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Actualités - interview

Interview - Le nouveau patron des FSI prône un changement de mentalité au sein de son institution Achraf Rifi : Pour une séparation, autant que possible, entre le sécuritaire et le politique (Photo)

Les bouleversements sécuritaires n’ont jamais été aussi fréquents et sérieux au Liban que durant ces derniers mois, à tel point que la gestion quotidienne de la politique n’a plus de sens qu’au regard de la priorité sécuritaire. C’est ce qui explique d’ailleurs la convoitise dont font preuve certains pôles politiques à l’égard des postes ministériels de l’Intérieur et de Défense, devenus des portefeuilles-clés à la lumière des récents développements sur la scène locale, régionale, voire même internationale. Depuis pratiquement l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri qui a déclenché une nouvelle psychose, en passant par la série d’explosions visant des personnalités politiques et médiatiques, ou tout simplement, l’économie et la stabilité du pays, jusqu’aux dernières tribulations de Omar Bakri innocenté, puis arrêté, puis relâché, alors qu’éclatait le même jour un scandale autour de l’affaire de la rétention d’informations par « les hommes de Jamil Sayyed », les soubresauts inquiètent les citoyens aussi bien que la communauté internationale qui suit de très près les moindres détails de la vie politique libanaise. À tous ces sujets, le général Achraf Rifi a une réponse, qui se confine bien entendu « au cadre de ses prérogatives » et « aux informations dont il dispose ». Fervent défenseur de la séparation quasi absolue du politique et du sécuritaire « dans la mesure du possible », nuance-t-il, le général prône une « politique d’ouverture et de transparence », jamais connue au sein des services sécuritaires. Le général Rifi s’est surtout fait remarquer, à la suite de l’assassinat de Rafic Hariri, par sa médiation osée auprès du ministre de l’Intérieur de l’époque, Sleimane Frangié, qu’il avait exhorté d’intervenir alors qu’on saccageait la scène du crime. Nommé à la tête des FSI au printemps dernier – suite à l’éviction de plusieurs responsables à la tête des services de sécurité dont celui qui était son supérieur hiérachique, le général Ali Hajj, « qui aurait donné l’ordre de “salir” la scène du crime », selon l’article du Figaro écrit par notre collègue Georges Malbrunot –, le général Rifi incarne un nouveau style dans sa gestion des Forces de sécurité intérieure que l’on peut réduire à deux priorités : la « modernisation » des méthodes de travail et des esprits, et la « culture de la légalité », comme il dit, par opposition à « la culture du dépassement de la loi qui avait prévalu jusque-là », notamment au sein des institutions sécuritaires. Dans une interview accordée à L’Orient-Le Jour, le général passe en revue les principaux problèmes de sécurité auxquels fait face actuellement le pays, en reconnaissant qu’il y a un travail en profondeur à entamer au sein des institutions sécuritaires, dont celles des FSI. Aucune charge contre Bakri Évoquant en premier lieu l’affaire rocambolesque du débarquement, puis de la disparition et enfin de la réapparition du prédicateur islamiste Omar Bakri sur la chaîne de la Future TV, avant d’être arrêté puis relâché, le général Rifi persiste et signe : « Nous n’avions rien à reprocher à cet homme, qui a la nationalité libanaise. C’est la raison pour laquelle il n’a pas été inquiété à l’aéroport. Par la suite, et après le tapage médiatique et politique qui a suivi son arrivée au Liban, la Sûreté générale s’est trouvée dans l’obligation de l’arrêter dans le cadre d’une “arrestation administrative” pour vérifier s’il ne représente aucun danger à la Sûreté de l’État. » À la question de savoir si le gouvernement libanais allait se plier à la demande d’extradition formulée par la Syrie, le général précise que cela ne se fera que s’il existe des accusations justifiées à son encontre et après une demande officielle formulée « soit par l’Interpol arabe, soit par le gouvernement d’un pays donné ». « Or nous n’avons reçu aucun ordre à ce propos », dit-il. Quant au second bouleversement survenu lors de la réunion, jeudi dernier, des responsables de sécurité, portant sur « la rétention d’informations de la part des hommes relevant de l’ancien directeur de la Sûreté générale, Jamil Sayyed », et la polémique qui s’ensuivit, le général Achraf Rifi se contente de répondre que « la règle consiste dans l’obligation qu’a l’ancienne équipe de confier les informations à ses successeurs, dans une perspective nationale et dans le respect de la continuité des services ». « Après tout, nous ne sommes pas dans un régime présidentiel où la pratique du Spoil System prévaut », dit-il, en référence au système américain où la nouvelle administration arrive au pouvoir avec son équipe propre. Revenant sur la réunion de jeudi au cours de laquelle il avait présenté un état des lieux de son département et sa vision d’avenir, le directeur des FSI égrène les problèmes auxquels se trouve confronté l’organisme dont il relève. Pour le général Rifi, « la dépendance dont ont fait preuve les services de sécurité dans leur ensemble, qui s’en remettaient toujours aux autres – (entendre l’occupant syrien) –, a détruit tout esprit d’initiative ». « De plus, dit-il, la situation qui prévalait (avant le retrait syrien ) a contribué à répandre la culture du dépassement de la loi au sein des forces de sécurité. Il est temps de remettre les choses sur les rails et de recommencer à éduquer nos effectifs dans l’optique du respect de la loi et des nouvelles valeurs. » « ll faut comprendre que le respect de la loi ennoblit plutôt qu’il n’avilit », précise le général. Selon lui, la modernisation des équipements et la réhabilitation des ressources humaines sont la meilleure voie pour introduire la transformation des mentalités. À titre d’exemple, le général cite les bénéfices de l’introduction du programme de DNA comme moyen scientifique pour vérifier les empreintes sur la scène du crime en vue d’en retrouver l’auteur. Ainsi, dit-il, « ce programme pourra se substituer à l’avenir aux méthodes traditionnelles de violence physique employées jusque-là contre les suspects pour leur extirper les aveux ». « Cela leur permettra d’être en conformité avec les droits de l’homme », ajoute-t-il. Autre lacune dont souffre l’équipe des FSI, « le manque d’effectifs, notamment parmi ceux qui ont des compétences universitaires ». Similitude des explosions Nommé officier de liaison entre la commission d’enquête internationale sur l’assassinat de Rafic Hariri et les services de sécurité libanais, le général Achraf Rifi est bien placé pour parler des aspects techniques qui caractérisent la série d’explosions qui ont envenimé la vie politique, sociale et économique au Liban. S’abstenant d’évoquer toute fin politique qui résiderait derrière ces événements – la séparation du politique et du sécuritaire étant un principe sacro-saint pour cet homme –, le général se contente d’expertiser les faits. Selon lui, on peut regrouper, du point de vue des circonstances politiques, les explosions en deux grandes catégories, à savoir celles qui ont eu lieu sous l’occupation syrienne et après le retrait. Pour le général Rifi, on peut relever des similitudes techniques qui peuvent être intéressantes pour l’investigation, entre d’une part « les deux explosions qui ont visé Élias Hobeika et Élias Murr, les voitures employées ayant été achetées de la même manière. Elles ont été payées directement en cash et n’ont pas été enregistrées ». « Dans le cas de Marwan Hamadé et de l’obus lancé à partir d’un véhicule contre la Future TV, les deux voitures avaient été volées 4 ans et 7 ans avant l’explosion, vraisemblablement dans le but d’une opération sécuritaire. » D’autres parallélismes peuvent être établis entre les assassinats de Samir Kassir et de Georges Haoui, « sur le plan de la méthode et des explosifs employés ». De même que l’on « peut comparer l’explosion qui a visé Marwan Hamadé, Rafic Hariri et Élias Murr ». Une dernière catégorie peut être établie entre les meurtres de Ragheh Awali et de Ali Saleh, les deux responsables du Hezbollah, ainsi que celui d’Ahmed Jibril. À la question de savoir si pour une raison politique donnée, les services de sécurité préféraient – pour l’instant du moins – garder secrets les résultats de leurs enquêtes, le général Rifi répond par la négative en affirmant qu’au contraire, les responsables de la sécurité « ont hâte de finaliser les enquêtes et de recueillir les fruits de la réussite ». « Tout ce que nous pouvons dire pour le moment, c’est que nous travaillons d’arrache-pied sur les faits et sur les indices des crimes qui, pour nous, sont en quelque sorte les empreintes du criminel. » Session de formation Le directeur des FSI reconnaît toutefois l’anarchie qui a sévi à chaque fois sur les lieux de l’explosion, et la « compétition » entre les services de sécurité et des renseignements qui a souvent retardé, sinon rendue difficile, la gestion des lieux du crime. C’est la raison pour laquelle le gouvernement a pris la décision de « mettre de l’ordre » au sein des institutions responsables de la sécurité, en demandant à chaque organisme et service de définir au plus tôt sa vision future et d’établir un plan théorique, notamment en vue d’intervenir de manière concertée et coordonnée. Le général Rifi affirme en outre qu’une session de formation intensive est prévue pour les services de l’ordre en vue notamment de coordonner leurs efforts et leur intervention après les explosions. Le gouvernement attend également de ces services un plan de réorganisation qui permettra de définir les compétences respectives de chacun et d’œuvrer en vue d’une séparation, sinon totale, du moins autant que possible, entre le sécuritaire et le politique. Cette dissociation « a mieux réussi au sein de l’armée qu’au sein des autres organismes sécuritaires, à cause de la nature de la mission des forces armées, de la qualité de leur commandement, de la pertinence de l’analyse et surtout du sentiment national qui a caractérisé jusque-là ce milieu ». « Les services de l’ordre, par contre, qui sont beaucoup plus souvent sur le terrain, et proches des citoyens, n’ont pu échapper à l’influence de la mosaïque socioreligieuse et politique de la base. » Enfin, à la question de savoir comment réussir à séparer les considérations sécuritaires du climat politique général, à la lumière notamment de la 1559 qui a pratiquement divisé le pays en deux camps, y compris les responsables au sein des forces de sécurité, il répond : « Notre mission n’est pas de nous immiscer dans les affaires politiques, mais plutôt d’assurer le climat nécessaire pour la compétition politique. » Et le général Rifi de promettre que « les choses vont bientôt changer ». Jeanine JALKH
Les bouleversements sécuritaires n’ont jamais été aussi fréquents et sérieux au Liban que durant ces derniers mois, à tel point que la gestion quotidienne de la politique n’a plus de sens qu’au regard de la priorité sécuritaire. C’est ce qui explique d’ailleurs la convoitise dont font preuve certains pôles politiques à l’égard des postes ministériels de...