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Actualités - OPINION

Si les morts pouvaient parler...

On n’est pas sortis de l’auberge : des criminels qui courent toujours, des pièges qu’on dissémine un peu partout, des traquenards qu’on mijote à petit feu. Et en arrière-plan, le spectacle macabre des fosses communes qui libèrent leurs morts. Mais dans les bas-fonds du paysage politique, on ergote encore, on chicane pour des vétilles, on débat du sexe des anges en jurant comme des charretiers. Et quand l’affaire se corse, quand arrive l’heure de la vérité, on jette le masque, on révèle son vrai visage. Alors plus de débats, plus de chicanes, mais carrément des menaces, des mises en garde, des portes qu’on claque, des portes qu’on défonce. L’objet du dernier litige ? Le tribunal international, mais ce n’est là qu’un épisode. Hier c’était la 1636, avant-hier la 1559. Ainsi va la vie politique, ainsi se pratique le consensus interne. Un art consommé dans le chantage, un travail d’orfèvre, perfectionné par le Hezbollah, au fil des ans, inlassablement soutenu, encouragé par la direction syrienne. Tout cela, évidemment, dans le seul but de « préserver la cohésion nationale », d’empêcher la « mainmise américaine » sur le Liban, de protéger la Syrie du « complot mondial » ourdi contre elle ! C’est tout simplement prendre les Libanais pour des imbéciles, leur faire croire que les vessies sont bel et bien des lanternes. Une désastreuse façon de les éclairer, une obstination maladive à n’user que de la langue de bois, la négation d’une réalité incontournable : trente années de guerres et d’occupations militaires ont dessillé les yeux des Libanais. Et la libération du territoire national s’est accompagnée de la libération des esprits, de la chute des tabous. Les alliés libanais de la direction syrienne, les derniers des derniers, les inconditionnels vont à contre-courant de l’histoire. En occultant, en ignorant les abus, passés, en cautionnant les erreurs présentes, ils desservent la cause même pour laquelle ils se battent. Jour après jour, de nouveaux mensonges sont éventés, d’anciennes atrocités dévoilées, des trous de mémoire colmatés. Jour après jour, des preuves accablantes sont déterrées, des témoignages déterminants recueillis. Mais il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. La dernière « trouvaille » syrienne, la plus hallucinante : la demande officielle transmise à Beyrouth (nonobstant la déclaration sans lendemain de Chareh à Barcelone) de ne pas inclure Chebaa dans le tracé des frontières et de lier cette question à celle du Golan. Autrement dit, renvoyer aux calendes grecques la confirmation de la libanité de cette région, libanité dont se prévaut le Hezbollah pour persévérer dans son action armée. La formation intégriste ne trouve pourtant rien à redire à cette aberration et son silence n’en devient que plus suspect. En termes plus clairs, l’équation syrienne est la suivante : tant que le Golan n’aura pas été libéré, les résistants du parti de Dieu continueront à servir de chair à canon au Liban-Sud. Le front du Golan, lui, reste calme, il y va, bien entendu, de l’intérêt supérieur de l’État syrien ! Et l’intérêt supérieur du Liban, messieurs du Hezbollah ? *** Mais la Syrie ne s’arrête pas en si bon chemin : après avoir manipulé sans retenue un guignol qui a nom Houssam Houssam, voilà qu’elle accuse le Liban de « fabriquer » à la pelle de faux témoins dans le seul but de lui porter préjudice, d’entraver le cours de la justice. À suivre le cheminement de la pensée syrienne, les charniers découverts à Anjar, les 17 corps déterrés d’une fosse commune à Yarzé, les dizaines de soldats libanais abattus, le 13 octobre 1990 à Deir el-Kalaa et restés sans sépulture, tout cela serait également « fabriqué », une vue de l’esprit, un pur produit de l’imagination des Libanais. Inexorablement, la terre livre ses secrets. Ghazi Kanaan a emporté les siens dans sa tombe, Rustom Ghazalé, lui, les a camouflés, profondément enfouis dans sa mémoire. Mais dès aujourd’hui, à Vienne, les enquêteurs de l’ONU s’emploieront à le guérir de son amnésie. Précisément, c’est là où le régime syrien se goure, se trompe lourdement. Avec ou sans Detlev Mehlis, avec ou sans les aveux de témoins retournés, l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri progresse. Des points ont été marqués, des preuves accumulées et le rapport du magistrat allemand n’en sera que plus étayé, ouvrant la voie à l’interrogatoire des suspects de rang supérieur. Les criminels, les commanditaires ne perdent rien pour attendre. Le tribunal international, n’en déplaise à ses détracteurs, sera mis en place pour les juger, pour les châtier. Dans trois mois, dans six mois, c’est inévitable. Mais si les morts pouvaient parler, c’est aujourd’hui même que le verdict serait tombé. Nagib AOUN
On n’est pas sortis de l’auberge : des criminels qui courent toujours, des pièges qu’on dissémine un peu partout, des traquenards qu’on mijote à petit feu. Et en arrière-plan, le spectacle macabre des fosses communes qui libèrent leurs morts. Mais dans les bas-fonds du paysage politique, on ergote encore, on chicane pour des vétilles, on débat du sexe des anges en jurant comme des...