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Actualités - CHRONOLOGIE

COMMERCE - Le syndicat appelle l’État à prendre des mesures concrètes pour aider un secteur créateur d’emplois Le raz-de-marée chinois vole de grandes parts de marché aux industriels textiles libanais (photo)

Si l’invasion de produits textiles chinois due à la suppression des quotas, début 2005, a créé une vive inquiétude aux États-Unis et en Europe, elle a été ressentie comme un coup de massue au Liban, où dernièrement 56 usines et ateliers de filature ont fermé leurs portes et plus de 3 000 ouvriers et employés ont été licenciés. Alors qu’il y a quelques années, le textile était encore le premier produit d’exportation du Liban, les 568 fabriques restantes s’inquiètent aujourd’hui de la baisse de leurs ventes à l’étranger. Quelles ont été les conséquences sur le terrain et que peuvent faire les secteurs privé et public face au raz-de-marée chinois ? Depuis qu’en janvier 2005 les quotas sur l’importation de produits textiles ont été supprimés, les professionnels libanais de cette filière se sentent menacés en raison du déferlement sur les marchés mondiaux de produits en provenance du Sud-Est asiatique et notamment de Chine, premier exportateur de vêtements dans le monde. Les produits fabriqués dans ce pays sont en train de s’attaquer au marché local. Selon les estimations du syndicat des industriels textiles, les produits importés de Chine représentaient 80 % du total des importations de produits textiles au cours du premier trimestre 2004, contre 90 % à la même période en 2005. Et cette augmentation ne passe pas inaperçue dans les magasins, où le « Made in China » apparaît sur presque tous les articles de vêtements. Le président du syndicat des industriels textiles, Sleimane Khattar, reconnaît que les produits fabriqués en Chine ont toujours été présents en masse sur le marché libanais. « Mais parallèlement, précise-t-il, l’industrie textile nationale était florissante, si bien que de 1973 à 1997, le textile était toujours en tête des exportations libanaises. » Selon lui, le problème aujourd’hui est que le raz-de-marée chinois est en train de faire perdre aux industriels textiles libanais des parts de marché notamment en Europe. Le total des exportations de produits textiles est passé de 2 146 tonnes au premier trimestre 2004 à 1 962 tonnes à la même période en 2005. La baisse n’est peut-être pas importante en volume, mais ses effets sont très contrariants pour les industriels. Cette situation s’explique par le fait que les producteurs textiles chinois et ceux du monde entier ne travaillent pas dans des conditions égales. Les producteurs nationaux qualifient en effet de déloyale la concurrence pratiquée par le pays le plus peuplé au monde. Les Chinois subventionnent à outrance leur production et leurs exportations textiles et l’État accorde aux industriels des prêts qui ne sont jamais remboursés. Leur monnaie, le yuan, est sous-évaluée de 40 %, d’où les prix de vente incroyablement bas de leurs produits, alors que ce qui est vendu au Liban n’est pas bon marché. Par ailleurs, la main-d’œuvre chinoise est très bon marché. À titre de comparaison, la différence entre le salaire effectif d’un ouvrier chinois et celui d’un Libanais est de 1/5. Hors du circuit visité par des observateurs internationaux, des usines font travailler l’ouvrier chinois pendant 12 heures pour un salaire dérisoire, alors que l’ouvrier libanais coûte 550 dollars à l’usine si l’on compte le transport, les jours de congé, les indemnités de fin de service et l’assurance. Alternatives Les industriels textiles libanais ne s’alarment pas pour autant. Ils sont attachés aux marchés européens et estiment que le secteur dispose d’un potentiel important d’exportation. En vertu de l’accord de partenariat euro-méditerranéen, le Liban était supposé en effet devenir l’un des fournisseurs de textile de l’Europe. Par ailleurs, ils restent convaincus que le secteur peut contribuer à la création d’emplois, « pourvu qu’on lui accorde les facilités nécessaires à son développement ». Pour parvenir à ces deux fins, « l’État doit donc prendre des mesures concrètes et adéquates, en commençant par remédier aux erreurs du passé », selon le syndicat. En 2000, après que les autorités libanaises eurent décidé de réduire de manière drastique et systématique les droits de douanes à l’importation, « de manière contraire aux normes internationales de déréglementation douanière », l’État avait concédé au secteur un droit de douane spécifique de 15 000 livres par kilo, mais cette taxe a été réduite par la suite à 5 000 livres. « Si l’on veut que le Liban ne soit plus un déversoir pour les produits du Sud-Est asiatique, il faut que les autorités compétentes revoient cette taxe à la hausse, notamment pour le prêt-à-porter, sur lequel n’est appliqué aucun droit de douane », insiste M. Khattar. Les industriels appellent également à exclure le textile des accords bilatéraux avec les pays arabes, ou du moins renégocier ces accords qui désavantagent le Liban. « Pourquoi l’Égypte bénéficierait-elle par exemple d’une exemption douanière sur ses exportations de textile vers le Liban sans traitement réciproque ? » s’interroge le syndicaliste. « La deuxième mesure serait de supprimer la TVA sur les matières premières utilisées dans l’industrie textile, d’autant que le Liban en importe la quasi-totalité : 80 % du coton utilisé vient de Syrie, 60 % du tissu est importé d’Inde, du Pakistan ou de Chine, et 80 % du nylon est acheté aux Européens. Avec la TVA, le produit syrien par exemple était devenu 10 % moins cher après janvier 2002, ce qui incite le commerçant libanais à acheter de la marchandise non seulement syrienne mais aussi turque et surtout chinoise », explique le syndicaliste. Autre mesure à prendre : conférer le caractère obligatoire aux normes libanaises. Grâce au programme Elcim, les industriels textiles avaient pu mettre leurs produits au diapason des normes européennes et espèrent que l’application stricte de ces standards peut jouer un rôle dans « l’endiguement » des importations chinoises. Les producteurs demandent également à l’État de se mobiliser auprès de l’Union européenne pour obtenir des subventions dans le cadre d’Euromed, à l’instar des autres pays méditerranéens. « Pourquoi la Tunisie a reçu un don de 632 millions d’euros en soutien à son secteur textile et pas nous ? » s’interrogent-ils. Une autre idée est de mettre au point pour le secteur textile un programme à l’instar d’Export plus, qui a été conçu pour soutenir les exportations agricoles libanaises. Les industriels textiles demandent par ailleurs le gel ou l’annulation de prêts consentis par la Banque européenne d’investissement en 2002 dans le cadre du programme euro-méditerranéen Elcim qui vise à venir en aide aux PME libanaises. La BEI avait accordé des crédits aux usines textiles à raison de deux millions d’euros chacune pour qu’elles s’achètent des machines sophistiquées. Le problème, selon les industriels, est que les autorités libanaises avaient à l’époque accepté des taux d’intérêt très élevés (5,69 %), ce qui fait supporter aux entreprises des dettes dont elles se passeraient volontiers. Le syndicat veut également qu’on réserve à ses industriels un espace à l’aéroport international de Beyrouth, afin de rappeler aux Libanais et aux étrangers la bonne qualité des produits textiles nationaux. C’est à cette fin également qu’ils demandent que des institutions officielles, telles que l’armée, achètent des costumes fabriqués au Liban. Il est bien sûr des problèmes communs à l’ensemble des industries nationales. « Il faut diminuer les frais portuaires », affirme M. Khattar. En raison des coûts au port de Beyrouth, le fil à tisser, qui est vendu à 2,70 dollars sur le marché mondial, devient à 2,85 dollars, ce qui est absurde lorsqu’on sait que la Chine, elle, vend une chemise à 2,70 dollars. Les producteurs évoquent également le coût élevé du transport. Ils affirment qu’acheminer un grand conteneur de l’usine au port de Beyrouth leur coûte 700 dollars, alors qu’en Égypte, le même trajet au port d’Alexandrie coûte 150 dollars. Mobilisation du secteur privé « Les produits textiles libanais sont de qualité, conformes aux normes internationales et ont des débouchés. C’est un secteur qui a été maltraité et doit être dédommagé », affirme le président du syndicat. Les industriels textiles sont toutefois conscients que eux aussi doivent réagir. « Nous devons nous concentrer sur trois axes, qui sont le circuit court, la mode et le haut de gamme », explique M. Khattar. Le circuit court est le marché qui se crée au moment d’événements précis, notamment sportifs. « Il s’agit de percer ces marchés et d’offrir une meilleure qualité que nos concurrents », indique M. Khattar. Suivre la mode peut représenter également un débouché. « Actuellement, les usines nationales réussissent dans le délavage des jeans, une filière qui représente 30 % du marché local. » Le haut de gamme est une alternative qui a déjà fonctionné dans le passé. Depuis 1976, le secteur a fait face au problème de la porosité de la frontière libano-syrienne. Pour affronter la concurrence des produits syriens bon marché ainsi que ceux introduits sur le marché local par la fraude, les industriels ont changé leur ligne de production et fait du haut de gamme, ce qui a fait la différence aux yeux du consommateur. Rana MOUSSAOUI

Si l’invasion de produits textiles chinois due à la suppression des quotas, début 2005, a créé une vive inquiétude aux États-Unis et en Europe, elle a été ressentie comme un coup de massue au Liban, où dernièrement 56 usines et ateliers de filature ont fermé leurs portes et plus de 3 000 ouvriers et employés ont été licenciés. Alors qu’il y a quelques années, le textile...