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Actualités - OPINION

analyse - Le 14 mars a-t-il été tué au nom du 14 mars ? La loi 2000, ou la consécration du despotisme communautaire

Ghazi Kanaan, où qu’il se trouve aujourd’hui, doit jubiler. Il a peut-être réussi a posteriori, (mais en assume-t-il réellement la responsabilité cette fois ?) à déstabiliser le Liban à travers « sa » loi électorale de l’an 2000. C’est du moins ce qu’on pourrait penser à première vue, après trois jours de scrutin, notamment au vu des résultats de la bataille du Mont-Liban. D’ailleurs, cette hypothèse ne déplairait pas à ceux qui continuent à dénoncer – à tort ou à raison – des immixtions syriennes partout au Liban, et à mettre sur le compte de Damas les résultats enregistrés dimanche par le courant aouniste, en raison de ses alliances tactiques avec certains symboles affaiblis de la pax syriana au Liban. Il est certes encore trop tôt pour analyser correctement toute la portée de la déferlante orange sur le Metn-Nord, Kesrouan-Jbeil et Zahlé, qui a également donné des sueurs froides à Walid Joumblatt à Baabda-Aley. Pour l’instant, c’est le déchaînement des passions, bataille électorale oblige, qui l’emporte, au détriment de la science politique et de la sociologie électorale. Cependant, il est déjà possible de tirer certaines conclusions des résultats importants enregistrés, dimanche, par Michel Aoun. La plus importante de ces conclusions concerne justement la loi de 2000 et ses répercussions sur le terrain. Ce n’est pas pour rien que l’opposition plurielle s’était opposée à la loi de 2000, que cette loi a été décriée durant plusieurs mois, qu’elle a fait l’objet d’une campagne systématique, et tout à fait légitime, sinon judicieuse. Il y a en effet beaucoup à dire sur la loi de 2000. D’abord, que c’est une fabrication syrienne visant à affaiblir certains au profit d’autres, et faciliter l’intervention des services. Ensuite, qu’elle ne garantit pas la représentativité saine et dilue certaines minorités locales au profit des grands blocs, communautaires. Ces critiques étaient tout à fait valables. Et elles le restent, même si le climat politique général n’est plus le même. Hégémonies communautaires Les effets de la loi de 2000 se font ressentir sur le terrain. Ainsi, le Liban, qui s’est toujours vanté d’être une démocratie consensuelle, se retrouve aujourd’hui aux antipodes de ce modèle qu’il entend, de surcroît, diffuser ailleurs, dans les autres pays pluralistes, notamment ceux de la région. Sauf que la loi de 2000, dans la logique même avec laquelle les Syriens ont gouverné le Liban durant les quinze dernières années, est en train, de toute évidence, de faire éclater le modèle libanais. Ainsi, l’alliance électorale faite au nom de « la réconciliation et de l’unité nationale », et qui se réclame du 14 mars, c’est-à-dire celle qui réunit le Hezbollah, Amal, le PSP, le Courant du futur et les notables chrétiens et courants politiques de Kornet Chehwane, avait jusqu’à présent conduit à des plébiscites-nominations partout, sans vraies élections démocratiques, que ce soit à Beyrouth ou au Liban-Sud. Les deux premiers tours de scrutin ont consacré, pour la deuxième fois depuis 2000, un véritable despotisme de communauté, résumant politiquement les sunnites à feu Rafic Hariri et les chiites au tandem Hezbollah-Amal. Du coup, le pluralisme politique recevait un sacré coup à l’échelle communautaire. Le troisième tour devait naturellement conduire, au Chouf et à Baabda-Aley aussi, avec l’apport de la communauté chiite, à l’annihilation du leadership yazbacki sur le plan druze (par la défaite de Talal Arslane et ses candidats à Aley, et de Fayçal Daoud à Rachaya), accordant à Walid Joumblatt une hégémonie savamment préparée depuis 1982, sinon depuis 1972 par son père Kamal. Toute « résistance » politique au sein de chacune de ces trois communautés étant écrasée, les regards des trois chefs de communautés pouvaient se tourner tranquillement vers la composante chrétienne de l’équation libanaise, la seule à mener une véritable bataille démocratique en raison du refus de Michel Aoun de prendre le train de la « coalition du 14 mars ». Interpréter le « tsunami orange » Le résultat de l’émergence de trois blocs hégémoniques communautaires et cette confessionnalisation à outrance des élections, largement due à la structure même de la loi de 2000, a conduit, dimanche, l’inconscient collectif chrétien à réagir en se rendant massivement aux urnes pour rétablir un équilibre, en votant pour Michel Aoun et ses candidats. Certes, il ne faut pas réduire la victoire aouniste à une réaction communautaire. L’homme bénéficie certainement d’une popularité extraordinaire, qui dépasse le contexte de sa communauté. Cette popularité découle de la constance du général, qui n’a cessé de réclamer le retrait syrien depuis 1989, de son intégrité, puisqu’il n’est pas perçu comme un symbole de corruption, et de son discours horizontal, qui n’a jamais fait grand cas des pulsions communautaires. En 1992, Samir Kassir écrivait même dans Le Monde diplomatique que le général restait, de Paris, « le seul homme réellement populaire sur l’ensemble du territoire libanais ». Cependant, et même si Aoun rejette toute étiquette communautaire qui serait pour lui forcément réductrice compte tenu de ses aspirations et de sa popularité réelle, force est de constater que la victoire du CPL au Metn, au Kesrouan-Jbeil et à Zahlé, ainsi que les scores importants réalisés à Baabda-Aley, comportent un paramètre communautaire. En votant de la sorte, l’électorat chrétien n’a fait que réagir à la politique des blocs communautaires nés des deux derniers tours de scrutin (et tout droits issus de la loi de 2000), en façonnant son propre bloc influent. Il faut ajouter à cela quinze ans de sentiment de ihbat (frustration) chrétien, à travers une exclusion des forces politiques réellement représentatives (FL, aounistes, Kataëb, PNL) des centres de décisions, et ce alors même que toutes les autres forces politiques (les mêmes qui ont remporté les deux premières journées de scrutin) participaient et profitaient allégrement du pouvoir avec l’aide syrienne. Pourquoi voter Michel Aoun ? Parce qu’il fallait créer un bloc chrétien puissant et indépendant, qui adhère individuellement au pouvoir, sans être tenu de recevoir la bénédiction de Koraytem ou de Moukhtara, ce qui affaiblirait nécessairement sa position au sein du Parlement. C’est ainsi qu’il faut interpréter, en partie, le vote chrétien, même si Michel Aoun, lui, recherche d’autres objectifs, notamment rassembler autour de lui autant de forces politiques possibles hors des sentiers communautaires, pour acquérir, sur le plan de la représentation, la dimension nationale qu’il recherche. Retour vers le passé… La loi de 2000 explique donc, dans une certaine mesure, les résultats de dimanche dernier. Mais le pire serait que la logique hégémonique résultant de cette loi ne se transpose dans les esprits, à travers un discours d’élimination fondé sur le passé. Ainsi, la réaction du chef du PSP, qui a parlé de « guerre civile » au moment où le tsunami aouniste était déjà bien perceptible, est pour le moins dangereuse, tout comme l’est son hommage, lundi, aux « martyrs de la bataille de Souk-el-Gharb ». D’autant que la bataille de Souk-el-Gharb, en 1989, a été menée dans la logique et avec le soutien de Damas pour faire investir le palais de Baabda par l’armée syrienne et mettre fin à la dynamique souverainiste de Aoun. Cette réaction est dangereuse, et quelque peu immature, dans la mesure où elle pourrait provoquer des dérapages et raviver des tensions sectaires pour rien, en raison d’une défaite électorale. Il paraît d’ailleurs bien étrange que les adversaires de Aoun l’accusent de vouloir éliminer ses rivaux au sein de sa communauté, alors qu’ils agissent de même au sein de la leur ; qu’ils lui reprochent de se présenter comme la vraie opposition souverainiste alors qu’elle évoque des batailles du passé menées aux côtés de Damas, qu’ils accusent l’ancien Premier ministre, à juste titre, de s’allier à des symboles prosyriens comme Michel Murr, alors qu’ils font exactement la même chose, en menant campagne avec le Hezbollah et Nabih Berry, clef de voûte du système syrien au Liban. Qu’ils l’accusent enfin d’évoquer le passé, alors qu’ils font exactement pareil. Le problème n’est pas dans la tactique. Ce n’est pas un problème de forme, mais de fond, et il réside dans la loi de 2000, que la coalition opposée à Aoun a laissé passer à la Chambre, « parce qu’il n’y avait rien à faire, parce qu’il fallait que les élections se tiennent à temps coûte que coûte, parce que les Français et les Américains l’imposaient et qu’il n’y avait rien à faire ». Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt. La loi de 2000 est aux antipodes de la symbolique du 14 mars. C’est une erreur, aujourd’hui, pour les forces qui n’ont pas résisté à cette loi destructrice, de mener campagne au nom du 14 mars, mais à l’ombre de cette loi. Les conséquences, s’il n’y pas une prise de conscience rapide, risqueraient d’être terribles. C’est pourquoi le véritable débat de fond ne pourra commencer qu’après le scrutin, à la Chambre. Et c’est là que les vraies alliances politiques, autour des échéances brûlantes qui pointent à l’horizon, se feront et se déferont. Le Liban aura le choix, place de l’Étoile, entre la politique des ghettos et l’amorce d’un grand retour à la démocratie consensuelle. Michel HAJJI GEORGIOU
Ghazi Kanaan, où qu’il se trouve aujourd’hui, doit jubiler. Il a peut-être réussi a posteriori, (mais en assume-t-il réellement la responsabilité cette fois ?) à déstabiliser le Liban à travers « sa » loi électorale de l’an 2000. C’est du moins ce qu’on pourrait penser à première vue, après trois jours de scrutin, notamment au vu des résultats de la bataille du...