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Actualités - OPINION

Où allons-nous ?...

«Ce qui perd les hommes et les États, ce n’est ni l’aveuglement, ni l’ignorance. Ils ne mettent pas longtemps à découvrir où les mène la voie qu’ils ont prise. Mais il existe en eux une pulsion, favorisée par leur nature, renforcée par l’habitude, une pulsion à laquelle ils ne peuvent pas résister et qui les tire vers l’avant tant qu’ils ont un reste d’énergie. La plupart voient venir leur ruine et s’y précipitent. » Cette citation de Léopold Ranke s’adapte parfaitement à tous ceux qui, aujourd’hui, voient venir leur ruine et celle du pays tout entier, et refusent de renoncer à la voie qu’ils se sont tracée, celle qui nous a menés à la situation où nous sommes. Il s’agit précisément de cette classe politique dont un bon nombre, inconnu jusque-là, s’est vu confier les plus hautes charges de l’État par un occupant qui n’a jamais caché ses intentions malveillantes envers notre pays. Se convertissant en instruments à la solde de cet occupant, ces recrues se sont démarquées de leur identité, et même de leur dignité. Leur mission au pouvoir consistait à défendre et servir par tous les moyens les intérêts politiques et les visées hégémoniques de la Syrie au Liban, au détriment de nos libertés, de notre démocratie et notre souveraineté. Leur allégeance à la Syrie les a conduits à deux pas de réaliser le rêve tant convoité de ce pays : avaler le Liban. Ils ont aidé les Syriens à étendre la corruption à l’ensemble de l’appareil de l’État et à faire main basse sur tout ce qui leur tombait sous la main, en commençant par nos finances, jusqu’à atteindre le dernier recoin de toutes nos institutions. Leurs comptes en banque en sont témoins. Cela s’adresse à tous ceux qui ont la mémoire courte et persistent à suivre ceux qui, hier encore, attendaient en rang, avec la docilité qui leur est propre, d’être reçus par le Holako qui siégeait à Anjar, et auxquels nous refusons le droit de nous donner des leçons de patriotisme. Par contre nous pardonnons, sans toutefois oublier et sous réserve pour ceux qui, dans un élan qui traduit un mea culpa, paraissent avoir retrouvé le droit chemin. Quant à ceux qui continuent à regarder au-delà des frontières, nous leur disons : n’avez-vous pas encore pris conscience du tort que vous nous avez causé et des lourdes conséquences subies jusque-là ? Ne vous rendez-vous pas compte que votre obstination à persister dans la voie qui a mené ce pays à la ruine, et presque à sa disparition, mérite vraiment de votre part une prise de conscience susceptible de vous soustraire au jugement de l’histoire ?... Bon sang ! Ouvrez les yeux et renoncez à la politique de l’autruche. Le problème en ce moment est beaucoup plus grave, car avec le départ de l’occupant et les événements qui l’ont suivi, à commencer par la série noire des assassinats politiques – par ordre d’élimination –, et les menaces qui continuent à peser sur notre pays, le Liban se retrouve plus divisé que jamais, ouvert à tous les vents et courants ; toutes les forces politiques en présence se livrent une bataille sans merci, sous divers aspects et slogans, à tel point qu’on n’arrive plus à distinguer entre ceux qui continuent à faire le jeu de la Syrie et ceux qui œuvrent sincèrement pour un Liban libre, souverain et indépendant. Tous parlent de démocratie consensuelle, de la nécessité de se rencontrer pour jeter les bases et les principes essentiels pour la renaissance du Liban, mais ces rencontres trébuchent souvent sur des conditions et des prises de position qui bloquent toute tentative de rapprochement susceptible de mettre, une fois pour toutes, le pays sur la voie de la normalisation. À travers cet imbroglio politique, on voit sortir de leurs trous les « Abawats » dont on se croyait définitivement débarrassés. Ces gens-là, phénomène de base de la déstabilisation, nous reviennent avec leurs provocations et leurs anciennes pratiques, pour greffer à nos problèmes l’ombre noire d’un retour à la situation qui prévalait en 1975. Face à tous ces dilemmes, l’on est en droit de se poser la question : où nous mène-t-on ? Et qui est le vrai responsable ? Est-ce le président de la République qui refuse de s’en aller pour des raisons qui n’entretiennent avec la raison que des rapports très lointains ? Est-ce vraiment la Syrie qui le maintient en place, en profitant du climat politique malsain et pervers qu’elle nous a laissé et qu’elle continue à alimenter à travers les agents qui lui sont restés fidèles, pour prouver au monde que les Libanais sont incapables de s’autogérer et que, par conséquent, la tutelle devient indispensable ? Qu’est devenu le Liban du fameux 14 mars ? A-t-il sombré dans la nuit des temps ou s’est-il transformé en 1er avril ? L’étape qui s’en est suivie ne représente qu’un triste constat d’échec, un tableau politique délabré à la recherche d’un restaurateur capable de lui redonner son éclat. La démagogie et la surenchère n’ont pas cédé la place à la raison, et la mentalité demeure la même. Si, après trente ans d’occupation au cours desquels nous avons connu toutes sortes d’abus, de viol des droits humains, de vols, de pillages, de mainmise sur toutes les sources vitales de notre pays (sans parler du bien triste souvenir laissé à travers les charniers et les disparus dans les prisons), nous n’avons toujours pas retenu la leçon, cela voudrait dire que notre pays n’a plus de raison d’exister. Dans ce schéma de complexité et de contradictions, il est demandé à tous les responsables et à ceux qui croient avoir une mission à accomplir dans l’intérêt de notre pays, de prendre conscience de la gravité de la situation, de mettre leur démagogie de côté, de tourner définitivement la page de la guerre en assumant leurs responsabilités nationales. D’abord en cessant les campagnes d’intoxication de part et d’autre, ainsi que les manœuvres qui ne servent qu’à envenimer davantage une atmosphère déjà assez polluée. Pour ce faire, une table ronde s’impose d’urgence pour amorcer un dialogue franc, sérieux, responsable. Cela devra se faire avec la participation de toutes les forces actives du pays, sans exception aucune, car le dialogue constitue notre seule voie de salut. Par personnes interposées, tel qu’il se fait en ce moment, il n’a aucune chance d’aboutir à un quelconque résultat. Dans l’ordre naturel des choses et pour mener à bien un tel dialogue, il serait indispensable pour les éventuels participants de commencer par oublier leurs querelles, par se déconnecter définitivement de leur source d’inspiration, régionale ou autre, afin de pouvoir penser libanais et non plus syrien, palestinien ou autre ; de se munir d’un programme de travail inspiré de l’idiosyncrasie de notre pays à savoir que l’indépendance, l’intégrité territoriale et la souveraineté ne sont plus négociables ; que le mot « arabité » devrait cesser de servir d’élément de surenchère ; que l’intérêt du Liban passe avant toute autre considération d’ordre régional ou autre, que les forces régulières libanaises soient les seules habilitées à se déployer sur l’ensemble du territoire. Une fois ces principes adoptés en tant que constantes, avec la ferme conviction que la solution ne peut émaner que d’un contexte purement libanais, il importerait de se pencher sur les problèmes les plus épineux, tels que les moyens à mettre en œuvre pour restituer à l’État son autorité. Pour cela, il faudrait commencer par endiguer le flot d’armes aux Palestiniens, un acte qui devra être suivi du désarmement des camps, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur des camps, et de l’imposition de ses occupants aux lois libanaises en vigueur. Dans le même temps, il faudra initier les démarches nécessaires auprès du Hezbollah en vue de trouver une solution politique pouvant l’emmener à se dessaisir de ses armes et à les remettre à l’armée régulière. Un accord sur ces deux points ouvrirait la voie à un dialogue plus profond qui engloberait les relations avec la Syrie, la situation des Palestiniens dans les camps, la présidence de la République, la loi électorale, la sécurité, la justice, etc., pour finalement atteindre l’ensemble de l’administration publique et ses méandres. Cela requiert des efforts énormes de la part de tous les Libanais et des sacrifices que les citoyens devraient être prêts à consentir pour arriver à vivre dans un État de droit. Si les Libanais échouent dans leur tentative de dégager une plate-forme d’entente, cela veut dire que la fameuse citation d’un grand de la presse « Deux négations ne font pas une nation » reste valable. Mario HÉLOU
«Ce qui perd les hommes et les États, ce n’est ni l’aveuglement, ni l’ignorance. Ils ne mettent pas longtemps à découvrir où les mène la voie qu’ils ont prise. Mais il existe en eux une pulsion, favorisée par leur nature, renforcée par l’habitude, une pulsion à laquelle ils ne peuvent pas résister et qui les tire vers l’avant tant qu’ils ont un reste...