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Actualités - OPINION

ÉCLaIRAGE - Après l’orange du potiron ukrainien, le vert du cèdre libanais ?

En Ukraine, un élément imprévu a fortement bousté la mobilisation de la marée populaire, à accélérer le triomphe de sa souveraine volonté : la tentative d’empoisonnement, d’assassinat, de Viktor Iouchtchenko. Le 18 septembre 2004, des dizaines d’écrans de télévision ont montré le visage mutilé, souillé, méconnaissable, du candidat à la présidentielle, et en le regardant, les gens ont compris qu’ils devaient défendre leur leader, sinon il risquait d’être tout simplement éliminé. Les cadres du bloc Notre Ukraine de Viktor Iouchtchenko ont commencé à entasser tout ce dont des manifestants peuvent avoir besoin : tentes, appareils de chauffage, sacs de couchage, chaussures chaudes, bonnets, 112 cabinets de toilette, mais aussi drapeaux et écharpes orange. Et les manifestations ont duré 17 jours avant d’aboutir à une décision de la Cour suprême annulant les résultats et permettant un « troisième tour » qui devait apporter la victoire à l’homme incarnant le changement – plus encore : presque la résurrection (1). Il ne faudra juste pas oublier la volonté de la communauté internationale dans sa quasi-totalité – même la voisine Russie de Vladimir Poutine a fini par céder, bon gré mal gré – de seconder l’Ukraine dans sa lutte pour la démocratie, la liberté et le droit. Au Liban, un élément simplement monstrueux, a commencé à rassembler, en une même voix – « Syrie dehors ! » –, et sur une même voie – l’unité nationale indispensable pour en finir avec la tutelle syrienne – trois communautés libanaises majeures, en attendant, sans doute, la quatrième et dernière. Le 14 février 2005, les médias libanais et ceux de l’ensemble de la planète ont raconté l’impensable : le cratère géant, les flammes et le corps sans vie d’un homme ultra-incontournable pour le recouvrement de la souveraineté libanaise, quels que soient la fascination, ou l’agacement, ou l’impatience, ou les critiques, ou les dythirambes qu’il déclenchait : Rafic Hariri. En apprenant la nouvelle, en regardant les images, en lisant les journaux, les Libanais ont compris, en une fulgurante mais indestructible intuition, qu’ils devaient désormais défendre leur pays sinon il risquait d’être tout simplement englouti, vampirisé, ingéré, cloné. Si la réaction sunnite à l’assassinat de Rafic Hariri – à Beyrouth, Tripoli, Denniyé, Saïda, dans la Békaa-Ouest, au Akkar –, pour surprenante qu’elle soit, reste on ne peut plus naturelle, légitime, l’identique élan druzo-chrétien a fait comprendre au monde entier qu’au-delà du maître de Koraytem, c’est le combat en faveur de la résurrection d’un Liban patrie définitive et pays-message que l’on a voulu anéantir. Et si Rafic Hariri avait sa vision, sa conception toute personnelle de la façon dont il fallait lutter, s’il gardait plus ou moins secrets ses propres calculs, il n’en était pas moins une des têtes, peut-être la plus universelle, de cette opposition nationale plurielle aujourd’hui orpheline. Les Libanais le savaient, même s’ils souhaitaient ardemment que « le petit père des pauvres » le dise. Alors, hier, jeunes et vieux, riches et pauvres, militants et (anciens) désabusés, afficionados des Bristol 1, 2, 3 et 4 ou totalement neutres, ils étaient hier près d’un million – oui : un million, à travers tout le pays – à aller non seulement rendre hommage à la mémoire de l’homme, non seulement saluer une certaine idée, une idée certaine du Liban même s’ils n’en partageaient pas le bien-fondé, mais aussi, surtout, à cracher aux yeux du monde leur colère, leurs khalass, leurs ça suffit, leurs enough. Et de Kiev à Beyrouth, de Johannesbourg à Bucarest, la colère, le ras-le-bol qui l’alimente, sont l’indispensable, la nécessaire première étape de l’engagement. Ainsi, plus tard, en soirée, dans la nuit, les SMS – ces géniaux cris de ralliement et de conscience collective du troisième millénaire – ont été envoyés et forwardés par milliers sur les réseaux de téléphonie mobile libanais pour appeler à des rassemblements d’hommes et de femmes, de croix et de tchadors. Les ténors de l’opposition plurielle se réunissent dès ce matin pour oublier la théorie et les mots et étudier, peaufiner, dessiner les moyens concrets d’organiser une mobilisation à durée indéterminée des citoyens. Plus encore : des réunions entre les ténors de l’opposition et les responsables de la communauté internationale vont démarrer dans les toutes prochaines heures. Pourquoi ? Pour aider à délivrer « une nation captive ». Une communauté internationale qui commence elle aussi, il était temps, à sentir le danger, à privilégier le concret. De l’impressionnant Jacques Chirac et de son fidèle Maurice Gourdault-Montagne à Condoleezza Rice et à l’inébranlable William Burns en passant par tous les autres, à commencer par Saoud el-Fayçal, ils ont bougé hier. Des mouvements que l’énergie « millionnaire » des Libanais a certainement dû encourager, et cette énergie doit nécessairement perdurer pour que « le pouvoir et son tuteur cessent de tuer les opposants libanais et qu’ils s’en aillent, à tout jamais », comme le répète depuis trois jours l’ensemble de l’opposition libanaise. Le fantôme de Rafic Hariri est décidément mille fois plus fort que Rafic Hariri lui-même. L’Ukraine a eu son orange potiron, le Liban aura probablement son vert cèdre. Ziyad MAKHOUL (1) in L’Orient-Le Jour du mercredi 16 février 2005, page 9
En Ukraine, un élément imprévu a fortement bousté la mobilisation de la marée populaire, à accélérer le triomphe de sa souveraine volonté : la tentative d’empoisonnement, d’assassinat, de Viktor Iouchtchenko. Le 18 septembre 2004, des dizaines d’écrans de télévision ont montré le visage mutilé, souillé, méconnaissable, du candidat à la présidentielle, et en le regardant,...