtre de dérapages violents. Pour ne pas s’être arrêté à un barrage de l’ANA, un chauffeur de minibus s’est fait frapper par un soldat alors qu’un autre soldat le tenait en joue avec son kalashnikov. Les violences n’ont pris fin et le drame n’a été évité qu’avec les supplications des passagers qui ont par ailleurs mis en avant la présence d’une femme dans le véhicule. Cet incident s’est déroulé à 50 mètres d’un quartier général militaire en face duquel sont stationnés un nombre important de chars des forces internationales. Les soldats de la coalition internationale n’ont rien vu, l’honneur est donc sauf. Mais cet incident illustre à quel point la capacité de l’État à imposer l’État de droit ne semble pas suivre l’agenda de la coalition. » Indispensables réformes Q - Le jour de l’inauguration du Parlement, Hamid Karzaï a déclaré : « L’Afghanistan tient de nouveau sur ses pieds après des décennies de guerre et d’occupation. » Qu’en pensez-vous ? R - « Les accords de Bonn signés en janvier 2001 ont dessiné les grandes lignes du processus de reconstruction politique du pays. Ces accords et le processus qui en a découlé ont en effet tenu l’Afghanistan, autant que la position de Hamid Karzaï à la tête de l’État. À travers la personne de Karzaï, un quasi-pouvoir exécutif et la notion d’État ont pu renaître de leurs cendres. Ainsi, la première partie de la déclaration de Hamid Karzaï est tout à fait acceptable. Mais dire que l’Afghanistan tient “sur ses pieds” dérange quelque peu car la reconstruction de l’État ne s’est faite que par le haut. Elle s’est faite par des jeux de cooptations et de nominations de troubles-fêtes potentiels d’une part, et par la coercition, à savoir la guerre ouverte aux talibans et au Hezb-e Islâmi qui rejetaient le processus (guerre prise en charge par les forces de la coalition), d’autre part. Il est difficile de dire aujourd’hui sur quelle force l’État peut reposer, hormis le dégoût généralisé inspiré par la violence politique. Certes, la multiplication des ONG, notamment afghanes, et une certaine effervescence des milieux associatifs pourraient laisser croire à l’émergence d’une société civile qui, à terme et surtout en théorie, pourrait apparaître comme “les pieds” sur lesquels tiendrait l’État. Hélas, tout indique que cette société civile n’existe que dans les quartiers centraux de la capitale et, de plus, elle s’avère noyautée par d’anciens communistes – les “éclairés” – engagés dans une activité intense et efficace de “networking” à travers tout le pays. Nous sommes donc très loin d’une véritable réflexion commune sur les problèmes vitaux à ce jour irrésolus et d’une quelconque reformulation d’un nouveau pacte social. » Q - Londres a accueilli, début février, une conférence de donateurs internationaux pour l’Afghanistan. Quelles sont aujourd’hui les priorités pour remettre l’Afghanistan sur pied ? R - « Les premières sessions du Parlement ont été consacrées à la durée des congés des parlementaires pendant la fête de l’Adha, à des discours populistes dirigés contre les ONG accusées de détourner l’aide destinée à l’Afghanistan, ou encore, à la nécessaire destruction des chicanes et autres blocs de béton armé protégeant les institutions internationales ainsi que les ambassades et causant de nombreux embouteillages dans la capitale. Des discussions qui n’ont d’ailleurs mené à rien... Les vraies prises de décision parlementaires n’interviendront qu’après le vote de confiance accordé au cabinet ministériel (le poste de ministre de l’Intérieur étant vacant depuis novembre dernier). Il ne s’agit pas ici de refonder un énième cabinet ministériel, mais de voir enfin émerger une classe politique légitime et responsable, tant au niveau des parlementaires qu’à celui de l’Exécutif. Le règlement du conflit entre l’État et l’opposition armée est également un pas nécessaire sans lequel rien ne sera possible, hormis de cosmétiques réhabilitations d’écoles, de cliniques ou de centres d’alphabétisation pour les femmes. Il faudrait également mettre en place une vie économique saine permettant d’employer une population massivement dépourvue d’emplois et de formation professionnelle. Tout cela sans parler de la nécessaire réhabilitation du système judiciaire qui n’a même pas été amorcée. Le chantier est colossal. » Propos recueillis par Émilie SUEUR Deux Népalais enlevés Deux Népalais ont été enlevés dans la capitale afghane Kaboul, a-t-on appris hier de source officielle. « La police cherche à localiser les ravisseurs de deux Népalais qui ont été enlevés hier matin » (samedi) à Kaboul, a déclaré à l’AFP un responsable au ministère de l’Intérieur. Le responsable a précisé qu’il s’agissait de « travailleurs ordinaires » d’une organisation, démentant des informations de presse selon lesquelles les deux Népalais travaillaient pour une entreprise de sécurité privée. D’autres médias ont affirmé qu’ils travaillaient pour une organisation non gouvernementale et qu’ils avaient été enlevés alors qu’ils se rendaient à leur travail. En mai, la coopérante italienne Clementina Cantoni avait été enlevée dans le centre de la capitale et détenue pendant 24 jours. Ses ravisseurs, qui appartenaient à une organisation criminelle réputée, l’avaient libérée après paiement d’une rançon. Le chef de l’organisation a été condamné à mort en décembre dans une autre affaire de meurtres.
Le 18 septembre dernier, les Afghans étaient appelés aux urnes pour élire leurs députés, une première depuis 1969. Le 19 décembre, le nouveau Parlement siégeait pour la première fois. Marjan Kamal, doctorante à l’Institut d’études politiques de Paris, spécialiste de l’Afghanistan et consultante à Kaboul, analyse la nouvelle scène politique après avoir sillonné le pays.

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