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Actualités - OPINION

Un virtuose de la résistance culturelle

Longtemps j’ai pris ma plume pour une épée. J-P Sartre Il est difficile de garder le silence envers la mémoire de celui qui fut l’un des premiers à briser le mur du silence de ces années de plomb, de celui qui fut l’un des militants les plus admirés, et sûrement les plus aimés de cette nouvelle guerre d’indépendance, de cette intifida du 14 mars. Il est difficile de garder le silence envers la mémoire de cet intellectuel fermement engagé et qui, comme Sartre, prenait sa plume pour une épée. Samir faisait partie de ceux pour qui tout le monde éprouvait immédiatement de l’affection en raison de sa simplicité, de son naturel, de son humilité, de son caractère extraordinairement humain, de sa personnalité, de son originalité, de sa sincérité avant les autres qualités intellectuelles qui l’ont caractérisé. En ces jours d’infatuation mentale et de bluff quasi généralisés, il était rare de rencontrer des personnes conjuguant toutes ces qualités, qui faisaient de lui un intellectuel à part, difficile à égaler et pratiquement impossible à surpasser. Amoureux fou de la démocratie et de la liberté pour lesquelles il s’est battu et on l’a abattu, ardent défenseur de la cause palestinienne et ennemi déclaré des oligarchies militaires, Samir était animé d’un profond sentiment de mépris envers les régimes sécuritaires de la région qu’il considérait comme étant les principaux responsables de la décadence politique et sociale de leurs pays respectifs. À la manière de Socrate « déshonorant les dieux », ennemi juré des mythes et de la raison d’État, Samir fut un philosophe « dans la Cité », un provocateur, un agitateur, un déranger né, opposant – comme Diogène – son cynisme philosophique au cynisme politique des Princes ayant érigé l’exception en règle et l’assassinat des opposants en méthode de gouvernement. Apôtre de la résistance démocratique contre les États de force armée, Samir était un homme d’une profonde culture, d’une intelligence visionnaire, un penseur profond, un esprit brillant, un militant capable et convaincu, un activiste extraordinairement courageux. Comme tout intellectuel authentiquement engagé, comme tous les héros romantiques, Samir avait un talon d’Achille. Ce talon d’Achille était son extrême audace. Son extrême agressivité. Son mépris absolu des menaces. Son refus de fuir devant le danger. Et ce talon d’Achille venait du fait qu’il considérait la démocratie et la liberté comme incomparablement plus importantes que sa propre personne, sa propre vie, et aussi parce qu’il croyait que la lutte ne s’arrête pas quand les hommes tombent, que la marche de l’histoire vers plus de justice et de liberté ne peut s’arrêter quand les meneurs ou les chefs de file sont assassinés. Virtuose de la résistance intellectuelle, Samir savait que le corps de l’artiste pouvait être agressé, sa main mutilée, sa plume écrasée, mais il savait aussi que l’art de la résistance intellectuelle à laquelle il a consacré toute sa vie et toute son intelligence lui survivrait, qu’une autre main, que d’autres mains se tendraient pour empoigner sa plume ensanglantée. Ceux qui aujourd’hui chantent victoire se trompent. Ceux qui croient que son corps torturé marque la défaite de ses idées ou de ses conceptions se trompent. Ceux qui croient qu’en l’assassinant ils ont tué et définitivement étouffé le désir de démocratie et de liberté se trompent. Le corps physique de Samir a été déchiqueté, mais reste son âme dans toute sa splendeur et sa pureté, son esprit dans toute sa puissance transfigurée, pour nous dire qu’il continuera à veiller sur les songes et les rêves de tous ceux qui l’ont connu et aimé. Pour nous dire surtout que le rêve que ses assassins ont cru tuer se transformera en leur propre cauchemar en cette aube du printemps de la démocratie et de la liberté. Vatcheh NOURBATLIAN Professeur à l’UL Ambassadeur du Liban
Longtemps j’ai pris ma plume pour une épée.
J-P Sartre

Il est difficile de garder le silence envers la mémoire de celui qui fut l’un des premiers à briser le mur du silence de ces années de plomb, de celui qui fut l’un des militants les plus admirés, et sûrement les plus aimés de cette nouvelle guerre d’indépendance, de cette intifida du 14 mars. Il est difficile de garder le...