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Actualités - CHRONOLOGIE

PORTRAIT D’ARTISTE - Elle révèle, dans ses dessins, les charmes cachés du nu féminin Les toiles érogènes de Lamia Ziadé (photos)

Dans la vie courante, Lamia Ziadé a tout d’une épouse, d’une mère exemplaire, politiquement correcte. Elle fait des croquis de mode, illustre des livres pour enfants, se passionne pour les robes, les escarpins et autres chiffons. Mais voilà, à voir ses toiles, il n’y a pas de doute, l’on se dit que l’autrice doit être une bad girl. Ce qu’on y voit ? Des femmes allongées, languissantes, poitrine et croupe offertes. Rien de bien méchant, dira-t-on. Non, bien sûr, mais c’est plutôt inhabituel, surtout venant d’une fille d’Ève pétrie de culture orientale, donc de tabous. Qui est donc cette jeune femme qui, de Paris, sème avec férocité et justesse des pétards sur les chemins tracés de la bienséance ? Une femme, à quatre pattes, jupe relevée. Au premier plan, une table avec un bouquet de fleurs et un pot de vaseline. Éparpillés sur le tapis, des CD de Bowie, Gainsbourg, et une main d’homme qui tient un CD de musique libanaise . Par la fenêtre, dans le fond du tableau, une vue de New York et les paroles d’une chanson... Autre plan, autre vision. Une femme nue attachée, allongée sur le sol, et un homme nu qui s’approche d’elle, une corde à la main. De la femme partent, tels des rayons, des énormes cœurs en paillettes, broderies ... et les paroles d’une chanson de Léonard Cohen. Non. Il ne s’agit point là de la description grivoise d’un quelconque film de série X. Il s’agit plutôt de trois grands formats sur papier, techniques mixtes (acrylique, collage, broderies, perles, paillettes, etc.). Ces toiles, signées Lamia Ziadé, sont exposées à Neuchâtel dans le cadre d’une exposition intitulée «Girls, girls, girls». La commissaire de l’exposition n’est autre que la sulfureuse Catherine Millet (souvenez-vous de son livre scandale La vie sexuelle de Catherine M.). Les deux curateurs, Stéphane Pencréac’h et Richard Leydier, ont choisi d’exposer des jeunes femmes artistes qui, toutes à des degrés divers, travaillent sur une représentation sexuée du corps féminin, qu’il s’agisse du leur ou de celui de modèles. C’est donc une exposition sur le désir. Un regard masculin sur des filles qui portent un regard sur d’autres filles. Le travail que Lamia Ziadé réalise en ce moment correspond exactement à cette thématique. Elle a donc été tout naturellement invitée à y participer. Il est bon de signaler que la manifestation devait se tenir en France, mais les deux curateurs «se sont heurtés à des refus successifs quand ils ont tenté de trouver le lieu qui accepterait d’exposer de telles œuvres. Je me demande aussi pourquoi la Suisse a été plus ouverte!» explique Ziadé. Beaucoup des œuvres présentées dans le cadre de cette exposition sont des autoportraits. Comment explique-t-elle cette donne narcissique chez les femmes artistes? «Les artistes en général sont des personnalités narcissiques, hommes ou femmes, à mon avis. Peut-être que pour la femme c’est plus aisé, plus naturel de se représenter physiquement nue, alors que les hommes artistes rechercheront une manière plus détournée, plus sophistiquée de satisfaire leur narcissisme.» Concernant l’intérêt de l’exposition, elle indique: «La diversité des médiums (photo, vidéo, peinture, dessin, sculpture...) et aussi les différentes approches pour ce même thème qui n’est pas simple à aborder rendent cette expo très intéressante. C’est fou comme dès qu’il s’agit de sexe, les personnalités et les fantasmes sont différents et riches.» Être une femme libérée Elle appartient à la nouvelle scène féminine libérée. Elle révèle les charmes cachés du nu féminin. Les cuisses s’écartent, les fesses s’arrondissent sur des plis clos que les doigts dessillent. Amoureuses ou vénales, les étreintes ne s’embrasent pas de faux-semblants. Ziadé met à nu la sexualité, confondant sur le papier l’objet du désir et sa représentation toute crue. Il y a de l’humour, de la possession, de la brutalité, de la transgression, de la tendresse. Elle a réalisé des illustrations dans les domaines de l’édition, de la presse (quotidiens comme Le Monde ou Libération, et aussi féminins comme Vogue, Jalouse, Biba, SpuR, etc.), mode (dessins de tissus pour Jean-Paul Gaultier et Issey Miyake), pub (surtout pour des marques japonaises ultrabranchées, mais aussi pour la SNCF ou France Télécom) et, finalement, des affiches de cinéma et de concerts et pochettes de CD. Lorsqu’on fait du graphisme, on a tendance à se diversifier un peu. Mais de là à avoir du succès dans l’édition, la publicité et la mode… Avant de se lancer dans ces entreprises diverses, a-t-elle peur de se disperser? «C’est sûr qu’une affiche pour un disque de groupe de rock japonais, haute de 5 étages sur un building de Tokyo et un petit dessin en noir et blanc pour Libération, ce n’est pas vraiment la même chose, mais je ne considère pas du tout que je me disperse car mon style est toujours le même dans tous les cas, aisément reconnaissable même dans des domaines très différents.» Elle trouve donc «que c’est un enrichissement, un vrai remède contre l’ennui et un bon filon pour rencontrer des gens différents...» Ainsi après s’être fait un nom dans l’illustration de livres pour enfants, la voilà dans les dessins osés. Comment explique-t-elle ce «détournement»? «Justement, cette diversification permet de ne pas se cantonner à une seule spécialité, mais de tenter des expériences nouvelles, de suivre d’autres pistes , ce qui n’empêche pas non plus de refaire de nouveau des livres pour enfants , ou carrément autre chose après.» Et l’inspiration? Question primordiale à une personne «pas pudique » dans ses dessins: qu’est ce qui vous inspire ? «Justement! Je ne suis pas pudique dans mes dessins! Cela ne veut pas dire que je suis capable de disserter sur mon inspiration et mes fantasmes dans un quotidien national!» Les tabous, les entraves d’ordre familial mais aussi politique et social sont tels qu’ils ne se dissipent pas même en terre d’exil. Cela ne semble pas être vrai pour notre artiste installée à Paris. Est-ce vrai? «Le côté artistique aide à surmonter ces tabous. Cela ne veut pas dire qu’ils n’existent plus pour moi parce que je suis en Europe... Et puis ce sont aussi des tabous en Occident, à une moindre échelle, mais quand même.» Pourquoi l’omniprésence du corps nu dans ses œuvres? Obsession charnelle ou désir de se réapproprier la représentation du corps féminin? À cela, elle répond que si elle dessine, c’est parce qu’elle n’est capable ni d’écrire, ni de parler d’obsession charnelle, de désir, de corps nu… Ce sont des sujets tabous. D’ailleurs, sa précédente exposition personnelle s’intitulait «Je veux que personne ne le sache». Au final, pense-t-elle que le public libanais puisse un jour voir exposer chez lui de telles œuvres? «Chez lui, dans son salon? Si oui, certainement je le pense, pour un certain public uniquement. Un collectionneur libanais a d’ailleurs déjà un de mes dessins chez lui, qu’il avait acquis lors de mon expo à Paris. Mais n’imaginez pas qu’en France ou aux États-Unis les gens mettent facilement ce genre de tableaux chez eux. Il existe encore une grande pudeur par rapport à ce sujet en Occident, et je ne pense pas que les Libanais soient les moins ouverts d’esprit. Organiser une telle exposition au Liban est une autre affaire, mais je crois qu’au pays du cèdre, tout est possible, l’on peut s’attendre à tout ...» Dans une interview accordée à notre correspondante à Washington, Lamia Ziadé affirmait: «J’adore être une femme arabe.» Pourquoi? «Les femmes arabes ont une bonne odeur de peau.» Décidément, «l’art n’est pas chaste», comme l’affirmait Picasso, qui disait aussi: «Le salon de bordel est le seul endroit où l’on trouve réellement des femmes nues.» Mais là, il faudrait peut-être le contredire dans cette seconde affirmation. Maya GHANDOUR HERT

Dans la vie courante, Lamia Ziadé a tout d’une épouse, d’une mère exemplaire, politiquement correcte. Elle fait des croquis de mode, illustre des livres pour enfants, se passionne pour les robes, les escarpins et autres chiffons. Mais voilà, à voir ses toiles, il n’y a pas de doute, l’on se dit que l’autrice doit être une bad girl. Ce qu’on y voit ? Des femmes allongées,...