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La culture du génocide

Du génocide arménien de 1915 aux nettoyages ethniques de l’ex-Yougoslavie des années 1995, en passant par les camps de la Shoah, les purges massives en URSS, en Chine ou au Cambodge, le massacre des Ibgos au Biafra ou des tribus noires au Sud-Soudan, les progroms du Timor-Oriental et des Arméniens de Bakou, ou les génocides rwandais et burundais, la haine de l’autre et la culture du génocide sont parvenus à exterminer, le siècle dernier, plus de personnes que toutes les guerres réunies. L’instrumentalisation du Dieu « tout miséricordieux » au service des « guerres saintes » apparaît comme le premier symptôme de la culture névrotique du génocide élaborée par le cerveau reptilien de l’homme, ses pulsions d’agression ou de destruction bestiales, son instinct de domination territoriale. Victimes du fantasme de la toute-puissance infantile, du syndrome narcissique du « peuple élu » et de cette culture de la haine, les fidèles des différentes « religions révélées » se révèlent ainsi, à l’occasion, capables des pires violences physiques ou symboliques. Avec le siècle des « Lumières », l’humanité croit avoir enfin vaincu les « ténèbres » des intégrismes et des fanatismes, des guerres de religion et d’extermination. Cependant, les nouveaux « peuples élus » se rendent vite compte que si autrefois pour massacrer l’autre, le différent, l’infidèle, l’hérétique, l’étranger ou la victime émissaire, ils avaient besoin des « commandements » de Dieu, ils peuvent dorénavant s’appuyer sur les trouvailles des sciences naturelles, le darwinisme social et politique, ou le mythe de leur supériorité civilisationnelle pour légitimer leur délire homicide ou conforter leur identité meurtrière. C’est ainsi que dans les temps modernes et parallèlement au renforcement continu de l’État-nation, s’installent à partir de 1871, dans l’inconscient collectif des masses dépolitisées et suridéologisées et sous les auspices du chancelier prussien Bismarck, le chauvinisme impérialiste et la raison militariste d’État. Et ce dans le cadre du pangermanisme qui laïcise sur la théorie du peuple élu, et fonde sa politique de conquêtes territoriales sur la théorie de l’espace vital, nouvel avatar eschatologique du mythe de la « terre promise ». L’idéologie du génocide arménien Si les élites du Renouveau arménien du XIXe siècle se nourrissent des idéaux de justice, de liberté et de fraternité de la Révolution française, les « pachas » et autres « éfendis » du Comité Union et Progrès (1908-1918) trouvent leur source d’inspiration dans le chauvinisme unioniste, progressiste, militariste, impérialiste et expansionniste de Bismarck. Ainsi arrive l’idéologie du génocide arménien telle que formulée par le théoricien du CUP Ziya Gok Alp. Ainsi s’installe le pantouranisme, pendant « turquiste » du pangermanisme bismarckien, avec son nouveau « peuple élu » turc et sa nouvelle « terre promise » s’étendant des îles de la mer Égée jusqu’aux steppes de l’Asie centrale, englobant dans son sein toutes les populations d’origine touranienne et broyant sur son passage toutes les nations allogènes « inassimilables » par la grande race turque. Ainsi se met en marche dans la foulée de cette idéologie raciste et cannibale et dans le cadre d’un plan d’État minutieusement programmé et méticuleusement exécuté le génocide arménien que Moussa Prince appellera l’arménocide. Ainsi arrive la « solution finale » de la Question arménienne avec, au final, l’extermination sur leur terre multimillénaire, sur les chemins de la déportation ou dans les déserts de Syrie et de Mésopotamie, de plus d’un million et demi de personnes froidement assassinées par « le plus froid des monstres froids » : la machine à génocide turque. La culture du négationnisme Témoins impuissants de cette tragédie inconcevable que les Alliés qualifieront de « crime contre », des ambassadeurs comme Morgenthau (auteur de Mémoires qui parlent de « l’extermination de la race arménienne »), des historiens comme Toynbee (auteur de Armenian atrocities : Murder of a Nation), des consuls comme Leslie Davis (qui dans son livre The Slaughter Province compare les vilayets arméniens à des provinces-abattoirs), des missionnaires comme James Barton ou William Rockwell (dont les écoles, les orphelinats et les hôpitaux balisent les provinces arméniennes) ou des correspondants comme Paul Chappell (dont les témoignages fleurissent dans le New York Times) dénoncent avec véhémence cette extermination de masse que le Polonais Raphaël Lemkin désignera plus tard sous le terme de « génocide ». Pourtant, loin de reconnaître ce crime imprescriptible contre l’humanité, les autorités de la nouvelle Turquie se réfugient, après quelques simulacres de procès de responsables CUP, dans les sous-sols de l’amnésie et les tranchées du négationnisme. Ainsi arrivent le déni de mémoire, le déni de l’histoire, le déni de la réalité, le déni de responsabilité, la manipulation des archives, et la réécriture de l’histoire qui laissent et laisseront les portes grandes ouvertes aux futurs génocides. Cette quête systématique de l’impunité et cette logique schizophrène de la négation inspireront ainsi, quelques décades plus tard, le sauveur psychopathe de la « race aryenne » Adolf Hitler qui, avant de déclencher sa propre « solution finale » pour régler le « problème des juifs », déclarera avec cynisme : « Qui se souvient aujourd’hui du massacre des Arméniens ? » Le temps de la reconnaissance Quatre-vingt-dix ans après le génocide impuni des Arméniens, il apparaît clairement que la Turquie se doit de regarder l’histoire en face, et reconnaître sa responsabilité dans ce que les historiens considèrent être le premier génocide du vingtième siècle. Si évidemment elle veut se réconcilier avec sa mémoire, avec l’Arménie et le Haut Karabakh qu’elle menace toujours de son blocus, avec l’Union européenne à laquelle elle aspire et la communauté internationale à laquelle elle appartient. Reste que le temps de la mystification ou du mensonge turcs et la vague des indignations outrées et vertueuses de la part de la Communauté européenne et internationale sont largement dépassés et que les Arméniens attendent, au seuil du troisième millénaire, que justice soit enfin rendue à la mémoire de leurs martyrs. Dr Vatcheh NOURBATLIAN Docteur d’État en philosophie et sciences humaines Professeur à l’UL et à l’Usek Ambassadeur du Liban
Du génocide arménien de 1915 aux nettoyages ethniques de l’ex-Yougoslavie des années 1995, en passant par les camps de la Shoah, les purges massives en URSS, en Chine ou au Cambodge, le massacre des Ibgos au Biafra ou des tribus noires au Sud-Soudan, les progroms du Timor-Oriental et des Arméniens de Bakou, ou les génocides rwandais et burundais, la haine de l’autre et la culture du...