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Actualités - ANALYSE

perspective Baabda et Damas appelés à tirer les conclusions de la fronde populaire qui a suivi l’assassinat de Hariri

L’heure a sonné de crever l’abcès dans les rapports avec la Syrie «Qui sème le vent récolte la tempête ». Ce dicton populaire semble avoir été spécialement énoncé pour illustrer l’état actuel des relations libano-syriennes. Et il est venu sans doute à l’esprit de nombre d’observateurs suite à la fronde populaire sans précédent déclenchée par l’attentat sauvage qui a coûté la vie au président martyr Rafic Hariri, à ses compagnons et à plusieurs citoyens. Les virulents slogans antisyriens lancés mercredi dernier dans plusieurs quartiers de la capitale et dans diverses régions du pays, ainsi que les tabassages dont ont été la cible certains ouvriers syriens à Saïda et au Nord sont, certes, à inscrire au compte des réactions impulsives de colère au lendemain de l’odieux assassinat de l’ancien Premier ministre. Mais les invectives contre les dirigeants syriens et les appels au retrait des troupes de Damas repris en chœur par les centaines de milliers de personnes à Koraytem, Verdun, Basta et Béchara el-Khoury, le jour des obsèques, en disent long sur le profond malaise provoqué (depuis très longtemps, d’ailleurs) par le comportement de la Syrie au Liban. « Pourquoi avez-vous laissé le peuple libanais en arriver à haïr la Syrie ? » a lancé Walid Joumblatt jeudi dernier, s’adressant au pouvoir syrien. Une question qui va droit au but et qui résume à elle seule l’ampleur de la crise qui marque nos relations avec Damas. Une crise qui revêt une double dimension : conjoncturelle, en rapport avec la guerre libanaise ; et historique, qui s’était déjà manifestée dans les années 50 et qui puise ses racines dans la création du Grand Liban, en 1920. Les dirigeants qui se sont succédé au pouvoir en Syrie depuis 1920, et plus particulièrement depuis l’indépendance, en 1943, ont constamment adopté une attitude réservée à l’égard de la formation de l’entité libanaise. Tout le monde se souvient de la formule malheureuse du défunt Hafez el-Assad qui soutenait la thèse d’« un seul peuple dans deux États ». Cette réticence à accepter une fois pour toutes l’existence d’un Liban souverain et indépendant, à accepter la pérennité d’une entité libanaise semble marquer en filigrane l’attitude des dirigeants syriens jusqu’à ce jour. Comment expliquer autrement que le président Bachar el-Assad oppose une fin de non-recevoir à la proposition d’établissement de relations diplomatiques bilatérales ? Comment expliquer aussi qu’aucun tracé officiel de frontières n’existe encore entre les deux pays, ce qui a provoqué, soit dit en passant, le problème des fermes de Chebaa ? Ce contentieux historique mériterait d’être définitivement clos dans le sillage du séisme politique qui frappe actuellement le pays. Mais dans l’immédiat, c’est essentiellement à la dimension conjoncturelle de la crise de confiance avec Damas qu’il est devenu impératif de s’attaquer sans détour. Il faudra sans doute attendre très longtemps avant de déterminer qui sont les véritables commanditaires de l’opération terroriste du 14 février. Il est même probable que l’on ne le saura jamais. Une semaine après l’attentat, aucune investigation sérieuse n’a encore été entamée. Depuis lundi dernier, les forces de l’ombre ont amplement eu le temps soit de trafiquer, soit purement et simplement d’éliminer les principaux indices matériels sur les lieux du crime. Il reste que quelle que soit l’identité des commanditaires de l’attentat, une réalité s’impose : le contexte politique dans lequel a été perpétré l’assassinat a fait émerger de manière violente et brutale un vaste sentiment de ras-le-bol généralisé au sujet du comportement de la Syrie au Liban. Et le plus significatif dans ce phénomène de fronde populaire est que pour la première fois, il a dépassé le cadre chrétien pour s’étendre ouvertement aux milieux musulmans, plus particulièrement druzes et sunnites. Au plan national, ce qui importe aujourd’hui, c’est ce sentiment populaire, dans l’attente de la détermination – problématique – de l’identité des assassins. Les manifestations de la semaine dernière ont ainsi fait éclater au grand jour la colère et la frustration profonde des Libanais qui n’acceptent plus, toutes communautés et tendances confondues, que leur pays soit traité en « abattoir » au sein duquel les leaders, responsables et cadres politiques qui refusent le diktat sont éliminés les uns après les autres au fil des années. Les centaines de milliers de Libanais, chrétiens et musulmans, qui sont descendus dans la rue mercredi dernier ont crié leur refus de voir leur pays maintenu sous tutelle plus longtemps. Ils ont proclamé haut et fort leur rejet de l’aliénation du pouvoir central et du parrainage syrien imposé au Liban. Cette fronde populaire montre de manière on ne peut plus éclatante que le fait accompli ne peut plus perdurer. Aussi bien le pouvoir syrien que les autorités libanaises se doivent de faire face aux réalités et d’admettre qu’il est devenu impératif, pour sortir le pays de l’impasse, de crever l’abcès et de poser en toute franchise le problème des rapports avec Damas et du comportement du pouvoir syrien au Liban, dans sa double dimension historique et conjoncturelle. Fait significatif : de nombreuses voix ne cessent de s’élever dans les milieux locaux musulmans, exhortant le président Bachar el-Assad à prendre une initiative historique pour redéfinir sur de nouvelles bases les relations avec Beyrouth. Le président Émile Lahoud, de son côté, est confronté, lui aussi, à un double défi tout aussi historique : d’une part, mettre à profit l’immense capital de confiance dont il bénéficie sur les bords du Barada pour donner un nouveau départ aux relations avec la Syrie ; d’autre part, se placer au-dessus de la mêlée et reconnaître qu’il ne lui est plus possible de gouverner avec le seul appui de Hassan Nasrallah, de Michel Murr ou de Assem Kanso. Le régime a perdu sa légitimité populaire chrétienne, druze et sunnite. Les développements des derniers jours sur le terrain l’ont prouvé. « Il n’y a de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre »... Serait-il illusoire d’espérer que ce dicton ne s’appliquera pas à la situation présente et que Baabda et Damas ont compris le message des centaines de milliers de Libanais qui ont crié leur colère dans les rues de Beyrouth dans un sursaut salutaire de dignité nationale ? Michel TOUMA

L’heure a sonné de crever l’abcès
dans les rapports avec la Syrie

«Qui sème le vent récolte la tempête ». Ce dicton populaire semble avoir été spécialement énoncé pour illustrer l’état actuel des relations libano-syriennes. Et il est venu sans doute à l’esprit de nombre d’observateurs suite à la fronde populaire sans précédent déclenchée par...