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Actualités - OPINION

LE POINT Des mots et des morts

On peut voir la bouteille à moitié pleine et, sans aller jusqu’à crier victoire, se réjouir, comme la France vient de le faire, de la « participation active des Irakiens » au référendum du 15 octobre sur le projet de Constitution, dont les résultats ont été rendus publics en début de semaine. Après tout, le document soumis aux Irakiens a été approuvé par 78 pour cent des votants, ce qui constitue un indéniable succès. On peut, ainsi que l’ont fait nombre d’observateurs étrangers qui ont vu la moitié vide de la bouteille, prédire une accélération du glissement du pays vers une guerre civile. Et il serait bien difficile, au vu de la situation, de ne pas leur donner raison. Indéniablement, de législatives provisoires en consultation sur une Loi fondamentale dans laquelle il est loisible de trouver à la fois du bon et du très mauvais, l’antique Mésopotamie est en train de basculer dans le chaos le plus total. Le législateur avait pris soin d’inclure dans le texte une clause prévoyant son rejet si trois des dix-huit provinces votaient non à plus de 66 pour cent. Ce fut le cas pour al-Anbar (96 pour cent d’avis défavorables) et Salaheddine (81 pour cent), mais pas pour Ninive où le nombre de bulletins hostiles n’a pas dépassé les 51 pour cent. Le pouvoir central peut donc afficher sa satisfaction, l’Amérique juger qu’elle a accompli dans une certaine mesure sa mission, et la communauté internationale applaudir à ce peuple qui, bravant les attentats, les divisions et les privations de toute sorte, a tenu à manifester sa soif de démocratie en se rendant aux urnes. Même si, une semaine plus tard, Salah al-Moutlaq, l’un des pères de la nouvelle charte, vitupère contre « cette farce » qu’aura été la consultation et si Adnan al-Doulaymi décrète que le temps anormalement long pris par les vérifications accrédite la thèse d’une manipulation des chiffres définitifs. Comme si tout désormais avait été dit sur le sujet, le gouvernement d’Ibrahim Jaafari a le regard résolument tourné vers la prochaine échéance, celle de la mi-décembre, date des législatives. De ce côté-là, le tableau est encore moins rassurant. Si le Parti islamique, la Conférence du peuple d’Irak et le Conseil du dialogue national, trois formations sunnites, ont décidé de présenter une liste unique, la principale association de religieux de la communauté, le Comité des oulémas, elle, a déjà exclu toute participation de ses membres. La raison avancée pour justifier cette décision en dit long sur les frustrations d’une classe qui, après avoir gouverné sans partage le pays, en est réduite, depuis la chute de Saddam Hussein, à jouer les utilités sur une scène dont les acteurs principaux sont chiites et kurdes : « Notre voix a été confisquée, souligne un communiqué du groupe, et seul le choix américain, un vaste complot visant le passé, le présent et l’avenir, a été retenu. » Mais la Constitution dans tout cela ? Elle est, en dépit des tentatives pour masquer la vérité, l’œuvre des Américains et elle sera caduque avec la fin de l’occupation, affirme le groupe. Si de telles accusations ne paraissent pas émouvoir outre mesure les États-Unis, c’est que, dit-on, les deux parties, en dépit de leurs dénégations trop catégoriques pour que l’on y ajoute foi, sont engagées dans des négociations secrètes. Les insurgés ne peuvent pas poursuivre indéfiniment un combat, trop coûteux en hommes, en armes, en argent et en munitions – quatre nerfs de la guerre qui ne sont pas inusables. En outre, il ne peut être question de tirer éternellement sur la corde du « jihad » sans courir le risque, à un moment ou à un autre, de la voir se casser. De leur côté, la Maison-Blanche et le Pentagone sont confrontés à une opinion publique qui ne croit plus à la présence des farouches islamistes d’Oussama Ben Landen sur les bords de l’Euphrate. La presse yankee vient de faire grand cas du seuil des 2 000 « boys » tués au combat qui a été franchi cette semaine.. En fait, 299 de ces GI sont morts dans des accidents de la route ou bien victimes de tirs « amis », et 48 autres ont choisi de se suicider. Mais il existe un autre chiffre que les généraux préfèrent passer sous silence : celui des 15 220 militaires blessés, dont des centaines sont handicapés à vie. Une chaîne de télévision a rappelé que proportionnellement, il y a déjà eu autant de morts que lors de la guerre du Vietnam, si l’on calcule les effectifs engagés et la durée des opérations. Encore n’a-t-on pas inclus dans cette sinistre comptabilité le nombre de victimes irakiennes, estimé à plus de 30 000 par une organisation non gouvernementale US, Iraq Body Count. Hier soir, des veillées étaient organisées d’une côte à l’autre de l’Amérique pour dire, à l’instar du sénateur James McGovern, qu’« il est temps d’en finir ». Cependant, tel n’est pas l’avis des militaires. Il est prouvé historiquement que les combats contre une insurrection nécessitent pour réussir pas moins de neuf ans, a rappelé un porte-parole du commandement américain, le général Rick Lynch. De quoi rassurer tout le monde… Christian MERVILLE
On peut voir la bouteille à moitié pleine et, sans aller jusqu’à crier victoire, se réjouir, comme la France vient de le faire, de la « participation active des Irakiens » au référendum du 15 octobre sur le projet de Constitution, dont les résultats ont été rendus publics en début de semaine. Après tout, le document soumis aux Irakiens a été approuvé par 78 pour cent...