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EXPOSITION - Installation de Greta Naufal au Goethe Institut Les murs ont des yeux qui parlent

En 2005, Greta Naufal arrivait tout le temps en retard à ses rendez-vous. Elle qui aime se balader dans les rues de Beyrouth, elle s’est trouvée, à chaque sortie, fascinée par les murs qu’elle longeait en scrutant les affiches, anciennes ou nouvelles, déchirées ou neuves, mais portant toutes l’effigie d’une personnalité politique. Aux portraits des candidats aux élections se sont ajoutés, cette année-là, ceux des martyrs sauvagement assassinés. Au Goethe Institut, l’artiste expose, jusqu’au 3 février, une installation à trois volets (vidéo art, lithographies et peintures sur papier journal) inspirés de « ces murs qui parlent haut, très haut, depuis que le silence est tombé ». Triple hommage à Samir Kassir, à la presse et… à ces mains anonymes qui affichent ou lacèrent les photos sur les murs de la ville. Elle a passé des semaines, des journées entières, caméra et caméscope aux poings, filmant, traquant la métamorphose des affiches sur les murs. Tout a commencé le jour de l’enterrement de Samir Kassir. Quelqu’un avait accroché, en série, le portrait du martyr. «Le lendemain, je passais devant ce même mur et j’ai vu que quelqu’un avait défiguré ces portraits. Il en restait des lambeaux, une partie du visage et les yeux.» Des yeux tellement brillants, tellement vifs, tellement parlants que l’artiste ne résiste pas à l’appel. Un regard témoin, voilé, déchiré, des fragments d’yeux restés seuls collés sur le mur et qui nous regardent. «Les portraits des martyrs sont plus vivants que ceux des candidats aux élections», lance Naufal. C’est à partir de ce constat qu’elle a décidé de montrer ce paradoxe. À travers une vidéo qu’elle installe aujourd’hui au Goethe. Cet hommage de quatre minutes est intitulé Tulipe noire, du nom du magasin de fleurs dont Kassir, juste avant de mourir, a salué le propriétaire. Elle y exhorte les murs à se défendre, à s’accrocher à ces «quelques fragments des hommes les plus courageux. Pour que leur image demeure et que leur mémoire vainque le temps». Des murs aux photos lacérées au canif par un geste rageur. Elle dit qu’ils ressemblent «à des vagues de papier blanc, à des champs de sel et de mousse. Des murs SMS, des murs qui bégaient». L’artiste reprend cette même thématique dans ses lithographies. Elle donne à voir trois grandes planches, placées sous le signe de la répétition. Le portrait du martyr, les affiches déchirées, les murs moutonneux de traces de papier… Ces œuvres ont été réalisées l’été dernier lors d’une résidence d’artiste qu’elle effectue depuis cinq ans déjà en Suède. Par ailleurs, l’exposition comporte des peintures réalisées sur quinze titres de journaux, libanais ou étrangers, datant de l’an 2000. Ce qui caractérise cette démarche, c’est le fait que l’artiste utilise comme support le journal en entier. À l’encre ou à l’acrylique, son pinceau se promène entre les colonnes de texte, s’arrête sur une photo, contourne un idéogramme. L’artiste qui ne cache pas sa fascination pour le papier et notamment celui du journal (elle en collectionne depuis des décennies) s’interroge: «Aura-t-on toujours assez avec les informations ? Qu’elles soient bonnes ou mauvaises, la vie ou le quotidien reprend le dessus.» L’artiste conclut sa vidéo par une citation de Samir Kassir qui l’a particulièrement interpellée: «Un pays qui échappe à tout contrôle, une ville vouée à la destruction, un champs clos où tout peut se produire et se produit en effet, voilà bien l’image que des années de guerre ont composée du Liban et de sa capitale.» En 2005, Greta Naufal s’est trouvée, tour à tour, horrifiée, émue, bouleversée. Ces sentiments contradictoires l’ont menée à réfléchir. «Parce que l’actualité nous prouve tous les jours que la paix n’est jamais acquise, que la barbarie ne sera jamais vaincue et que le monde est sombre.» Mais subsiste cependant une lueur d’espoir car, selon elle, dans toute quête de liberté et d’indépendance il y a un prix à payer. Un prix fort, très fort. Une mort pour la vie. Maya GHANDOUR HERT
En 2005, Greta Naufal arrivait tout le temps en retard à ses rendez-vous. Elle qui aime se balader dans les rues de Beyrouth, elle s’est trouvée, à chaque sortie, fascinée par les murs qu’elle longeait en scrutant les affiches, anciennes ou nouvelles, déchirées ou neuves, mais portant toutes l’effigie d’une personnalité politique. Aux portraits des candidats aux...