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Actualités - OPINION

Le noir du deuil

Le noir du deuil, oui, rien moins que le noir que porte Bahia Hariri, n’est seyant en ce jour de commémoration de la guerre, où nous portons le deuil des 150 000 morts de notre barbarie. Cela va être difficile, un monument aux victimes de la guerre à la fois aussi beau que le repentir, aussi laid que le crime et aussi douloureux que les souvenirs. Les souvenirs des fleurs piétinées et massacrées, printemps après printemps ; des innocents rangés contre un mur, mis en joue et mitraillés ; des vivants traînés derrière les jeeps ou jetés dans des concasseurs ; des cadavres mutilés ; des otages enchaînés comme des bêtes ; des otages égorgés ou abattus ; des hommes torturés, des jeunes filles violées ; des hommes et des femmes déchiquetés et carbonisés devant les boulangeries. Mais pour construire l’avenir, le souvenir de ces morts est un ciment. Certes, certains ont pris le fusil par idéal. Mais certains d’entre eux l’ont vite jeté, dégoûtés de se voir aux premières lignes, pendant que leurs camarades pillaient et s’enrichissaient. Aujourd’hui, le mal a été fait. Pour construire l’avenir, et en dépit de la noblesse de tant de sacrifices, le souvenir de la guerre des autres sur notre sol, avec la complicité active de beaucoup d’entre nous, de notre voisin de palier à l’homme assis à côté de nous au cinéma ou au café, avec la complicité de nos instincts les plus homicides, de nos pulsions les plus morbides et les plus inconscientes, ne doit plus jamais nous quitter. Jamais. Nous ne devrons jamais oublier que nous nous sommes faits les instruments de cette folie homicide, que nous nous sommes faits les instruments, les bourreaux-victimes de ceux qui ont cyniquement planifié ces massacres qui jalonnent les années d’une guerre dévoyée, criminalisée, régulièrement rallumée et prolongée. Oui, en ce jour solennel, c’est la couleur du deuil qui sied le mieux, c’est la couleur du Liban endeuillé par le souvenir des 150 000 morts qu’il faut porter. Pourtant, il nous est resté, ce Liban au nom duquel nous nous sommes massacrés. Et s’il nous est resté, c’est parce que c’était nous, notre désir de vivre ensemble, qui l’avait fait. Oui, malgré les deuils, dans le gouffre noir de l’horreur absolue, l’or de la convivialité a continué à briller. C’est elle notre trésor, c’est à partir d’elle que nous devons reconstruire nos institutions et recomposer notre tissu social. Il faut à tout prix empêcher nos divisions politiques de contaminer la convivialité. Et il faut, à partir de cette convivialité, reconstruire nos institutions dans le souci de la protéger, de la nourrir et de lui permettre de s’épanouir en cette véritable culture de la paix, de la tolérance, du respect et de l’acceptation de l’autre, dont Rafic Hariri semblait être le dépositaire auprès de sa communauté. Nous sommes un petit, un très petit pays. Mais c’est ce que nous avons de mieux à offrir au monde. C’est, si l’on veut, notre spécialité culturelle. Pour peu qu’on en soit convaincu et qu’on en prenne les moyens. Parlons déconfessionnalisation politique, mais sachons de quoi on parle. L’abolition du confessionnalisme que nous avons choisie ne doit pas entrer en conflit avec ce principe fondateur du Liban qu’est la convivalité. En cas de conflit, c’est sans hésitation la convivialité qu’il faudra choisir, comme l’a si bien compris le patriarche Sfeir, lors de la querelle sur le mariage civil. Entre le principe, qu’il approuve, et la fraternité communautaire, c’est cette dernière qu’il a choisie. La Constitution le dit aussi, qui prive de légitimité tout ce qui menace ou contredit la convivialité. C’est elle le Liban, la liberté, l’identité, le passé et l’avenir. Elle la longueur, la largeur, la hauteur et la profondeur du Liban. Fady NOUN
Le noir du deuil, oui, rien moins que le noir que porte Bahia Hariri, n’est seyant en ce jour de commémoration de la guerre, où nous portons le deuil des 150 000 morts de notre barbarie.
Cela va être difficile, un monument aux victimes de la guerre à la fois aussi beau que le repentir, aussi laid que le crime et aussi douloureux que les souvenirs. Les souvenirs des fleurs...