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Actualités - OPINION

Du béton avec des larmes ?

Les Libanais seraient-ils donc voués à ne se retrouver avec autant de spontanéité et de sincérité que dans les moments d’émotion intense, de terrible souffrance, de mortelle angoisse tels ceux que nous vivons tous depuis le terrible attentat à la bombe de lundi ? Et jusqu’à quand faudra-t-il continuer de nourrir de martyrs, qu’ils soient simples citoyens ou présidents, une unité nationale voracement avide de sacrifices, trop souvent encline à jouer les dieux Baal ? Premier leader des sunnites, Rafic Hariri ne se posait pas moins en rassembleur ; cette ambition unificatrice placée sous le signe de la modération, le sort aura voulu qu’elle soit pleinement, spectaculairement satisfaite dans la mort, dans ce lâche assassinat qui a heurté toutes les consciences. Le Liban tout entier, hier, aux funérailles du grand disparu ? Il n’est pas abusif de l’affirmer, si énorme est en effet désormais le fossé entre le peuple et ceux qui le gouvernent : entre ceux qui pleurent en Hariri un héros de la nation et ces chantres de la sujétion acharnés à en exclure Hariri. Et qui, dans leur plate médiocrité, leur dégradante servilité et leur incommensurable stupidité, n’auront finalement réussi qu’à s’exclure eux-mêmes, poursuivis par les malédictions des foules. Unis dans un même et dernier salut au grand disparu, on a pu voir par centaines de milliers hier chefs politiques, notables et simples citoyens, hommes, femmes, vieillards et enfants, des files interminables de soutanes et de turbans. On a pu entendre tintements de cloches et prières de muezzins rythmer à l’unisson la dernière promenade de Rafic Hariri dans ce centre-ville de Beyrouth qu’il avait fait renaître de ses cendres et où il repose pour toujours. Pays-message selon la célèbre formule du pape Jean-Paul II, lancée il y a quelques années sur ces mêmes lieux, le Liban, on le voit, reste aussi un pays de symboles. Et les symboles ont continué de parler bien fort, avec notamment cette performance médiatique posthume monopolisant deux jours durant les programmes des télévisions planétaires, avec cet impressionnant afflux de gouvernants étrangers présents aux obsèques d’un homme qui se jouait des frontières, qui sillonnait les continents, un homme parfaitement à l’aise aux côtés des grands de ce monde. Un haut fonctionnaire US venant s’associer au deuil, proclamant sur place « le nouvel élan » pour l’indépendance que va donner l’hécatombe de Aïn Mreyssé puis se rendant au patriarcat maronite qui venait de dénoncer les dictatures meurtrières sévissant encore dans la région, tout cela dans la foulée du rappel de l’ambassadrice US à Damas, c’est évidemment énorme. Particulièrement éloquente cependant aura été la voix de la France, dans laquelle on pouvait déceler d’ailleurs des sanglots à peine maîtrisés. Riche de grandeur humaine en effet, mais aussi d’audace et de détermination politiques, aura été la visite de Jacques Chirac, homme d’amitié, homme de cœur et de courage, messager d’espoir que la foule recueillie à la lueur des bougies sur la tombe de Hariri a spontanément ovationné dans la soirée. Assez, c’est assez, et il n’y a plus de tabou qui tienne : dans leur douleur muette aussi bien que par leurs imprécations, c’est un même et explicite message que les citoyens ont lancé hier au pouvoir et à ses protecteurs syriens. Et à son tour, ce message est un cinglant démenti opposé à tous les oiseaux de malheur qui voient dans le réveil d’un peuple opprimé et durement blessé dans sa chair, dans sa légitime quête d’indépendance et de souveraineté les signes précurseurs d’une nouvelle guerre civile. Les barricades, c’est le pouvoir qui les dresse désormais, qui se retranche derrière elles car il n’y a plus la moindre considération étrangère ou locale susceptible encore de couvrir sa lamentable nudité. Rien ne prouve évidemment que Damas ou alors ses instruments libanais ont fait tuer Rafic Hariri comme le croit ouvertement aujourd’hui la majorité de l’opinion, comme le laissent entendre aussi les puissances occidentales pour lesquelles la présence syrienne dans notre pays est un puissant facteur d’instabilité. La Syrie serait-elle coupable d’ailleurs qu’elle se serait rendu de la sorte un bien mauvais service, tant l’affaire Hariri et ses retombées internationales peuvent en effet lui porter préjudice : surtout quand elle ne trouve rien de mieux pour sa défense que cette incroyable assertion, émise par son ministre de l’Information et d’où il ressort que Hariri est finalement mort parce que du fait des derniers redéploiements, il ne reste plus assez de troupes syriennes au Liban pour y garantir le calme ! Ce qui est extraordinaire cependant, c’est que les choses en sont au point où l’ordre syrien, coupable ou non, se trouve de toute manière rattrapé par un passé bien chargé lequel, à moins de développements radicaux, laisse craindre des tragédies futures. Havre de sécurité et de démocratie à l’ombre de la présence militaire syrienne, à en croire la propagande officielle, le Liban de l’après-guerre est en réalité un pays où l’on peut impunément – et publiquement – menacer de mort des leaders de l’opposition sans que la justice y trouve à redire. C’est un pays où l’on a élargi sans autre forme de procès l’assassin d’un président-élu, où l’on ne s’est jamais soucié de rechercher ceux d’un autre président, où d’autres illustres victimes ont subi le même et choquant oubli, où seul le meurtre du Premier ministre Rachid Karamé a trouvé un épilogue légal, ce qui devrait tout de même donner du cœur à l’ouvrage à l’actuel et pitoyable tenant du titre. Le Liban de la tutelle est un pays où la Cour de justice, dûment saisie du criminel attentat de lundi, n’est finalement qu’un cachot noir où finissent de pourrir les dossiers classés : une tombe, c’est bien, une fois de plus, une fois de trop, le triste cas de le dire. Issa GORAIEB
Les Libanais seraient-ils donc voués à ne se retrouver avec autant de spontanéité et de sincérité que dans les moments d’émotion intense, de terrible souffrance, de mortelle angoisse tels ceux que nous vivons tous depuis le terrible attentat à la bombe de lundi ? Et jusqu’à quand faudra-t-il continuer de nourrir de martyrs, qu’ils soient simples citoyens ou présidents, une unité...