Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Peut-on encore descendre plus bas ?

Par Antoine Messarra La situation au Liban atteint aujourd’hui son paroxysme de pourrissement, à travers un réseau libano-syrien de subordination et de services de renseignements, au point que la radicalisation des positions pour la défense de l’indépendance est devenue impérative et urgente. Une personnalité proche du président Hariri me rapportait, il y a quelques mois, en une langue arabe plus évocatrice : « On est descendu si bas, qu’il n’y a pas plus bas en-dessous. » (Mâ fî tahtina taht). On peut relever dix pratiques qui ont bafoué les fondements du principe de légalité : 1. La « juridification » (qawnana). On lit dans le Journal officiel des lois et décrets en se demandant en faveur de qui le texte a été fabriqué, à la mesure d’individus et de catégories limitées de gens. Dans une conversation entre un ingénieur civil et un homme politique à propos d’une infraction dans des plans d’urbanisme, le politicien répond : On va la juridifier (nu-qawninha), c’est-à-dire on produira un texte qui la rendra légale. Il résulte de la légalisation formelle une inflation juridique aux dépens des principes de cohérence, de sécurité juridique et d’égalité devant la loi. 2. Les lois sous-table (tamrîr). Chaque année la loi du budget est assortie de « lois variées » sans rapport direct avec la fiscalité, les finances et l’argent public et en infraction avec les principes élémentaires de la légistique ou science de rédaction des lois. Des lois sous-table, sans exposés des motifs, et pour lesquelles on voudrait éviter un débat public et parlementaire, sont publiées dans le cadre de textes dont l’intitulé général ne correspond pas au contenu. Le texte « passe » sans débat et même à l’insu de ceux qui sont sensés le discuter. 3. L’épuration administrative (tathîr). Des gouvernants exploitent la symbolique de la loi pour lancer périodiquement des campagnes d’épuration administrative à l’encontre de fonctionnaires indociles aux injonctions du pouvoir ou promoteurs de grandes initiatives et particulièrement efficaces. Des fonctionnaires « épurés » ont gagné leurs recours devant le Conseil d’État. D’autres, épurés et mis en disponibilité, continuent à toucher leur salaire mensuel depuis des années sans effectuer aucun travail, ce qui constitue une dilapidation de l’argent public sous le couvert de la réforme. Après des opérations d’épuration, j’ai rencontré des fonctionnaires qui, dans des occasions sociales, ont honte de se présenter en tant que fonctionnaires dans telle ou telle administration… Comment peut-on recruter des cadres d’une haute éthique pour le service public quand des gouvernants nuisent à l’image de la fonction publique ? On rapporte que, dans les années 60, on informe le président Chéhab qu’un haut fonctionnaire des douanes est accusé de corruption. Le président Chéhab met en garde contre toute diffamation afin de ne pas nuire à l’image du service public et des mesures sont prises sans scandale. Les épurations ont propagé la perception qu’il s’agit d’un exutoire occasionnel pour améliorer l’image du pouvoir à travers la diffamation des agents du service public. Ces agissements ont nui à l’image sociale de la fonction publique. Deux mois après chaque épuration, le train-train administratif reprend son cours naturel. 4. Dossiers mi-ouverts, mi-fermés. La politique des dossiers mi-ouverts, mi-fermés et les menaces de réouverture ont nui à la crédibilité du pouvoir et de la magistrature. Des dossiers sont mi-ouverts, mi-fermés, pour un ancien président de la République, un ancien chef de gouvernement, un ministre ou un leader, ancien ou actuel… pour des considérations politiques et suivant les conjonctures. 5. Dossiers ouverts en permanence. Mais il y a aussi des dossiers ouverts en permanence parce qu’ils sont source de dilapidation de fonds et de clientélisme : déplacés, Électricité du Liban, diverses Caisses pour le Sud et ailleurs… 6. Sophisme juridique. Dans nombre de cas, la loi est devenue un alibi pour se venger d’un rival politique, notamment en ce qui concerne la MTV pour la simple diffusion de publicités électorales, et dans le cas des élections partielles du Metn-Nord où l’élection d’un candidat ayant obtenu la majorité des suffrages est invalidée parce qu’il ne s’était pas conformé à une procédure administrative. Le « peuple est-il la source de tous les pouvoirs », comme le stipule la Constitution libanaise ? Bassem el-Jisr relève dans le cas de la MTV que « les sentences judiciaires sont rendues au nom du peuple libanais ». Il faut ajouter que les sentences sont aussi rendues au Palais de justice, et non au Palais de la « loi ». On a pollué « l’esprit des lois » dans un pays qui comprend pourtant plusieurs facultés de droit. La symbolique de la loi sert d’alibi pour saboter la marche d’une affaire et non comme moyen de régulation. Est-il concevable qu’une institution autonome reçoive une liste de quatre pages concernant les titres de textes dits réglementaires qu’elle devra élaborer pour qu’elle puisse enfin démarrer ? Tel est l’état de la « loi », celle de la répression, de la discrimination, du sabotage, de la vengeance politique et de l’inflation juridique sous le couvert de l’organisation et aux dépens de l’État de droit. 7. Rupture de la hiérarchie de l’ordre juridique. Souvent, des fonctionnaires appliquent une circulaire administrative contraire à un texte de loi dont ils ignorent l’existence ou dont ils connaissent fort bien l’existence, mais se prévalent de la circulaire. On bien un ministre de l’Éducation forme par arrêté une commission pour la révision de tout un programme approuvé à l’unanimité par décret en Conseil des ministres et qui est le fruit de plus de trois ans de labeur. Dans les administrations publiques, chaque service dans un mohafazat applique les lois en vertu d’interprétations divergentes et discrétionnaires, ce qui ouvre la brèche pour une corruption légalisée, les jurisprudences administratives intérieures n’étant pas rassemblées, mises à la disposition des agents publics et diffusées. 8. Institutions sans leadership. La devise : « État des lois et des institutions » a été lancée aux dépens du leadership, alors que l’institution implique trois composantes : le projet, l’organisation qui assure le fonctionnement et la continuité, et le leadership. Sans leadership capable de porter le projet et de dynamiser le fonctionnement, l’institution devient un squelette sans âme et une bureaucratie qui s’active en faveur de son propre personnel. Des campagnes de diffamation ont été menées contre de hauts cadres qui jouissent de la confiance générale et d’une forte aptitude d’initiative et d’innovation. 9. La transformation de l’entente nationale en compromission interélite. L’une des dérives d’un modèle consensuel fondé sur le partage du pouvoir et l’accommodement est la transformation de l’entente nationale en connivence et compromission entre des présidents et politiciens au sommet. La règle de droit est de la sorte bafouée au nom d’une entente (wifâq) qui n’a rien de national. 10. La violation de la Constitution par ceux qui ont la charge de la respecter. Le nouvel article 49 amendé de la Constitution libanaise stipule : « Le président de la République est le chef de l’État et le symbole de l’unité du pays. Il veille (yashar) au respect de la Constitution… » Ainsi, en vertu de l’accord d’entente nationale dit de Taëf, le président de la République est « moralement » un Conseil constitutionnel avant le Conseil constitutionnel. En outre, le niveau de confiance dans le Conseil constitutionnel est si bas que des députés rédigent un recours en invalidation d’un amendement constitutionnel, mais évitent la saisine du Conseil. C’est la pire situation qui puisse advenir au corps judiciaire, frappé au cœur de son image sociale et pour des considérations politiques. * * * Le Liban officiel est aujourd’hui un pays hors la loi, sur les plans interne et international, sous le couvert de slogans – complètement dévoilés et dénudés – d’« unité » du Liban, d’« entente » dite nationale, de « paix civile » soi-disant menacée et de rapports libano-syriens qui n’ont en pratique rien de « stratégique » suivant les normes internationales. Tout un programme : restaurer le principe de légalité.

Par Antoine Messarra

La situation au Liban atteint aujourd’hui son paroxysme de pourrissement, à travers un réseau libano-syrien de subordination et de services de renseignements, au point que la radicalisation des positions pour la défense de l’indépendance est devenue impérative et urgente.
Une personnalité proche du président Hariri me rapportait, il y a quelques mois, en une...