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Actualités - CHRONOLOGIE

PORTRAIT- Anisa Najjar, un long parcours marqué par le travail social Une anticonformiste au service de la femme rurale depuis plusieurs décennies

« Ne vous fiez pas à mes cheveux blancs, je suis encore très jeune dans ma tête. » Avec son regard malicieux et percutant, Anisa Najjar a tôt fait de séduire son interlocuteur. À 90 ans passés, cette dame énergique, à l’âme généreuse, a des décennies de travail social derrière elle, particulièrement dirigé vers le développement de la femme rurale. Le dernier projet en date de son Association du développement rural consiste à offrir un an de formation en gestion de l’économie domestique à des jeunes femmes, un concept global, très bénéfique pour le revenu des foyers et encore très peu exploité sous nos latitudes, en milieu citadin comme rural (voir encadré). Avant de fonder son association et de créer des écoles en milieu rural, dans des régions où la femme serait le plus probablement restée sans éducation n’était-ce une intervention de ce type, Anisa Najjar avait eu un long parcours marqué dès ses plus jeunes années par l’amour du travail social. C’est au tendre âge de huit ans – elle est née en 1913 – qu’elle entreprend de convaincre ses camarades de classe de fonder leur première association… pour imiter sa mère. Celle-ci, devenue veuve très jeune, a énormément marqué sa fille, et cela est toujours perceptible dans son discours aujourd’hui. « Ma mère était engagée dans le travail social et était présidente d’une association au début du siècle dernier », précise-t-elle. Anisa Najjar évoque volontiers la première école qu’elle a fréquentée, l’établissement de Marie Kassab pour jeunes filles, où elle a appris le vrai sens du mot citoyenneté. « Durant tout le temps que j’y ai passé, personne ne s’intéressait aux différences de confessions entre les unes et les autres, raconte-t-elle. Cela a façonné très tôt ma façon de voir le monde et de concevoir la tolérance. » Elle souffrira donc des aspects d’intolérance qu’elle constatera dans un autre établissement où elle fera ses études secondaires. Précurseur, avant-gardiste, Anisa Najjar l’a certainement été. Une fois ses études scolaires terminées, elle s’inscrira à l’AUB et sera, en ce temps-là, l’une des huit étudiantes admises sur le campus, l’une de celles qui ouvriront la voie à des milliers d’autres jeunes filles. Les sciences de l’éducation, la sociologie, la chimie, la biologie sont parmi les cours qu’elle a suivis. « J’ai été nommée rédactrice en chef d’un magazine de l’université et présidente d’une association estudiantine des droits de la femme, se souvient-elle. C’est là aussi que j’ai découvert le livre de Sami Haddad sur les grandes découvertes arabes. Nous l’avons fait éditer en ce temps-là parce que, pour nous, cette histoire est méconnue alors qu’elle devrait être une source de fierté. » Elle ajoute : « C’est depuis ce temps-là que je suis convaincue que se connaître soi-même est essentiel. Si, en tant que peuples, nous savons ce dont ont été capables nos ancêtres, nous aurions plus d’estime pour nous-mêmes. » En ce temps-là, ce ne devait pas être facile pour une jeune fille de s’imposer de la sorte… « Dans ma famille, ma mère avait beaucoup de mérite à nous encourager à suivre notre voie, affirme Mme Najjar. En société, il est vrai que j’étais considérée comme une avant-gardiste, mais j’avais pris soin de rester conservatrice dans mon habillement bien que je n’aie jamais mis le voile, et ce, pour qu’on ne donne pas un sens erroné à la libération que je recherchais. » Jusqu’à présent, cette dame hors du commun continue de penser que la modernité, la vraie, ne repose pas sur les apparences, mais sur l’éducation, la culture et les différentes nourritures spirituelles. Poursuivant son parcours hors du commun et faisant fi des pressions sociales, Anisa Najjar décide, dès sa sortie d’université, de répondre à une demande d’emploi comme professeur en Irak, en 1937. Sans le savoir, elle aura ainsi entamé sa première expérience de travail social sur le terrain. « Dès la deuxième année, j’étais nommée directrice de l’école secondaire de Mossoul, raconte-t-elle. Les jeunes filles, dans ces contrées, étaient issues de milieux extrêmement conservateurs. J’ai introduit le basket-ball, j’ai poussé les jeunes étudiantes à exercer des activités de collecte de fonds pour des objectifs sociaux et nationaux… » La couture… pour mener à l’éducation De ces quatre ans en Irak, Mme Najjar en a gardé l’amour de ce pays « qui a conservé ses valeurs, comme seuls ont su le faire les villageois chez nous », et le sens de la diplomatie qu’elle a acquis en raison de ses contacts avec le gouvernement irakien en tant que directrice d’un établissement public. « Ce sens des valeurs qui n’existe pratiquement plus que dans nos villages. J’ai senti qu’il fallait le préserver et protéger le milieu rural contre les tentations de l’imitation aveugle », insiste-t-elle. Entre-temps, et dès sa sortie de l’université, Anisa Najjar avait rejoint les rangs du Conseil libanais de la femme, en même temps que d’autres jeunes recrues à l’époque. « Des années plus tard, en 1952, les femmes ont décroché le droit de vote, dit-elle. C’est alors que je me suis engagée à instruire les femmes rurales sur l’exercice de ce droit d’une manière indépendante et consciente. Pour ce faire, un comité a été créé au sein du conseil sous le nom de « développement rural » (« Inaach al Qarya »). La tâche s’étant avérée énorme, nous avons décidé de fonder une association indépendante qui porte le même nom et qui poursuit son travail aujourd’hui. » Pour être plus à même d’exercer ses fonctions de manière active, Anisa Najjar a préféré rester secrétaire générale de l’association durant plusieurs années. Mais elle a été élue présidente par la suite à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’elle insiste elle-même à être remplacée, malgré l’opposition des membres de l’association. Aujourd’hui, la présidence est exercée par Samira Abou el-Hosn. Durant toutes ces années, l’objectif premier qui a commandé la création de cette association est resté inchangé : le développement de la femme rurale. « Nos tournées dans les régions durant les années 50 nous ont dévoilé l’ampleur du manque d’éducation dont souffrent les femmes rurales, raconte Mme Najjar. Après 1956, nous étions à un tournant de notre parcours. On nous avait confié un terrain dans la région de Manassef (au Chouf, non loin de Kfarhim), pour y édifier une première école qui devait servir dix villages. » Elle souligne que, pour ne pas s’opposer au refus des mères qui n’acceptaient pas facilement, en ce temps-là, l’idée de l’éducation de leurs filles, l’association, qui gère l’école, a décidé de se limiter dans un premier temps à des cours de couture. « Or l’exercice de toute activité est handicapé par l’illettrisme, souligne-t-elle. Cela est devenu tellement évident que les habitants eux-mêmes se sont mis à exiger l’ouverture d’une école pour les filles. C’est ainsi que trois établissements ont ouvert leurs portes par nos soins dans cette région. » Mais que font les femmes ? L’activité de l’association ne s’est pas limitée à cela. Un dispensaire mobile tenu par une infirmière – et un médecin, au besoin – a été mis sur les rails. « Dans les régions éloignées, l’ignorance des jeunes filles en matière de santé était une lacune importante qui devait être comblée, poursuit Mme Najjar. Nous avons arpenté les routes de la Békaa, du Liban-Sud, du Kesrouan et d’autres régions, en tout quelque 22 villages, pour y organiser des campagnes de sensibilisation. Nous avons également aidé au développement de l’agriculture dans certains endroits. » Cette association, qui gère actuellement quatre écoles dans les zones rurales pour une scolarité symbolique, a abattu un travail considérable avec des ressources humaines relativement modestes, le nombre de ses volontaires évoluant constamment autour de la vingtaine. « Nous aurions besoin aujourd’hui de volontaires sérieuses », souligne Anisa Najjar. Le financement est entièrement assuré grâce à des dons, l’État n’ayant jamais contribué au budget de l’association sous quelque forme que ce soit. « Nous pouvons octroyer des diplômes en mendicité », dit-elle en riant. Les écoles sont réservées aux filles, « pas parce que j’ai un parti pris pour les femmes dans cette affaire, mais parce que je pense que la femme est la meilleure gardienne des valeurs, que c’est elle qui éduque les enfants et se doit donc d’être éduquée ». « J’ai moi-même deux filles et un garçon, et j’ai pu déceler leurs traits de caractère et me comporter en conséquence, dès le premier jour », raconte-t-elle. Cette dame qui a passé des décennies à lutter pour les droits de la femme porte aujourd’hui un regard assez critique envers ses concitoyennes. « Je trouve que les femmes ne travaillent pas assez sérieusement dans ce pays, dit-elle. Elles fondent des associations et atteignent des postes au sein de ces ONG. Mais quand ont-elles pensé œuvrer pour les quelque 50 % de femmes rurales du pays ? J’ai l’impression qu’elles sont coupées du travail sur le terrain et qu’elles n’ont plus le sens des droits ni le sens de la lutte. » Un sujet à méditer ? Suzanne BAAKLINI
« Ne vous fiez pas à mes cheveux blancs, je suis encore très jeune dans ma tête. » Avec son regard malicieux et percutant, Anisa Najjar a tôt fait de séduire son interlocuteur. À 90 ans passés, cette dame énergique, à l’âme généreuse, a des décennies de travail social derrière elle, particulièrement dirigé vers le développement de la femme rurale. Le dernier projet...