Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

Abdo Saad : L’électeur musulman est aussi lésé que le chrétien Joumblatt veut couvrir ses arrières en s’assurant des partenaires forts

«C’est la pire élection qu’ait jamais connue le Liban à travers son histoire récente. » Tel est désormais le slogan qu’on entend de la bouche des jeunes notamment, aux quatre coins de la capitale qui fut il y a deux mois le théâtre d’un soulèvement populaire on ne peut plus prometteur. Un avis que partage entièrement Abdo Saad, chercheur et statisticien, pour qui cette élection pose sérieusement le problème de l’éthique politique. L’expert estime que le véritable problème n’est pas uniquement le fait que les chrétiens n’ont pas la possibilité, avec la loi de 2000, d’élire leurs représentants – du moins 40 % d’entre eux –, une déviation qui a été vivement dénoncée par le patriarche maronite. Le scandale majeur, affirme cet expert, est le fait que le processus électoral, dans sa forme comme dans son fond, a été concocté en violation de toute logique démocratique, un reproche que les médias n’ont cessé de refléter depuis quelque temps. Unanimement, ils ont stigmatisé la mascarade électorale au moyen de laquelle 50 % des membres du Parlement sont connus d’avance, une bonne dizaine d’entre eux élus d’office, une aberration qui ne peut plus se justifier après le départ de Syriens qu’on a accusés pendant 20 ans d’avoir dénaturé, voire corrompu la vie politique au Liban. Certes, admet Abdo Saad, le décompte montre bien qu’« au moins 28 députés chrétiens sont élus par des musulmans ». Mais le principe s’applique également à une grande partie de l’électorat musulman dont le choix a été réduit comme peau de chagrin. Par conséquent, dit-il, leurs élus ne seront pas plus représentatifs de la rue mahométane que leurs compatriotes chrétiens, puisqu’ils auront été imposés par le nouvel équilibre de force incarné par les listes préfabriquées et par le phénomène des « bulldozers ». La liste de Beyrouth est assez explicite à cet égard avec 9 députés élus d’office et de grands leaders beyrouthins éliminés comme Tammam Salam, Sélim Hoss. Un Massoud el-Achkar, qui avait obtenu en 2000 une dizaine de milliers de voix à Achrafieh, ne peut même plus rêver de tenter sa chance. Le scénario n’est pas plus enchanteur côté Sud, où le tandem Hezbollah-Amal a éliminé d’office toute voix discordante. D’autres experts affirment qu’il faut voir dans quelle mesure les enjeux politiques sous-jacents sont conformes ou non à ce qu’ils appellent « l’esprit du 14 mars ». Dans ce cas précis, disent-ils, « on pourrait à la limite estimer que le fait que Solange Gemayel soit élue sur la liste haririenne, ou les candidats FL sur la liste joumblattiste, illustre bien cette conception d’unité nationale exprimée sur la place Riad el-Solh ». Certes, ajoutent-ils, cette méthode n’est pas très respectueuse du principe de représentativité des élus, mais elle n’en reste pas moins « un antidote au vote confessionnel ». Ces sources affirment en outre que les accusations portées contre Walid Joumblatt, qu’on a traité « d’hégémonique », ne sont pas tout à fait justifiées. Menacé dans sa personne et dans sa communauté qui – rappelons-le – est minoritaire par excellence, ce dernier a tout simplement « tenté de se trouver un bouclier plus sécurisant et plus substantiel – à savoir un véritable partenariat local-régional ». En ralliant d’une part les sunnites – obtenant par là le soutien de l’Arabie saoudite – et d’autre part les chiites, et leur corollaire iranien, le leader druze s’est concocté un solide soutien mahométan qui s’est exprimé à travers des alliances électorales avec les clans Hariri et Berry. Walid Joumblatt n’a pas tant cherché à écarter les chrétiens – puisqu’il ne s’est pas opposé au caza – qu’à couvrir ses arrières en s’assurant des partenaires forts, affirment ces sources. Certes, la peur d’un raz-de-marée chrétien-druze-sunnite au lendemain de l’intifada de l’indépendance était patente au sein de la communauté chiite qui s’est dépêchée de rejoindre les rangs de « la nouvelle opposition » avant qu’il ne soit trop tard. Le nouveau front musulman qui s’est constitué peut se comprendre en outre à la lumière d’une crainte non avouée de la rue musulmane de voir Taëf remis en question par certaines fractions chrétiennes, « malgré les affirmations contraires », ajoutent ces observateurs. Une appréhension que partageait Rafic Hariri avant sa mort lorsqu’il avait fini par accepter le principe du caza – pour contenter le patriarche – à condition que Taëf ne soit jamais remis en question. Son assassinat – qui a donné lieu à une montée en puissance du camp chrétien – a bouleversé les donnes et pavé la voix à un comportement plus « hégémonique » de la part de ses successeurs dotés du nombre et de puissants moyens matériels. Toutefois, le tableau n’est pas aussi fataliste, insiste Abdo Saad, qui soutient que ceux parmi les chrétiens qui se sentent le plus lésés par cette équation – notamment les aounistes – peuvent remonter la pente dans certaines localités et rafler des sièges par leurs propres moyens, même si le CPL ne parvient pas à une entente avec les haririens et les joumblattistes. C’est le cas pour Baabda-Aley où ce courant a de fortes chances de marquer une victoire notoire si le Hezbollah affiche une position neutre en donnant des voix aux deux listes en présence (CPL-Arslane d’une part, et Joumblatt d’autre part). La bataille sera tout aussi importante à Kesrouan-Jbeil où le CPL pourra facilement faire des percées en s’alliant aux forces locales telles que Farès Boueiz, Nehmetallah Abi Nasr et Mansour el-Bone, ou encore à Zahlé, où les chrétiens sont pratiquement assurés d’avoir 5 élus. Reste la circonscription du Liban-Nord 2 (Tripoli, Zghorta, Koura et Batroun) où le tableau est encore imprécis pour ce qui est de la participation du CPL à l’alliance dite de l’opposition. Des spéculations qui pourraient s’envoler au cas où l’opposition dite plurielle parviendrait à s’entendre avec le CPL sur un seul panier de candidatures qui pourraient lui assurer au moins 80 sièges au total au sein de l’hémicycle. Un scénario idyllique auquel bon nombre de Libanais ont du mal à croire. Dans tous les cas, que ce soit à cause de ses divisions ou à cause d’autres considérations, à l’aube d’une ère nouvelle, ce qu’on appelle le camp chrétien est manifestement en perte de vitesse. Jeanine JALKH
«C’est la pire élection qu’ait jamais connue le Liban à travers son histoire récente. » Tel est désormais le slogan qu’on entend de la bouche des jeunes notamment, aux quatre coins de la capitale qui fut il y a deux mois le théâtre d’un soulèvement populaire on ne peut plus prometteur. Un avis que partage entièrement Abdo Saad, chercheur et statisticien, pour qui...