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Actualités - OPINION

Le point Gambit iranien

Difficile d’expliquer aux responsables de notre pauvre monde, plus volontiers manichéens que réellement cartésiens, les subtilités électorales d’un pays qui a porté la miniature au niveau d’un art. Surtout que, pour ajouter à la complexité de la situation, cette présidentielle iranienne a été jouée en deux tours et trois mouvements par des maîtres du jeu d’échecs. Premier temps : j’entame mon ouverture en avançant deux pions. Deuxième temps : je roque ma tour Rafsandjani et mon roi Ahmadinejad. Troisième temps : j’effectue un gambit en sacrifiant l’un et je gagne la partie. Les esthètes apprécieront. Entre-temps, l’Occident s’effarouche, la Bourse flambe, les cours du pétrole repartent à la hausse et l’opinion internationale se désole à l’idée que les maigres acquis obtenus en huit ans par l’affable Mohammed Khatami ne soient plus que souvenirs. Responsable de tout cet affolement, le nouveau président s’emploie depuis quarante-huit heures à calmer les appréhensions des uns et des autres, sans toutefois – trop fine mouche pour cela – aller jusqu’à donner des gages quant au proche avenir. Parler de « mascarade », ainsi que l’a fait la Maison-Blanche dès les premiers jours de la campagne, ou encore dénoncer un simulacre de scrutin avec ses multiples traficotages, comme se sont plu à l’affirmer les représentants de la partie adverse, revient à ignorer l’impitoyable logique des chiffres. Après tout, le vainqueur a recueilli 62 pour cent des bulletins, soit la proportion que représente la jeunesse. Ce qui ne veut pas du tout dire que les voix de celle-ci se sont portées sur lui. Plus simplement, le choix s’est effectué sur la base d’un constat, désolant dans sa simplicité: en huit ans, le président sortant n’a pas réussi à faire décoller l’économie, à créer de nouveaux emplois, en un mot à améliorer le niveau de vie. Le plus grave est qu’avec l’étranger, l’incompréhension s’est très vite installée, la maladresse aidant, la République islamique faisant savoir qu’elle « n’avait pas vraiment besoin d’entretenir avec Washington des relations imposées ». Pour sa part, Donald Rumsfeld a tout de suite décrété, bien que « ne sachant rien sur ce type, sinon qu’il est jeune », qu’il ne pouvait être « un ami de la démocratie ». C’est tout juste si, dans la capitale fédérale, on n’a pas encore rappelé l’appartenance iranienne à cet « axe du mal » dénoncé au lendemain du 11 septembre. Pourtant, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Hamid Reza Asefi, avait tenu à souligner dès dimanche que la politique extérieure n’allait pas subir de changement majeur, qu’en tout état de cause elle dépendait du guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, et qu’il importait, face au nouveau régime, d’« opter pour la confiance, la tolérance et la patience ». De fait, tout pour l’heure semble indiquer que passés les premiers moments de nervosité, il n’y a pas lieu de s’inquiéter outre mesure du moment que « priorité est donnée à la justice, à la paix, à la coexistence et à la promotion des liens bilatéraux ». Le dossier nucléaire ? L’Europe a pris acte en ce début de semaine du désir de la partie adverse de poursuivre la discussion puisqu’il y va de son « intérêt national ». C’est ainsi que, comme convenu, des propositions vont être avancées sous peu pour obtenir un gel des activités « sensibles », autrement dit d’ordre militaire, le soin étant laissé à Tony Blair de montrer les crocs – un exercice purement gratuit mais de nature à satisfaire l’Administration républicaine – en exigeant le respect des engagements pris. Il n’empêche : la diplomatie US a si bien manœuvré qu’elle pourrait se retrouver sous peu avec un problème majeur en deux points éminemment stratégiques de l’Asie : l’Iran et la Corée du Nord, deux États farouchement réfractaires à tout encadrement de leur programme atomique conçu, s’obstinent-elles à affirmer, à des fins domestiques. Les monarchies pétrolières du Golfe ont opté, elles, pour un sage pragmatisme, tout en espérant un réchauffement qui ne peut qu’être bienvenu pour les deux parties, à l’heure où l’on s’agite dans les chancelleries pour tenter de remodeler sur des bases confessionnelles les grandes lignes de la carte régionale et où, dans certains médias arabes, on appréhende le retour au credo de la révolution. À tort, d’ailleurs, puisque l’unique changement appelé à se produire concernera les détails plus que l’essentiel. Quoi qu’il en soit, c’est dans trente-six jours, soit le 3 août, que le nouveau président entrera en fonctions et qu’un gouvernement verra le jour. Fort de l’appui des Bassidjis, des Gardiens de la révolution et du groupe Abadgaran, dominant au Majlis, il rendra publiques les grandes lignes de son programme. On saura alors si, après la victoire de la ligne dure aux municipales de 2003 puis aux législatives de 2004, le printemps de Téhéran appartient désormais à l’histoire. Christian MERVILLE
Difficile d’expliquer aux responsables de notre pauvre monde, plus volontiers manichéens que réellement cartésiens, les subtilités électorales d’un pays qui a porté la miniature au niveau d’un art. Surtout que, pour ajouter à la complexité de la situation, cette présidentielle iranienne a été jouée en deux tours et trois mouvements par des maîtres du jeu d’échecs. Premier...