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Actualités - OPINION

En Dents De Scie Une hirondelle (ne) fait (pas) le printemps

Quinzième semaine de 2005 (J+62). Adnane Kassar aurait été une très belle surprise ; Abdel Rahim Mrad une inacceptable agression. C’est Négib Mikati. C’est attendrissant, c’est presque beau, un homme qui touche enfin son rêve, après tellement de faux espoirs, tellement d’attentes déçues, tellement de poings serrés parce qu’à chaque fois cela avortait ; c’est attendrissant, c’est presque beau, un homme qui choisit de ne pas bouder son plaisir, de sourire de tous ses pores devant, sans doute, des millions de téléspectateurs, de montrer comment et combien il en veut. C’est attendrissant, c’est presque beau, un Premier ministre désigné, qui annonce haut et fort, en anti-Karamé absolu, qu’il n’hésitera pas à sacrifier tout son week-end pour aller vite et rattraper le temps perdu, qu’il retroussera dès ce matin ses manches, qu’il commencera dès aujourd’hui, et jusqu’à dimanche soir, ses consultations parlementaires ; c’est attendrissant, c’est presque beau, un homme qui déclare solennellement vouloir redonner l’exclusivité aux institutions, un homme réellement persuadé, convaincu, qu’il va former le premier gouvernement non préfabriqué depuis des lustres. C’est attendrissant, c’est presque beau, un homme qui découvre, heureux comme un Grand Poucet de presque deux mètres, que le pays qu’il va contribuer à diriger vient de se réconcilier, même très timidement encore, avec la démocratie, avec la saine émulation politique ; c’est attendrissant, c’est presque beau, un homme qui s’émerveille, comme si cela tenait du sortilège, de la féerie, du très faible écart de voix entre lui et son concurrent. C’est attendrissant, c’est presque beau, un PM désigné pour en principe pas plus de deux mois et qui parle comme s’il ne quitterait pas le Sérail avant des décennies ; un homme visiblement dénué de tout complexe, 62 jours après l’assassinat de l’homme aux semelles d’or, l’homme qui écrasait politiquement, irrémédiablement, tous ses coreligionnaires et rivaux, 62 jours après que le peuple libanais eut exhibé sa phénoménale suprématie, 62 jours pendant lesquels les institutions dégénéraient un peu plus chaque jour ; c’est attendrissant, c’est presque beau, un homme qui crache d’un seul jet, sans peur et sans reproche, ses trois priorités, en harmonie cette fois avec celles de tout un peuple. C’est attendrissant, c’est presque beau, de se rendre compte que cet ambigu, ce drôle de prosyrien, prosyrien si peu orthodoxe, a été catapulté au Sérail grâce et uniquement grâce aux voix d’une opposition nationale plurielle à laquelle ce Tripolitain littéralement transfiguré par sa nomination n’a pas manqué, à cinq reprises, de rendre hommage ; c’est attendrissant, c’est presque beau, de se rendre compte, après ce qui a ressemblé à des siècles d’immobilisme, de castrisme presque, qu’une nouvelle majorité, même hybride, même fragile, a commencé à se dessiner à la Chambre, comme l’augure de belles aurores pour une loi électorale basée sur le caza. C’est attendrissant, c’est presque beau, de voir une opposition nationale plurielle agir, cesser de se contenter de réagir, devenir déterminante, motrice, véritablement actante, afficher une magistrale fermeté (le PM désigné perdra plus de 40 voix s’il ne tient pas ses promesses) et une somptueuse solidarité, à l’image de la présence à Baabda hier de ses courageux adversaires électoraux, qu’il s’est employé à détruire très peu démocratiquement en 2000. Ils ne l’ont pas nommé, lui qui, heureux comme Ulysse, n’a pas semblé craindre une seule seconde d’intégrer un Sérail où trône, dans chaque coin, dans chaque recoin, le titanesque fantôme de Rafic Hariri. C’est attendrissant, c’est presque beau, de voir que ce Grand Poucet de Tripoli ne perd pas, dans l’ivresse de son bonheur et de son enthousiasme, son Nord ; de voir que son premier geste, éminemment politique, a été de se recueillir sur la tombe de son prédécesseur, accompagné du mufti de la République. Avant d’aller baiser, devant les caméras de télévision, la main de sa vieille mère. C’est attendrissant, c’est presque beau, d’apercevoir, au travers de la nomination de cet ami intime de Bachar el-Assad, s’entrouvrir, même à peine, de délicieux horizons. Le PM désigné s’est engagé à appliquer à la lettre le cahier des charges d’une opposition qui a répété mille et une fois sa volonté d’établir d’excellentes relations de bon voisinage avec la Syrie : faut-il y voir la détermination du président syrien, à travers Négib Mikati, d’en finir avec tout ce qui est pestiféré, de rassurer Ryad mais aussi Paris, de calmer Washington, de lancer un gage de bonne foi au peuple libanais et à la communauté internationale, de sauver ce qui lui reste à sauver chez lui, en anéantissant ici les résidus du système tutélaire sécuritaro-militaro-policier, en mettant un terme aux basses œuvres des services mixtes qui se sont jetés à corps perdu dans la nomination de Abdel Rahim Mrad ? Faut-il voir en Négib Mikati (le premier, en juillet 2000, avant Walid Joumblatt, avant les députés de Kornet Chehwane, à avoir appelé au rééquilibrage des relations libano-syriennes) le rédempteur de Bachar el-Assad, à quelque deux mois du congrès du Baas syrien ? Tout cela est attendrissant, presque beau, mais insuffisant. Évidemment et carrément insuffisant. Négib Mikati, bouillonnant de bonheur et d’enthousiasme, a certes créé, immédiatement, au niveau national, même si c’est indépendant de sa personne, l’espoir. Rachitique espoir, mais extrêmement bienvenu. Même s’il n’a pas manqué, de Baabda, d’inviter tout le monde à jeter au feu ses intérêts personnels – Émile Lahoud et, surtout, Nabih Berry, ont-ils seulement entendu ? –, le PM désigné, s’il est sincèrement déterminé, après le Rafic Hariri bâtisseur, à devenir le Négib Mikati nettoyeur, ne peut pas oublier qu’il n’a que quelques jours pour réussir ses écrasants travaux d’Hercule ou bien s’en aller cultiver son jardin tripolitain. Parce que ce qui attend Négib Mikati est effectivement, simplement herculéen. Surtout que Nayla Moawad et Misbah el-Ahdab savent de quoi ils parlent lorsqu’ils affirment qu’il est difficile de faire confiance au PM désigné, que celui-ci n’a jamais tenu ses engagements, souvent confondu le ministère des Travaux publics avec un QG électoral. Ainsi, Négib Mikati doit : assurer des législatives en mai et pas plus tard, sur la base du caza, sous observation internationale, et idéalement en un seul jour ; suspendre ou révoquer les patrons des services de sécurité et le procureur général ; se mettre au service de la commission d’enquête onusienne pour faire toute la lumière sur l’assassinat de son illustre prédécesseur ; résister à l’irrépressible envie (ou besoin) de se présenter à l’échéance électorale ; préparer, ébaucher un budget ; trouver un électrochoc salutaire à l’infarctus économico-financier ; sauver la saison touristique ; installer les fondements de deux ambassades à Beyrouth et à Damas ; mettre en marche le vrai printemps du Liban. S’il réussit, Négib Mikati n’aura pas seulement contribué à faire en sorte que le sang de Rafic Hariri n’ait pas été versé pour rien. Il gagnera une amicale (et substantielle) OPA sur la communauté sunnite. Il confortera l’unité nationale. Il redonnera de la crédibilité à la présidence du Conseil. Le seul problème, c’est qu’il y en a deux autres. De présidences. Ziyad MAKHOUL
Quinzième semaine de 2005 (J+62).
Adnane Kassar aurait été une très belle surprise ; Abdel Rahim Mrad une inacceptable agression. C’est Négib Mikati.
C’est attendrissant, c’est presque beau, un homme qui touche enfin son rêve, après tellement de faux espoirs, tellement d’attentes déçues, tellement de poings serrés parce qu’à chaque fois cela avortait ; c’est...