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Actualités - OPINION

Analyse Loi de 2000 ou de 1960 ? proportionnelle ou majoritaire ? Législatives : une malédiction libanaise

L’intifada de l’indépendance, qui atteignit son point d’orgue le 14 mars dernier, a quasiment tout balayé. Au point de mériter largement le vocable – par ailleurs passablement galvaudé – de « révolution ». Comment en effet ne pas reconnaître le caractère éminemment révolutionnaire d’un mouvement spontané qui a grandement contribué – à côté bien sûr d’un contexte international bienveillant – à la sortie définitive de la Syrie, la chute des principaux patrons sécuritaires du pays et du plus contestable et contesté des procureurs généraux, la formation d’une commission d’enquête internationale sur l’assassinat de Rafic Hariri, l’avènement d’un gouvernement débarrassé pour la première fois du traditionnel quota obligatoire d’éléments organiquement liés à Damas, etc, etc, etc... Pourtant, alors même que ces transformations, aux conséquences historiques évidentes, sont silencieusement (et même trop silencieusement) digérées par les Libanais, il est un domaine de la vie publique à la frontière duquel la « révolution » ne s’est pas contentée de s’arrêter. Elle s’y est carrément métamorphosée en « réaction ». Au-delà d’une actualité qui voit se bousculer les épisodes d’un feuilleton loufoque tournant autour de la loi électorale ; au-delà aussi des points d’interrogation – et même d’exclamation – que cette actualité soulève quant aux prérogatives monstrueuses accordées par Taëf à la présidence de la Chambre, une question se pose : jusqu’à quand va-t-on dénier à ce pays le droit de connaître des élections « normales » ? Quintessence de la démocratie, le principe électif est bafoué partiellement ou totalement dans de nombreux pays, et pas seulement dans ce qu’il est pudiquement convenu d’appeler les États en voie de développement. Mais, si l’on excepte les quelques dictatures musclées qui agrémentent encore en un certain nombre de points la surface du globe – notamment tout près de chez nous –, rares sont les contrées où l’on s’acharne aussi systématiquement et avec autant d’ardeur qu’au Liban à dépouiller des élections législatives de leur signification et de leur portée. Passionnel, prolifique, le débat – ou plutôt le pugilat – qui occupe actuellement la classe politique dans son ensemble se réduit à une dialectique entre la loi électorale en vigueur, c’est-à-dire celle de 2000, et une copie quelque peu tronquée (à Beyrouth) de la législation de 1960. Autant dire entre une absurdité totale et une semi-absurdité. L’air du temps – qui se confond avec le bon vouloir du président de la Chambre – penchait hier et jusqu’à nouvel ordre du côté de la première solution. Et pour cause : risquant gros avec le caza, y compris son cher « perchoir » sur lequel il semble s’être attribué un titre de propriété ad vitam aeternam, Nabih Berry n’hésite pas à prendre en otage le processus électoral dans son ensemble. Et le pays avec. Circonscription unique ou mohafazat à la sauce proportionnelle, tout est bon pour bloquer les découpages électoraux susceptibles de le ramener à sa juste mesure. Ce faisant, M. Berry exploite ses énormes prérogatives pour se livrer à un « syrianisme » sans la Syrie. Depuis la consécration de son emprise sur le Liban, Damas avait en effet pris soin, à chaque consultation électorale, d’empêcher qu’Amal et le Hezbollah n’en viennent à se mesurer « à la loyale ». Pour cela, il fallait toujours qu’en milieu chiite, les circonscriptions fussent suffisamment grandes afin que tout le monde soit agglutiné sur une même liste et qu’en conséquence, on puisse maîtriser le poids de chacun avant même que le scrutin n’ait lieu. Voilà d’ailleurs la raison pour laquelle dans la loi de 2000, la circonscription du Liban-Sud (comprenant les deux mohafazats du Sud et de Nabatiyeh) était de loin la plus gonflée des unités électorales, la Syrie n’y autorisant pas ce qu’ailleurs elle pouvait, à la limite, tolérer. Nabih Berry a voulu donc perpétuer cette situation. Il ne fait pas de doute que pour cela, il a compté principalement sur la tiédeur d’une communauté internationale qu’il avait longtemps fait mine de combattre. Il est parfaitement concevable qu’Américains, Français, Onusiens et autres n’aient nullement le cœur à se laisser prendre au jeu des subtilités du découpage électoral à la libanaise. Ils préfèrent concentrer leur attention sur le respect de la date constitutionnelle des législatives, quitte à fermer plus ou moins les yeux sur les caprices des ciseaux. Par rapport à la loi de 2000, exercice exemplaire de discrimination, d’inégalité et de cynisme, le projet de loi s’inspirant du texte de 1960 (les cazas) a l’avantage de rétablir les grands équilibres communautaires dans le pays. Un nombre bien plus substantiel de députés chrétiens serait élu par des électeurs chrétiens. En soi, ce fait devrait être considéré comme l’aboutissement naturel des derniers développements survenus au Liban, en particulier la fin de l’hégémonie syrienne. Toutefois, si ce découpage est nettement moins injuste que l’autre, il n’empêche que, pour un pays qui ambitionne de réformer ses institutions, les deux formules pèchent par le même défaut, celui de relever d’un mode électoral totalement obsolète, sous-développé et techniquement discutable, et qui plus est quasiment inexistant en 2005 sur toute la planète. Ce constat, les ardents partisans de la proportionnelle se font un plaisir de le délivrer à tout bout de champ. Sauf qu’avec ce qu’ils proposent, le Liban est loin d’être « sorti de l’auberge » (que l’on pardonne l’expression familière). Car enfin, qui sont-ils ces gens-là ? Soit des hypocrites qui savent bien que la proportionnelle est – pour longtemps encore – inapplicable dans ce pays et ne la soulèvent que pour bloquer le débat et revenir à une formule du genre 2000, soit des théoriciens dogmatiques qui ne daignent absolument pas se pencher sur la réalité libanaise. Il reste un système, un seul, qui soit à la fois viable et conforme du point de vue démocratique. Un système que l’on continue à combattre sournoisement. Non pas, comme on le prétend, parce qu’il consacre la réalité confessionnelle, qui n’en a d’ailleurs nul besoin, mais bien plutôt parce qu’il est de nature à accorder davantage de poids au député de base et nettement moins au chef de file. Et par conséquent à s’attaquer efficacement au grand clientélisme qui, quoi qu’on dise, demeure le principal obstacle au développement de la démocratie libanaise. La majoritaire uninominale (une circonscription, un siège) est, pour ne citer que trois cas, en vigueur aux États-Unis, en France et en Grande-Bretagne. Faudra-t-il davantage pour en faire la promotion ? Certes, si on tient à ce que le prochain scrutin se déroule dans les délais prévus, il est trop tard pour envisager pareil bouleversement dans les habitudes électorales. Il ne sera en revanche jamais trop tard pour réfléchir aux moyens de combattre ce mal spécifiquement libanais qui, depuis que ce pays existe, a fait en sorte que les élections n’y ont jamais été de vraies... élections. Élie FAYAD

L’intifada de l’indépendance, qui atteignit son point d’orgue le 14 mars dernier, a quasiment tout balayé. Au point de mériter largement le vocable – par ailleurs passablement galvaudé – de « révolution ».
Comment en effet ne pas reconnaître le caractère éminemment révolutionnaire d’un mouvement spontané qui a grandement contribué – à côté bien sûr...