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Actualités - interview

Il y a 20 ans, le sommet avec Reagan avait bouleversé le monde Gorbatchev à « L’Orient-Le Jour » : « S’ils veulent jouer un rôle de leader, les USA doivent être à l’écoute du monde » (Photo)

Vingt ans après sa rencontre à Genève avec Ronald Reagan, Mikhaïl Gorbatchev est revenu dans la cité de Calvin afin de commémorer ce moment unique de l’histoire contemporaine, lors d’une table ronde organisée par la mairie de Genève, l’Université de Genève et l’office des Nations unies. L’ancien secrétaire général du Comité central du parti communiste et ex-président de l’URSS a partagé avec les Genevois sa vision politique de l’époque et les espoirs qui l’animent aujourd’hui. 1985 : c’est la guerre froide qui bat son plein, c’est le surarmement nucléaire qui pèse de toute sa menace – et de tout son équilibre – sur notre planète, c’est la politique des blocs et les crises à distance qu’ils entretiennent. 1985, c’est aussi l’année où les deux « Grands », que tout oppose, se retrouvent dans l’intime conviction que personne ne sortirait vainqueur d’un conflit nucléaire et que la paix et la coopération pouvaient triompher. Le « dinosaure » et le « vieux bolchevique », tels qu’ils se qualifiaient avant leur rencontre au sommet, raconte Mikhaïl Gorbatchev, négocient et s’entendent sur une réduction de 50 % des armements nucléaires offensifs. « Ni guerre nucléaire ni guerre entre les deux pays », rappelle encore Alexander Bessmertnikh, ancien ministre des Affaires étrangères de l’URSS, également présent autour de cette table ronde. Cette diplomatie des sommets ouvrira la voie à d’autres rencontres, avant d’aboutir, en décembre 1987, à un premier accord sur l’élimination des missiles de portée intermédiaire en Europe et en Asie puis, dans les années 90, aux traités Start, qui iront encore plus loin. Mikhaïl Gorbatchev, aujourd’hui président de la Croix verte internationale, a défendu un thème majeur à Genève : l’élimination des armes nucléaires. « Nous avons besoin de résolutions fermes et de montrer l’exemple », a-t-il déclaré. Et de s’interroger : « Que voulons-nous faire de toute cette puissance, sauver des économies nationales ? » La logique est imparable : la course à l’armement s’accroît en fonction des conflits et de la pauvreté dans le monde ainsi que des flux financiers qui les alimentent. Au réformateur et au révolutionnaire qui avait lancé la perestroïka et la glasnost, est peut-être venu se greffer un idéaliste qui demande un nouveau mode de pensée et de développement. « Un nouvel ordre mondial plus stable, plus juste et plus humain ». Un ordre basé sur la confiance et le respect mis en évidence en 1985 lors du Sommet de Genève et non sur l’imposition d’un style. « Il est nécessaire de retrouver l’esprit et l’attitude de Genève qui ont permis la percée » que l’on a connue. « Reagan était venu à Genève avec des doutes liés à la doctrine des quarante dernières années », explique Robert McFarlane, ancien conseiller du président américain à la Sécurité nationale et panéliste d’un soir. « Il était convaincu qu’il fallait le faire et, heureusement, l’histoire lui a présenté un interlocuteur qui a compris qu’il fallait changer le monde. » Et 1985, c’est l’année où le monde se préparait au bouleversement. S’il l’a été, il nous faut, aujourd’hui, gérer l’héritage laissé par les deux « Grands » et les questions qui lui sont liées. Mikhaïl Gorbatchev en a abordé quelques-unes avec L’Orient-Le Jour. OJ : Quel est votre souvenir le plus marquant de votre rencontre avec Ronald Reagan ? Quel sentiment en gardez-vous ? MG : Nos relations avec le président Reagan n’ont pas été simples. Après notre première rencontre, quand on m’a demandé ce que je pensais de lui, j’avais répondu : « C’est un vrai dinosaure. » Plus tard, j’ai appris qu’en répondant à une question similaire de mes collaborateurs, il m’avait qualifié de « bolchevik à tête dure ». Ainsi commençaient nos relations, qui ont connu des moments dramatiques comme des moments curieux. L’important est que, dès notre première rencontre, et malgré de telles impressions peu flatteuses, nous avons pu commencer un dialogue basé sur un respect et une sympathie mutuels. Peu après, nous avons commencé à nous tutoyer et appris à nous faire confiance, sans bien sûr devenir amis dans le sens habituel du mot car chacun d’entre nous avait un grand pays derrière lui. OJ : Comment mesurez-vous l’impact de votre rencontre avec le président américain sur le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui ? Quel bilan en tirez-vous ? MG : Je l’ai rencontré plusieurs fois. Si vous faites allusion à notre rencontre à Genève, c’était un point de départ dans le processus de démantèlement de la guerre froide et, de ce point de vue, son importance ne peut pas être surestimée. C’était notre première rencontre ; nous nous observions et nous nous mesurions l’un à l’autre. Mais déjà à ce moment-là, à Genève, nous avons pu arriver à la conclusion commune et fondamentale qu’il ne pouvait pas y avoir de vainqueur dans une guerre nucléaire. Cette conclusion a déterminé le cours des événements qui ont suivi, devenant la base de la transformation de la situation politique mondiale. OJ : En ce début de millénaire, quelle est votre vision de ce monde devenu unipolaire et qui a considérablement évolué en vingt ans ? MG : La fin de la guerre froide signifiait la fin de la menace de destruction mutuelle – cette épée de Damoclès suspendue au-dessus du monde – et, par la même occasion, la fin de la dépendance humiliante de pratiquement tous les pays de la rivalité entre les deux superpuissances. Après les changements survenus après la fin de la guerre froide à travers tout le système mondial, tous les pays ont dû réévaluer leur place dans le nouvel ordre mondial et développer de nouvelles approches. Les États-Unis aussi ont été confrontés au problème de « recherche d’identité » car ils ont dû assumer les responsabilités d’une superpuissance unique. Avec un potentiel économique, politique et démocratique énorme à leur disposition, les États-Unis peuvent et doivent jouer un rôle de leader. Le reste du monde peut l’accepter à condition que les États-Unis entendent par ce rôle une responsabilité supplémentaire dans la recherche de solutions aux problèmes fondamentaux du monde moderne et qu’ils renoncent à la tentation d’imposer leur volonté à la communauté internationale, à partir d’une position de partenariat et de respect mutuel. OJ : La menace nucléaire a changé de visage : comment pouvons-nous y répondre ? MG : D’un côté, la fin de la guerre froide et les avancées en matière de désarmement ont réduit de manière considérable le risque d’un conflit international avec usage d’armes nucléaires. Cependant, il ne faut pas oublier que beaucoup de pays dits « pays du seuil » ont franchi, au cours des vingt dernières années, ce même seuil, officiellement ou officieusement. Ceci entraîne l’élargissement du club nucléaire et, par conséquent, un risque croissant de voir les armes nucléaires tomber entre les mains de terroristes. Ainsi, la menace d’usage d’armes nucléaires ne peut être éliminée complètement que par un désarmement nucléaire total. OJ : La Croix verte internationale est-elle une première réponse ? Quels succès notables relevez-vous ? MG : La Croix verte internationale est une organisation non gouvernementale travaillant dans le domaine du développement durable. Nous ne prétendons pas jouer le rôle de sauveurs de l’humanité ni pouvoir résoudre tous ses problèmes. Nous faisons partie de la société civile émergente. Cela dit, je partage l’avis de Kofi Annan pour dire que la société civile est une nouvelle superpuissance appelée à jouer un rôle décisif dans une réorganisation juste du monde. En ce qui concerne les accomplissements de la Croix verte, je suis fier du fait que, par exemple, grâce à notre campagne contre les armes chimiques, les programmes de réduction de telles armes ont repris, il y a quelques années, après plusieurs années de piétinement. Dans le cadre du programme d’aide sociale et médicale de la Croix verte, chaque année, 5 000 enfants sont examinés et suivent un traitement en Ukraine et en Biélorussie, pays qui souffrent toujours des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl. Récemment, la Croix verte a initié une campagne internationale pour le droit à l’eau. Les dangers liés à la pénurie d’eau propre sont plus réels qu’une menace de guerre nucléaire. OJ : La question de l’eau est au centre des préoccupations de la Croix verte, comme elle l’est pour le Proche-Orient et le Liban qui a des ressources aquatiques très importantes. Comment analysez-vous la situation dans cette partie instable de la planète, notamment en termes de partage de l’eau ? MG : Dans le cadre du projet « L’eau pour la paix », la Croix verte coopère avec des gouvernements, des autorités locales et la société civile, afin d’améliorer la gestion des ressources en eau transfrontalières et à résoudre les conflits existants ou potentiels dans les zones des six grands bassins internationaux. Par exemple, afin de résoudre le problème du fleuve Jourdain, un groupe de travail a été créé, comprenant des ministres compétents de Jordanie, d’Israël et de l’Autorité palestinienne. Après une série de consultations, les participants sont parvenus à la conclusion qu’il ne peut pas y avoir de solution unilatérale ou nationale à ce problème et que seule une gestion conjointe et rationnelle des ressources d’eau par tous les pays du bassin pourrait donner des résultats positifs. Malheureusement, ce travail a été interrompu par la seconde intifada. J’espère vraiment qu’après les avancées réalisées dans le processus de paix au Proche-Orient, ce travail pourra être repris. OLJ : Très impliquée auprès de l’Onu et de l’Union européenne, quel rôle peut aujourd’hui jouer la Russie au Proche-Orient, notamment dans le processus de paix et plus particulièrement au Liban ? MG : La Russie, en tant que pays sponsor de la conférence de Madrid, possède tous les moyens nécessaires pour exercer une influence positive sur le processus de paix au Proche-Orient. Lors de la récente visite du ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, nos collègues libanais ont hautement apprécié les efforts entrepris par la Russie, y compris en tant que membre du « quartette » de médiateurs internationaux. J’espère qu’à l’avenir les bonnes relations entre nos deux pays ne feront que se développer. la correspondance de Zahi Haddad
Vingt ans après sa rencontre à Genève avec Ronald Reagan, Mikhaïl Gorbatchev est revenu dans la cité de Calvin afin de commémorer ce moment unique de l’histoire contemporaine, lors d’une table ronde organisée par la mairie de Genève, l’Université de Genève et l’office des Nations unies. L’ancien secrétaire général du Comité central du parti communiste et ex-président de...